crédit photo: Pierre Langlois - Do Phan-Hoi
KIN (Collectif La Tresse)

RENAÎTRE DE SON TRAUMA GRÂCE À LA DANSE CONTEMPORAINE – Discussion autour de Kin du collectif La Tresse avec Natasha Kanapé Fontaine

Curieuse, attentive et analytique : de son propre aveu, la poétesse, artiste multidisciplinaire et militante autochtone Natasha Kanapé Fontaine ne sait jamais si elle regarde un spectacle de danse contemporaine en tant qu’artiste ou en tant que public. Elle réfléchit beaucoup aux images, aux gestes, aux technicalités et surtout à leurs interprétations. Elle peut y puiser de nouvelles perspectives qui viennent nourrir son art et combler les « vides » qu’elle n’aura pas eu la force de mettre en mots dans ses textes. Pour elle, ce serait peut-être ça le pouvoir de la danse contemporaine : reprendre le contrôle de son traumatisme.

Avant d’assister à Kin du collectif La Tresse, présenté à l’Agora de la danse, Natasha s’est renseignée… mais pas trop ! Elle aime découvrir et surtout être surprise, c’est même une exigence :

Je n’aime pas le dire comme cela, mais je suis très critique, envers moi-même et envers les autres. Je n’aime pas m’attendre à certaines choses, je devine beaucoup. J’écris de la fiction et de la poésie, donc je réfléchis beaucoup aux histoires. Le fait d’être écrivaine me donne cette capacité. C’est pour cela que j’ai besoin que l’on m’amène ailleurs.

 

Est-ce qu’elle peut être comblée sur ce point avec la danse contemporaine ?

« Une partie de la danse autochtone est naturellement dans l’illustration, et quand je réfléchis à la danse contemporaine, j’imagine une forme d’abstraction que l’on pourrait mélanger avec des images. En tant que poète, je suis déjà dans ce travail d’abstraction, et avant, j’étais en peinture abstraite. Donc, depuis toujours, mon but, c’est de chercher quel mouvement le plus abstrait parle de nous, de la façon la plus criante, pour que l’on puisse nous reconnaître comme étant autochtones, malgré l’abstraction. Et la danse contemporaine m’amène à réfléchir à ces mouvements, sans que ce soit trop évident. »

Elle est consciente de nourrir encore quelques préjugés envers ce style, une certaine vision qui la bloque sur un élément, un moment en particulier qu’elle comprend moins, et qui l’empêche d’apprécier une œuvre dans son ensemble. « Mais en même temps, je suis comme cela dans tous les spectacles ! »

Les artistes en danse contemporaine qu’elle côtoie l’aident à défaire ses idées reçues et à l’amener dans cet « ailleurs », dans cette liberté qu’elle perçoit nécessaire pour répondre au traumatisme de la communauté autochtone et de sa propre histoire.

Comme moyen d’expression ou dans une perspective plus physique, la petite-fille d’une survivante des pensionnats sent que son corps a besoin de bouger, de solliciter le mouvement pour se libérer de cet héritage plus que douloureux. Et même si elle a le sentiment de ne pas encore l’utiliser de la bonne manière, elle est convaincue qu’accéder à la danse autochtone d’abord, et ensuite à la danse contemporaine dans cette démarche peut être bénéfique. Transformer ses blessures en énergie créative, ne serait-ce pas là une vertu insoupçonnée de ce style ?

 

Les images de Kin, entre subtilité innovante et symbolique discutable

Cette physicalité bienfaitrice la rapproche un peu plus de son rêve ultime, qui serait de retourner dans le bois faire des expéditions en canot et du portage. « En fait, le milieu urbain est devenu le lieu où j’exprime en art, ce que j’aimerais faire en forêt. » Dans cette optique, comment a-t-elle reçu la proposition corporelle de Kin ? Bon premier point : elle a été surprise ! « Je ne m’attendais pas à être autant “dans le corps”. »

Photo par Do Phan-Hoi.

 

Représenter l’individualité autrement, loin des évidences qu’elle fuit, l’a également beaucoup séduit. La capacité de figurer le groupe tout en laissant l’énergie de chacun et de chacune émerger est définitivement le talent de La Tresse. Dès que la cohésion semble confortable, elle est brisée par des lignes fluides, des tours, des échappées. Les interprètes voyagent au cœur de notre planète, que ce soit dans une sorte de fusion avec le sol, ou dans un espace aquatique très vaporeux.

« J’ai également beaucoup aimé le jeu avec la syllabe “kin”, le mot raisonnant dans le corps, le chant… » Ce dernier est effectivement plus construit que dans L’Encre Noire, l’une de leurs précédentes créations. L’écoute, la communication et la connexion restent la base du travail des trois chorégraphes – Geneviève Boulet, Erin O’Loughlin et Laura Toma – épaulées par Lucy M. May et Matthew Quigley – pour aller plus loin dans ce rapport à la communauté, à la famille, au « kin » donc.

Photo par Do Phan-Hoi.

 

Cette notion de communauté a bien sûr interpellé Natasha, d’autant que les artistes ont rencontré des autochtones pour nourrir leurs réflexions. C’est sans doute là que sa limite interprétative se manifeste : « Je pensais qu’il y aurait plus de jeu avec la membrane, et cela n’a été effleuré qu’une fois. Mais ce qui m’a un peu dérangée, c’est lorsqu’elle devient une tente dans laquelle tout le monde entre. Je ne suis pas sûre… Des groupes de femmes qui veulent être dans le chant, dans la connexion, ça peut s’apparenter à du chamanisme. Je ne peux pas m’empêcher de voir ces figures comme des symboles faciles, empruntés aux communautés autochtones. Est-ce que ces personnes ont une appartenance à ces choses-là ? Je m’interroge. »

Cette réflexion viscérale fait écho à une autre observation que Natasha porte sur la danse contemporaine. Elle qui nourrit le souhait d’offrir des ateliers mobilisant le corps aux enfants autochtones se questionne sur l’inclusivité du milieu. « Des efforts sont faits, mais est-ce suffisant ? J’ai encore la perception que c’est un genre inaccessible pour les personnes autochtones. Elles ne sont pas représentées sur cette scène. » Dans ses futures créations dansées, elle espère pouvoir faire appel à des interprètes autochtones. De leur expression tombera certainement quelques frontières et permettra au public autochtone de bénéficier d’une démocratisation de ce style et d’avoir un regard plus appréciatif sur ce qui semble faire tant de bien à Natasha.

L’artiste et le public seraient donc indissociables du regard que porte Natasha sur les spectacles contemporains, et même si des progrès sont toujours possibles en matière de représentativité, elle reste profondément convaincue que la danse contemporaine peut nous ouvrir le monde et nous faire évoluer. La réception de cette évolution dépendra ensuite de nos bagages respectifs. Et quoi de plus rassembleur et généreux qu’une danse qui se définit par la somme de ses différences ?

Vous aussi, vous vous questionnez sur votre rapport à la danse contemporaine ? L’Agora de la danse proposent quelques occasions de vivre une expérience avec la présentation des créations La goddam voie lactée, Les limites infinies de la peau, Les mondes parallèles et Popmolle au cours des prochaines semaines. Qui sait ? Vous pourriez trouver une œuvre capable de vous surprendre, de vous émouvoir ou de vous captiver. Tous les détails de la programmation se trouvent par ici.

Quant au spectacle Kin, du collectif La Tresse, il sera présenté à l’Agora de la danse à nouveau ce soir (jeudi 20 avril) et demain (vendredi 21) à 19h, ainsi que le samedi 22 avril à 16h. Détails et billets ici.


* Cet article a été produit en collaboration avec L’Agora de la danse.

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