Voïvod Symphonique avec l’OSM | Comme dans un film Kubrick
Le 29 janvier 2025 restera à jamais gravé dans les annales de la musique d’ici, particulièrement pour les métalleux du monde entier. Plusieurs étaient venus d’ailleurs jusqu’à Montréal (ou auraient beaucoup aimé être dans leurs bottes) en ce mercredi hivernal. Au matin du concert Voïvod Symphonique, on se disait que ça allait assurément être une rencontre ni plus ni moins que spectaculaire. Une occasion unique de voir unir leurs forces de chevronnés métallurgistes et un colossal orchestre symphonique.
Qui plus est, on était absolument certains que ce concert d’exception allait être aussi puissant qu’insolite. Et historique. Pas un mariage forcé ni opportuniste: un projet tout à fait logique, compte tenu des racines et influences du groupe de Jonquière, ayant toujours puisé dans le rock progressif et les trames sonores de films dystopiques, qui incluent par ailleurs abondamment de musique classique.
C’est avec le réputé Orchestre Symphonique de Montréal qu’allait se produire Voïvod, le plus grand groupe de heavy metal d’ici. Celui qui arpente la planète depuis déjà plus de quatre décennies. Celui qui commence enfin à être prophète en son pays. On peut en effet dire ça comme ça, après avoir remporté 2 prix aux Junos (2019 et 2023), un passage remarqué au Festival International de Jazz de Montréal (2019) et une récente apparition à la télé nationale à heure de grande écoute (le générique d’ouverture d’Infoman 2024).
Il y a un petit moment déjà que l’OSM a lancé sa série Concerts POP, qui vise à démocratiser la musique classique en séduisant un public différent (et, disons-le, un peu plus pimpant). Après des artistes de la chanson d’ici (dont Les Cowboys Fringants et Robert Charlebois) et quelques groupes punk rock (dont Les Trois Accords et Simple Plan), il était grand temps que l’OSM nous offre enfin quelque chose de heavy à se mettre sur le tympan.
Après tout, Metallica l’a fait en San Francisco et vendu des tonnes de copies — près de 5M pour être plus précis — de S&M (1999), l’album live qui en a résulté, jugé par certains plutôt pompeux et beaucoup trop sacchariné. On peut également rappeler que le metal symphonique est un sous-genre à part entière et que l’orchestral mâtine parfois d’autres sous-genres plus ou moins nichés (black, power, death, goth…) depuis une trentaine d’années.
Un auditoire connecté
Et ça ressemblait à quoi une foule de Voïvod à la Place des Arts? La salle Wilfrid-Pelletier regorgeait de mélomanes en tout genre et de tout âge, de journalistes excités et autres abonnés de l’OSM plus ou moins intrigués. On y a également croisé pas mal de musiciens, dont les gars de groupes heavy comme Groovy Aardvark, GrimSkunk et Deadwood, de même que Dan Bigras et la grande Diane Dufresne, assise deux sièges plus loin avec son mari Richard Langevin. Doit-on rappeler que ce dernier, en plus d’être le cousin du batteur, est également un artiste visuel émérite, doublé du pédagogue visionnaire derrière plusieurs acronymes importants de la technologie d’ici (Centre NAD, salle multifonction SAT, département ATM du CÉGEP de Jonquière)?
Si beaucoup de spectateurs arboraient fièrement des chandails de groupes metal (ceux de Voïvod en tête), les gars du band étaient en mode furtif, portant jeans et t-shirt noir. Ce qui s’accordait parfaitement avec la légion de musiciens et musiciennes virtuoses assis derrière, tous vêtus de complet ou tailleurs monochromes. Après que les quelques 80 musiciens de l’orchestre aient pris place sur scène, la cheffe d’orchestre Dina Gilbert fit un petit fist-bump à l’un des siens, pour ensuite se placer à son lutrin et lancer le récital aux alentours de 20h10.
Conjurer le futur antérieur
C’est pendant l’intro de la pièce Experiment, avec son ambiance glauque cadencée de sons de cloches (qui n’étaient pas sans rappeler un certain classique de Metallica) que sont arrivés les stars de la soirée devant une foule bruyante et enjouée. Le guitariste Daniel « Chewy » Mongrain, le bassiste Dominic « Rocky » Larocque, le chanteur Denis « Snake » Bélanger et le batteur Michel « Away » Langevin arboraient des sourires sans fin. Comme de grands gamins complètement gagas, visitant non pas Disneyland, mais plutôt la NASA. Lorsqu’on entendit les sections de cordes suivre parfaitement et rehaussant le solo brillamment exécuté par Chewy, on a instantanément compris à quel point le concept fonctionnait.
Au menu, le groupe avait choisi les pièces les plus progressives de son répertoire, soit celles qui se prêtaient le mieux à être réarrangées. Chapeau à Hugo Bégin aux adaptations symphoniques, qui ont fait uniformément mouche. La sélection se concentrait sur les deux extrémités de la discographie du quatuor, fondé en 1983 par Away, Snake, le bassiste Jean-Yves « Blacky » Thériault et le regretté guitariste Denis « Piggy » D’Amour. La grande majorité des compositions étaient tirées de 4 de 5 premiers albums de la formation originale, alors qu’un quart provenaient de l’alignement actuel.
Suivait ensuite Holographic Thinking (tirée de Synchro Anarchy, paru en 2022), qui sonnait par moment comme si Voïvod était appuyé de ce bon vieux Danny Elfman, dans le temps que Tim Burton faisait de bons films. Une pièce d’une puissance inouïe, amplifiée par les cuivres à qui on doit dire un grand merci. D’ailleurs, ces derniers étaient à l’honneur lors de deux des moments les plus forts du concert. D’abord, on eut droit à une fantastique extrapolation de la version FIJM intitulée Metal Section de The End of Dormancy (parue sur The Wake en 2018, puis le EP éponyme en 2020). Avec son intro cuivrée qui anoblissait le groupe, avant qu’il n’entame sa marche funèbre et son punitif assaut. Pour vrai, celle-ci fut un vrai coup de circuit, avec ses multiples mouvements et crescendos, évoquant la puissance du roi pourpre lors d’une odyssée spatiale plus que réussie (pensez-y). Pareil pour Fall (Post Society EP, 2016), jouée en fin de parcours, qui se mérita une spontanée ovation debout!
Au passé composé
Évidemment, ça semblait aussi irréel qu’incroyable entendre des classiques (quatre!) tirés de Nothingface (1989) en sauce orchestrale. Comme The Unknown Knows, étrangement allégée par l’ajout de violons et d’arrangements qui respirent, avec de l’orgue interprétant les lignes d’accordéon pour finir. Ou encore lors de l’entraînante Pre-Ignition (que le groupe a récemment réenregistré pour la compilation rétrospective Morgöth Tales, 2023), dont les orchestrations ajoutaient une incomparable force de frappe.
En plus de la susmentionée Experiment, deux autres pièces de Dimension Hatröss ont aussi été revisitées, soit Cosmic Drama et l’incontournable Tribal Convictions, qui fut un temps de thème de l’émission metal phare de MusiquePlus, SolidRok (d’ailleurs, l’animatrice Geneviève Borne y était aussi). Les percussions de l’orchestre se fondèrent dans les rythmiques effrénées d’Away, du rutilant solo de Mongrain jusqu’à son épique paroxysme.
Vous auriez dû voir notre sourire durant Nuclear War (War and Pain, 1984), la plus ancienne pièce interprétée hier. Des contrebasses surpuissantes lancèrent cet impitoyable brulot thrash, qui explosait de partout, autant au sein de l’orchestre que sur grand écran. Un autre moment important du concert. On s’en voudrait de ne pas souligner la qualité de l’aspect visuel, des éclairages aux vidéos projetées sur l’écran géant au derrière de la scène. Sous la direction de Marcella Grimaux, les artistes de chez One Dot et Noisy Head Studio ont créé un support visuel à la hauteur de l’univers futuriste et post-apocalyptique d’Away, un monde à part qu’il s’efforce d’explorer à l’aide de tous les médiums graphiques possibles depuis la naissance de son bébé cybernétique. En particulier lors de Forgotten in Space (Killing Technology, 1987), alors que d’inquiétants extra-terrestres allaient et venaient sur l’immense écran.
Et que dire de leur fameuse reprise de Pink Floyd, Astronomy Domine? Elle était tout simplement parfaite en guise de point final lors du rappel. On constata que l’orchestre se faisait discret, afin de laisser toute la place au son intersidéral imaginé jadis par le talentueux Piggy. L’apothéose. Le tout se soldat avec une foule en délire, hurlant et applaudissant à tout rompre les nombreux musiciens visiblement très heureux et satisfaits d’avoir vécu avec nous ce moment grandiose.
Le jour d’après…
80 minutes plus tard, nos esprits réintégrèrent nos corps après ce voyage astral aussi tonitruant que transcendant. On fut carrément transportés dans une autre dimension, en l’espace d’une douzaine de pièces des plus complexes. On ne peut que remercier et surtout féliciter ces musiciens d’exception d’être si bien entrés en contact avec un autre monde, à la fois différent et ô combien connexe.
Qu’est-ce qu’on retient? Le privilège d’avoir assisté à cette rencontre de premier choix entre un orchestre classique et quatre géniaux types, qui ensemble ont su élever, voire magnifier, des musiques aussi dissonantes que puissantes.
En un mot : magique.
Une expérience audio-visuelle unique, qu’on n’est pas près d’oublier.
P.S. La troupe remet ça ce soir (à ne manquer sous aucun prétexte, si vous vous considérez fan du groupe). Par ailleurs, on apprenait ce matin que le groupe allait refaire le coup du côté de Québec avec L’OSQ, le 4 juin 2025 à 20 h à la Salle Louis-Fréchette du Grand Théâtre de Québec. Billets en vente dès maintenant par ici.
Grille de chansons
1. EXPERIMENT+
2. HOLOGRAPHIC THINKING>
3. THE UNKNOWN KNOWS*
4. END OF DORMANCY<
5. INTO MY HYPERCUBE*
6. FORGOTTEN IN SPACE×
7. COSMIC DRAMA+
8. PRE-IGNITION*
9. NUCLEAR WAR^
10. FALL »
11. TRIBAL CONVICTIONS+
12. ASTRONOMY DOMINE* (rappel)
Légende :
^War and Pain (1984)
×Killing Technology (1987)
+Dimension Hatröss (1988)
*Nothingface (1989)
« Post Society EP (2016)
<The Wake (2018)
>Synchro Anarchy (2022)
Photos en vrac
- Artiste(s)
- Orchestre Symphonique de Montréal, Voivod
- Ville(s)
- Montréal
- Salle(s)
- Salle Wilfrid-Pelletier
- Catégorie(s)
- Progressif, Thrash metal,
Événements à venir
-
jeudi
-
jeudi
La symphonie «Pastorale» de Beethoven
Lieu : Maison Symphonique -
mercredi
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