Compagnie Hervé Koubi

Saison 2018-19 de la Compagnie Duceppe | La (presque) première du nouveau tandem à la direction artistique

Il faut dire presque, parce que deux pièces sur cinq de la prochaine saison de la compagnie DUCEPPE sont la résultante du directeur précédent, Michel Dumont, qui après 27 ans à la barre, vient de passer le flambeau à non pas un mais deux remplaçants, les directeurs artistiques Jean-Simon Traversy et David Laurin, pour présenter la 46ième saison du prestigieux théâtre logé à la Place des Arts où tant de grands souvenirs et de fantômes continuent d’habiter le Théâtre Jean-Duceppe.

« C’est une passion commune pour la dramaturgie anglo-saxonne actuelle qui a véritablement consolidé notre amitié à notre sortie de l’école de théâtre », écrivent les deux directeurs assurément complémentaires dans le programme de saison, ajoutant : « C’est en toute humilité que nous saisissons le flambeau ». Le premier ayant 32 ans et le second 34 ans, ils collaborent de près ensemble depuis une dizaine d’années, notamment avec la compagnie LAB87 qu’ils ont fondée avec François-Simon Poirier et Mathieu Quesnel en 2009.

La saison prochaine s’ouvrira donc avec une traduction du même David Laurin, un diplômé de Lionel-Groulx en 2005 qui a une vingtaine de traductions pour le théâtre à son actif, en plus d’avoir joué dans une trentaine de pièces. Et, curieux revers du destin, c’est lui qui jouait le jeune Jean Duceppe dans la série éponyme pour la télévision.

Cette fois-ci, il propose sa traduction de la pièce Oslo du dramaturge américain contemporain, J.T. Rogers. La pièce, présentée au Lincoln Center Theater pendant plus d’un an avant d’être produite à Broadway, pour ensuite se retrouver au National Theater de Londres, maintes fois récompensée, dont aux Tony Awards, porte sur un sujet délicat.

En effet, le titre fait référence aux fameux accords d’Oslo signés en 1993 par les deux ennemis jurés que sont restés l’État d’Israël et l’Organisation de libération de la Palestine. « Le sujet peut paraître rebutant, disait la metteure en scène Édith Patenaude, mais c’est un show sur le thème de la réconciliation davantage que sur le conflit ». Emmanuel Bilodeau, Isabelle Blais, Jean-François Casabonne et Marie-France Lambert sont de l’imposante distribution de 12 comédiens.

Crédit photo Jean-Sébastien D’Amour

Suivra en octobre une nouvelle traduction et adaptation par Jean-Philippe Lehoux de Des souris et des hommes, la plus connue des pièces du Californien John Steinbeck, Nobel de littérature en 1962. Ce sera une première mise en scène dans un grand théâtre pour le comédien Vincent-Guillaume Otis qui confiait : « C’est terrorisant, surtout que je suis déjà anxieux dans la vie. Mais, avec cette nouvelle traduction, nous avons cherché un angle différent, adapté à 2018. Notre objectif est de défolkloriser la pièce pour mieux exposer l’essentiel du drame et du thriller qu’elle contient. »

Le noyau central des personnages sera joué par Benoît McGinnis en George, grand rêveur idéaliste, protecteur à tout cran de son fidèle ami Lennie, un déficient intellectuel ne connaissant pas sa force qui sera joué par Guillaume Cyr. Luc Proulx, Gabriel Sabourin et Maxim Gaudette sont de la distribution de 9 comédiens. « Moi, dira ce dernier, je fais Curley, le fils du propriétaire de la ferme, le mari de May qui rôde autour. Curley, c’est une peste, c’est un gars qui a fait de la boxe et qui est toujours prêt à se battre. Il est jaloux et très possessif, c’est le méchant de la pièce » ajoute avec un sourire de contentement Maxim Gaudette.

Quant à Luc Proulx, ce sera une première fois chez DUCEPPE pour ce comédien qui a densément frayé avec l’avant-garde de Gilles Maheu et Carbone 14 à Espace libre dans les années 80. « Je fais Candy, glisse-t-il fièrement, c’est le rôle joué par Monsieur Duceppe au théâtre Alcan du dimanche soir à la télévision de Radio-Canada. » La question, aussi actuelle qu’elle soit restée, « Peut-on tuer par compassion? », se retrouve au cœur de l’œuvre de Steinbeck écrite pourtant en 1936.

Ayant connu un triomphe à sa création au National Theater de Londres l’année dernière, la pièce Consent de l’auteure britannique Nina Raine, une diplômée d’Oxford, devient Consentement dans la traduction de Fanny Britt et la mise en scène de Frédéric Blanchette, un nouvel incontournable qui est aussi auteur, comédien et traducteur.

« Ne pas dire non, est-ce dire oui? », la question posée par la pièce recoupe on ne peut plus à point les mouvements sociaux de #metoo et #moiaussi, creusant cette fois une histoire de viol traitée dans les vapeurs d’alcool et sans compassion avec les assertions équivoques de deux couples d’avocats au-dessus de tout soupçon. Anne-Élisabeth Bossé, David Savard et Patrice Robitaille sont de la distribution.

Le même Frédéric Blanchette jouera ensuite aux côtés de Pierrette Robitaille dans Le Terrier, une pièce de l’Américain David Lindsay-Abaire traduite par Yves Morin, que mettra en scène le codirecteur Jean-Simon Traversy, lui-même diplômé du Conservatoire d’art dramatique de Montréal en 2007, et traducteur à ses heures. Toute l’horreur pour les parents suite à la perte de leur enfant unique de 4 ans est exposée dans ce gouffre aux douleurs sans mots assez forts pouvant les décrire.

Enfin, comme un savoureux dessert, et tel un ovni tombé du ciel, le très intimiste solo de Robert Lepage, La face cachée de la lune, sera repris chez DUCEPPE en avril 2019 pour 28 représentations par Yves Jacques qui le tourne déjà depuis 2000 un peu partout autour du monde. La pièce expose le difficile rapprochement entre deux frères qui sont forcés de se rencontrer suite au décès de leur mère.

Crédit photo Jean-Sébastien D’Amour

« J’arrive d’Australie et de Nouvelle-Zélande où j’ai joué une vingtaine de fois, et là, je m’en vais en Corée du Sud », a déclaré avec bonheur et enthousiasme Yves Jacques pour qui « cette pièce, qui peut paraître élitiste pour le public de DUCEPPE, est la meilleure façon de pénétrer dans l’univers de Robert Lepage ».

Le comédien, qui travaille tout autant d’un côté ou de l’autre de l’Atlantique depuis longtemps, a aussi tourné de 2005 à 2011 un autre Lepage, Le projet Andersen. Et il se réjouit tout spécialement de ce que sa 450ième représentation de La face cachée de la lune aura lieu à Montréal.

« On se croise par hasard », dit encore Yves Jacques à propos du génial artiste dont il est une sorte de double en tournée. « Je ne veux pas l’achaler, sachant qu’il ne vient plus me voir jouer parce qu’il a confiance en moi. La dernière fois qu’on s’est vus, c’était pour son anniversaire en décembre dernier. Robert a eu 60 ans. Moi, j’en ai 61, mais ce qui est drôle c’est que je passe toujours pour plus jeune que lui. »

Et le spectacle hors-série de Christine Beaulieu, J’aime Hydro, propulsé tel un phénomène au succès instantané, sera présenté au Théâtre Maisonneuve pour cinq représentations seulement, toujours dans la mise en scène de Philippe Cyr et joué, aux côtés de l’auteure sardonique, par Mathieu Gosselin et Mathieu Doyon.

Enfin du contenu québécois, pourrait-on dire comme pour passer une remarque devant le penchant avoué des deux directeurs artistiques pour le théâtre anglo-saxon actuel. « Il n’y aura pas de saison chez DUCEPPE sans auteurs québécois, tranche David Laurin. C’est très important pour nous. Idéalement, nous aurons deux spectacles québécois par saison, une création et une pièce du répertoire, surtout à partir des années 1990, comme pour Serge Boucher. Mais si on présente un Dubé, il faudra que ce soit pertinent aujourd’hui. »

La création en question pourrait provenir des résidences d’auteurs entreprises par la compagnie. Des résidences d’écriture de deux ans, accompagnées d’une bourse de 15 000. $ offerte par la Fondation Jean Duceppe, et qui respecteront une alternance entre auteurs et auteures, de même qu’entre relève et dramaturge établi. C’est François Archambault qui s’attelle à la tâche en 2017-19, comme le fera Nathalie Doummar en 2018-20.

Et pour finir, les deux directeurs ont lancé une invitation aux acteurs professionnels qui n’ont jamais travaillé chez DUCEPPE, comme une porte entr’ouverte, avec l’instauration d’Auditions annuelles. La formule, complémentaire aux Auditions du Quat’Sous qui se tiennent en fonction des finissants des écoles de théâtre, connaîtra sa première édition le 17 septembre prochain devant des professionnels aux pratiques déjà aguerries dans le merveilleux monde du théâtre.

Il n’y a pas à dire, un nouveau vent de fraîcheur artistique souffle résolument sur la compagnie DUCEPPE.

Vos commentaires