crédit photo: Pierre Langlois
Marc Ribot

Marc Ribot à la Salle Bourgie | Seul et éclaté en version acoustique

C’est un Marc Ribot en plein forme qui nous présentait, jeudi soir, un concert en solo, avec juste sa vieille guitare acoustique, son répertoire complètement éclaté et sa maîtrise décomplexée et faussement naïve de l’instrument.

Marc Ribot fait partie avec Bill Frisell et Arto Lindsay d’une génération de guitaristes électriques importants qui ont contribué à décloisonner le rôle du guitariste jazz. Ils ont mélangé le jazz au rock, expérimentations et autres influences tout en rejetant le format pompeux et souvent indigeste du jazz rock. Définir le style de Marc Ribot est un exercice difficile tant il butine dans tous les genres, pour preuve cette brève liste d’artistes avec qui il a collaborés : Tom Waits, Caetano Veloso, John Zorn, Medeski, Martin and Wood, Cibo Matto, Elvis Costello, Allen Ginsberg, Robert Plant and Alison Krauss, The Black Keys, Alain Bashung, Elton John, Marianne Faithfull, Diana Krall, Mike Patton…

On notera aussi deux de ses albums majeurs sorti en 1998, The Prosthetic Cubans qui explore ses racines cubaines de façons magistrales et Marc Ribot Plays Solo Guitar Works of Frantz Casseus (1993 et fraîchement rééditée dans une version remastérisée) qui reprend en solo les titres de son mentor et professeur Frantz Casseus, un musicien haïtien immigré à New York dont la musique navigue entre classique et racines haïtiennes. Ribot devait venir à Montréal dans le cadre du festival Suoni Per Il Popolo en juin 2020 pour présenter son album Songs of Resistance (un recueil de titres engagés à la façon Ribot et avec de multiples collaborations) mais un certain virus en a décidé autrement.

Marc Ribot entre en scène avec une tuque rivée sur la tête et sa vieille guitare Gibson acoustique, ainsi qu’une imposante quantité de partitions sous le bras.

Il installe toutes ses feuilles sur le pupitre et il ne les regardera plus de la soirée ou si peu. Le concert débute tranquillement avec un alternance de titres blues mid-tempo et de titres plus classiques de Frantz Casseus. Si la nonchalance du monsieur pourrait passer pour un certain amateurisme, c’est mal le connaître : sa maîtrise de l’instrument et de l’improvisation est grande même s’il éprouve un plaisir certain à éclater les structures et voir du côté de l’expérimental. La guitare sur la cuisse gauche, la main droite perpendiculaire aux cordes, c’est la position typique du guitariste classique, on est loin de la guitare électrique saturée qui a fait la réputation de Ribot.

Rapidement les morceaux se déconstruisent et s’échappent de leur structures, comme ce magistral Lush Life, un classique du jazz composé par Billy Strayhorn qui commence comme un titre country blues et dont la partie centrale est complètement expérimental pour terminer sur une approche standard jazz. Les deux morceaux suivants reviennent sur son héritage cubain et nous évoquent avec un certain plaisir nostalgique les pépites de l’album The Prosthetic Cubans évoqué ci-dessus. La magie de Ribot fait en sorte qu’il sonne quasiment comme un tres, cette guitare cubaine aux cordes doublées.

Après un autre titre plus posé de Frantz Casseus, c’est le bloc chansons de la soirée qui commence avec the world’s on fire et suit un titre spoken word où Ribot lâche son fou avec des paroles aussi absurdes que faussement naïves. Les paroles du titre suivant sont un enchaînement de faits et d’anecdotes sur l’Empire State Building. Deux morceaux instrumentaux viennent clore la soirée avec un bref country blues et un titre de Frantz Casseus.

C’est sous les applaudissements fournis de la salle Bourgie au trois quarts pleine que Ribot revient pour un ultime titre où l’expérimentation prend toute la place. On en aurait bien repris un peu plus mais Marc Ribot revient saluer rapidement sans un titre de plus.

Marc Ribot prouve ce soir encore son statut unique et hors norme avec un répertoire qui pige dans bien des directions et n’hésite jamais à sortir un morceau de son carcan. Voûté sur sa guitare, faussement relâché mais avec une maîtrise impressionnante, il capte notre attention avec ses digressions et nous amène dans un univers inattendu qui fait le bonheur de ses concerts. L’exercice en acoustique surprend mais ramène ses titres dans une version plus spontanée. À l’issue de ce concert, on comprend pourquoi il est un guitariste important qui vieillit très bien et conserve son statut.

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