crédit photo: Sylvie-Ann Paré
Compagnie Marie Chouinard

« M » de Marie Chouinard : ode à l’expérimentation

Contrairement à ses habitudes, Marie Chouinard aura inauguré sa toute nouvelle création dans sa ville natale, en dévoilant son spectacle « M » au Grand Théâtre de Québec. C’est volontiers que la danseuse et chorégraphe admet sa préférence pour des premières à l’étranger, qui lui permettent de peaufiner ses spectacles et de les maîtriser sur le bout des doigts avant de les exposer au public très sélectif de sa province d’origine. De passage à Montréal pour la deuxième étape de ce lancement, « M » restera à l’affiche du Théâtre Maisonneuve jusqu’au 4 février.

 

Tout commence dans une salle dénuée de décor, coulisses grandes ouvertes, lumière crue, fond sonore de pluie abondante. Trois danseuses et un danseur sont allongés sur la scène, torse nus et immobiles. Puis des étirements, des mouvements discrets. Arrive une cinquième danseuse avec microphone en main, qu’elle dépose à l’avant de la scène. Chacun leur tour, les danseurs y enregistrent des souffles gutturaux jusqu’à la formation d’une trame sonore à la base de la chorégraphie, qui réunira finalement douze danseurs sur scène.

Ce début répétitif aurait pu n’être qu’un petit bémol dans la pièce si la répétition ne s’était additionnée d’une lenteur extrême. On espère l’arrivée d’un élément déclencheur qui signerait un véritable coup d’envoi après cette introduction prolongée, mais l’on finit par comprendre, non sans une certaine frustration, que le spectacle consiste en une exploration chorégraphique et sonore d’une heure. D’aucun y verront sans doute une invitation à la contemplation.

Le choix du maquillage des danseurs, ainsi que celui de la nudité partielle, ne sont pas anodins et apportent un aspect intriguant aux mouvements. Les danseurs, enduits d’une matière rendant leur peau à la fois mate et lisse, semblent autant de Galatée sous la main de Pygmalion, mi-statues mi-humains. Les tensions musculaires, les silhouettes, les courbes, les côtes et les os qui s’activent à chaque geste sont rendus palpables par la lumière projetée sur scène. Ce contraste est encore accentué par les perruques et costumes fluorescents, qui détonnent avec les peaux blêmes. En l’absence de décor, c’est l’éclairage multicolore et brut qui habille l’espace ; il joue un rôle essentiel à cette étude du souffle et du mouvement. Ces choix de Marie Chouinard, dont le travail s’apparente ici à celui d’une artiste-peintre à la frontière entre classicisme et abstraction, confèrent à sa pièce une signature visuelle distinctive.

Un long exercice de style

« M » est donc une création intuitive et sensuelle, construite selon une esthétique propre : les jeux de couleurs et de mise en valeur des corps sont d’une belle facture, on ressent l’humour et le second degré chers à la chorégraphe-vedette, mais la pièce ne parvient pas à nous entraîner dans cet état d’émerveillement que peut produire la danse. Les sons se lient difficilement les uns aux autres, et cette absence de fil conducteur renforce le sentiment d’un spectacle constamment mis sur pause. Les décors froids, les sons agaçants – voire extrêmement pénibles – empêchent de se plonger à corps perdu dans cette nouvelle expérimentation pourtant audacieuse. Peut-être la volonté de cette performance était-elle de jouer avec l’inconfort que pouvait ressentir le public, captif face à cet enchaînement de mouvements brefs et de sons stridents. Dans « M » la respiration, loin d’être ce processus automatique et mécanique, occupe une place concrète et quasi tactile.

Grâce à des choix artistiques et plastiques qui le distinguent, « M » propose une exploration ambitieuse des liens entre le mouvement du corps et l’élan vital de la respiration ; le corps devient une matière à façonner, à l’instar de la terre cuite et de l’argile. Si la promesse artistique de cette nouvelle création est intéressante – l’idée de mimer la respiration par le mouvement, de partir d’un réflexe animal, le souffle, et de le concrétiser par la danse –, « M » ressemble avant tout à un exercice de style long et technique.

Crédits

Chorégraphie et partition vocale : Marie Chouinard

Avec la participation des danseuses et danseurs : Carol Prieur, Valeria Galluccio,  Motrya Kozbur, Paige Culley, Clémentine Schindler, Luigi Luna, Jossua Collin Dufour, Adrian W.S. Batt, Celeste Robbins, Michael Baboolal et Rose Gagnol.

Musique : Louis Dufort

Lumières, scénographie, costumes et perruques : Marie Chouinard

Maquillages : Jacques-Lee Pelletier

 

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