Le Jeu de l’amour et du hasard de Marivaux au TNM | Catherine Trudeau vole le show

Marivaux, de son nom complet Pierre Carlet de Chamblain de Marivaux, est l’auteur français le plus joué dans le monde après Molière. Mais au TNM où est donnée la lecture ultra-classique du metteur en scène Alain Zouvi de sa pièce la plus connue, Le Jeu de l’amour et du hasard, écrite en 1730, elle aurait bien mérité une cure de jeunesse.

Le fort penchant de Marivaux pour les chassés-croisés amoureux et les quiproquos en tout genre aura amené dans son sillon le mot marivaudage. En une quarantaine de pièces de théâtre, sept romans et une quinzaine d’essais, Marivaux a ausculté les travers amoureux de son temps avec une acuité bien réelle.

Mais aujourd’hui, alors qu’on nous offre des versions « unplugged » de grands personnages de la dramaturgie comme Hamlet, Antigone ou Macbeth, le comédien devenu metteur en scène paraît rater son rendez-vous avec la modernité de l’œuvre.

Il y a bien sûr un côté attendrissant à penser que son père, Jacques Zouvi, a joué le rôle du valet Arlequin en 1969 à la NCT, comme lui-même 20 ans plus tard au Théâtre Denise-Pelletier. C’est donc une pièce qu’Alain Zouvi connaît à fond, et vis-à-vis de laquelle il aurait pu se permettre toutes les audaces.

À la place, les six comédiens de la production du TNM restent affublés de costumes et de perruques du 18e siècle, jouant avec un accent français les savoureux personnages de cette comédie de sentiments qui a traversé les siècles.

Photos: Yves Renaud

Photos: Yves Renaud

On connaît l’histoire : la petite bourgeoise Silvia veut sonder le cœur et les reins de son promis, Dorante, en changeant de rôle avec sa servante, Lisette, pour mieux le jauger; mais, ce dont personne n’aurait pu se douter, voilà que Dorante utilise le même subterfuge en troquant ses habits pour ceux de son serviteur Arlequin pour les mêmes raisons. S’ensuit un jeu de rôles et de situations des plus cocasses.

En Silvia, impétueuse et cassante, Bénédicte Décary offre une version caricaturale de femme capricieuse et exigeante, alors que plus solide, David Savard en Dorante traduit bien la complexité du penchant amoureux contrarié. Son serviteur, Arlequin, joué par Marc Beaupré à qui l’on n’aurait pas pensé dans ce registre, se tire très bien d’affaires en nouveau maître qui profitera de la situation pour charmer Lisette, la servante de Silvia interprétée avec une belle truculence par Catherine Trudeau convertie en maîtresse. En fait, c’est elle qui vole le show.

Catherine Trudeau paraît, pour notre plus grand ravissement, être celle entre tous qui sait le mieux tirer les ficelles. La comédienne a atteint suffisamment de maturité de jeu pour se mesurer à ce rôle payant pour une actrice. Elle rend toute la perplexité des émotions avec une justesse et une candeur qui ne se démentent pas tout au long de la pièce.

En Monsieur Orgon, le père de Silvia, Henri Chassé est méconnaissable avec sa longue perruque touffue, à la fois bouclée et hirsute. Son jeu est franc, mais sans rien de plus que ce qu’on connaît déjà de son imposante carrière. Quant à Mario, le frère de Silvia, interprété par Philippe Thibault-Denis, le jeune comédien manque de cette présence forte en scène qu’il avait dans Les Trois Mousquetaires et Roméo et Juliette à ce même théâtre.

Le décor de Jean Bard, avec son large bassin d’eau central évoquant davantage une place publique ordinaire qu’un jardin provençal fréquenté par les bourgeois, n’ajoute aucune puissance à l’œuvre, si ce n’est un concept que le scénographe a voulu organique avec son ciel bleu et ses petits cris d’oiseaux.

À une époque où les mariages étaient le plus souvent arrangés et imposés avec des prérogatives autoritaires selon le rang social et la fortune, Marivaux avait affiché un grand modernisme avec son personnage d’Orgon qui laisse sa fille libre de son propre choix en matière de cœur. Dommage qu’Alain Zouvi n’ait pas affirmé dans sa mise en scène le même modernisme, et dépassé ce carcan classique qui n’apporte à l’œuvre aucun caractère neuf.

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