crédit photo: Maureen Sassi
Mykalle

Lancement de Da pacem de Mykalle au Ministère | Soirée grandiose d’une prêtresse des temps modernes

Da pacem, le premier album de Mykalle, se distingue par son exceptionnelle qualité artistique. Il offre une harmonie remarquable entre chants sacrés et musique électronique. Depuis sa sortie il y a deux mois, j’ai écouté en boucle des dizaines de fois ma copie achetée en ligne. Je suis littéralement tombée en amour avec cet album, un amour profond, mais platonique.

N’étant pas familière avec l’artiste multidisciplinaire Mykalle Bielinski, je craignais que cette première rencontre charnelle soit décevante, comme c’est malheureusement souvent le cas lorsqu’on tombe amoureux d’un album avant d’avoir vu un artiste en concert.

Le coup de foudre pour cette artiste unique s’est heureusement confirmé.

Transcender l’universalité et l’intemporalité en musique

Le premier opus de Mykalle Bielinski se distingue des temps modernes, où la spiritualité et la religion semblent souvent reléguées à l’oubli. Il n’est pas exagéré de dire que Da pacem est un album de musique religieuse qui propose un retour à la spiritualité. Le titre même de l’album, Da pacem (donne-moi la paix), évoque la quête spirituelle et invite à la paix.

Cet album transcende l’universalité et l’intemporalité à travers ses chants liturgiques à la fois traditionnels et modernes. Certains textes sont puisés du folklore, d’autres sont écrits par Mykalle. Ils sont interprétés en latin, grec, bulgare et anglais. L’album marie habillement les techniques de chants traditionnels bulgares avec des instruments ancestraux, tels que le oud et le kanun, aux sonorités contemporaines des synthétiseurs, séquenceurs et échantillonneurs.

Da pacem se distingue également par un travail de réalisation exceptionnel. L’intégration de la musique électronique est parfois discrète, parfois prédominante, mais toujours faite avec finesse. Blaise Borboën-Léonard, qui a également réalisé l’excellent album Depuis de Lydia Kepinski, apporte une touche moderne aux chants liturgiques et rend le projet accessible à un large public.

On vous invite à entrer dans cet univers par la porte du titre Oneness, le plus accessible de l’album. Il contient une touchante contribution de Frannie Holder (Dear Criminals et Random Recipe), certainement une des voix québécoises que je préfère, toujours à mi-chemin entre la pop et l’expérimental. Le duo est agrémenté d’un beat déniché dans une boîte à souvenir du courant trip hop de Bristol du milieu des années 90, où l’on trouve des artistes comme Tricky, Massive Attack et Portishead.

C’est un album à écouter en marchant seul parmi le champ de lave refroidie d’un volcan en Islande ou sur la plage d’un lac perdu en Abitibi. Plus simplement, il peut être écouté en étant allongé les yeux fermés sur son fauteuil préféré. C’est un album qu’on apprécie pleinement lorsque l’on y prête une attention totale.

Il fallait parler de l’album, puisque c’était son lancement officiel. Mais qu’en est-il de sa transposition sur scène?

Prêtresse des temps modernes

Ce qui émane de cette soirée, c’est l’amour de Mykalle pour les chants religieux, sa quête incessante de paix intérieure, et son désir de partager son message de paix et de sérénité à travers la musique. La soirée se situait quelque part entre un spectacle de virtuosité vocale et une messe, dont on sort apaisé.

Mykalle a ouvert et clôturé cette communion de la même manière que sur l’album, avec deux variations de son interprétation de Kyrie (« seigneur » en grec), un chant traditionnel chrétien orthodoxe longtemps banni et presque oublié en Géorgie soviétique. Ce sont des amis qui ont ramené ce chant de leur voyage. Mykalle l’a appris à l’oreille et l’a adopté comme le sien.

Elle a ensuite poursuivi avec une composition originale, I Dare You to Bring Peace, pendant laquelle elle a peint en direct un magnifique canon vocal grâce à une loop pedal sur une simple toile fait de son d’orgues.  En soutenant très longtemps la note finale de I Dare You to Bring Peace et en regardant la salle d’un air moqueur qui a provoqué des rires affectueux, elle a dit « c’est beau, un la [la note] ». Pour Mykalle, la musique agit comme un vecteur d’élévation spirituelle.

Elle a ensuite enchaîné avec Pritouritze Planinata, un chant traditionnel bulgare qui raconte la peine éternelle d’une mère qui pleure ses enfants engloutis par une montagne. Elle a raconté qu’elle a « appris à [la] chanter à l’oreille parce qu’il invitait à explorer les limites de [sa] voix. »

En écoutant sa maîtrise du chant de gorge bulgare, où les sons sont créés à partir du fond de la gorge et où la modulation de la voix donne une texture sonore claire et harmonieuse, on se demande justement si la voix de Mykalle a une limite.

Électriser l’audience à en plonger le quartier dans l’obscurité

Le moment fort de la soirée fut sans aucun doute l’interprétation de Oneness, en duo avec Frannie Holder, qui s’est levée de son siège pour rejoindre Mykalle sur scène.

La chimie entre les deux interprètes était palpable. Elles se regardaient avec un regard profond et lumineux, celui de complices qui ont travaillé dur sur une œuvre dont elles sont fières de pouvoir enfin présenter au public.

Dans l’imprévisibilité la plus complète, Frannie à peine retournée sur son siège, la salle a été plongée dans l’obscurité. Quelques instants plus tard, éclairés seulement par la faible lueur des bougies sur scène, on a appris que tout le quartier était plongé dans le noir.

La salle murmurait à l’unisson que l’électrisante performance de Mykalle et Holder était responsable de cette surcharge électrique ayant plongé tout le quartier dans l’obscurité. Cela peut sembler exagéré, mais pour ceux et elles qui étaient présents hier soir, cela semblait être une évidence.

Avec un grand professionnalisme, Mykalle est revenue après un moment d’attente pour offrir de touchantes et vibrantes interprétations de Da pacem, Strati na Angelaki Doumasche, Glow, pour finalement terminer sur Kyrie 1.

C’était un lancement d’album divin, orchestré par Marie-Ève Milot pour la mise en scène, Marie-Jeanne Rizkallah pour la scénographie et Joëlle LeBlanc à l’éclairage, en passant par le son impeccable de Colin Gagné.

L’album De pacem et sa version scénique sont d’une excellente qualité. De nature assez niché, c’est un album qui aura besoin d’air pour s’épanouir, un album qui aura besoin de voyager.

On souhaite à Mykalle, si elle le désire, de faire voyager cet album et ce spectacle à travers le monde, à la manière des missionnaires qui propagent la bonne nouvelle et invitent à la paix.

 

Photos en vrac

Vos commentaires