La fin du VOIR : Souvenirs impérissables et inquiétude pour la suite…

La relance du magazine VOIR prévue pour l’automne prochain n’aura finalement pas lieu. Déjà fragilisé avant la pandémie, le média culturel appartenant au groupe Mishmash a officiellement cessé ses activités à la fin de la semaine dernière. Sans surprise, sa disparition annoncée vendredi après-midi a donné lieu à une pléiade de déférences tout au long du week-end sur les médias sociaux, surtout dans les cercles de la culture et des médias indépendants.

Comme pour beaucoup d’autres acteurs du milieu culturel, VOIR aura été mon premier tremplin professionnel. Ce fut le cas au fil des ans pour des Laurent Saulnier, Nicolas Tittley, Olivier Robillard Laveaux, Eric Parazelli, Christine Fortier, Marie-Hélène Poitras, Philippe Couture et Manon Dumais. Tant de gens que j’ai admirés au fil des ans, et qui ont contribué sans le savoir à me rendre toujours un peu plus passionné de culture et envieux de m’exprimer à son sujet.

En 2004, alors disquaire et étudiant en communication à l’Université d’Ottawa, le rêve prestigieux de voir mes écrits au sujet de la musique publiés dans l’hebdomadaire le plus cool au Québec se réalisait. Une aventure qui allait durer un peu plus de deux ans pour VOIR Ottawa-Gatineau, sous l’égide de Mélissa Proulx, et m’ouvrir la porte pour une carrière passionnelle que je croyais jusque-là impossible. Et qui l’est presque, en fait.

À l’époque, VOIR allait si bien que des volets satellites existaient en régions. Il y avait un VOIR Estrie. À Québec aussi, jusqu’à récemment. Et à Ottawa-Gatineau. Les journalistes culturels des grands médias généralistes jalousaient le flair de l’hebdomadaire culturel indépendant, dont les unes faisaient office de trophées et les bonnes critiques redoraient systématiquement les dossiers de presse.

Pour ma part, ce cadre professionnel m’aura permis de réaliser des entrevues avec des artistes tels que Buck 65, Tom Green, Finger Eleven, Daniel Boucher, David Usher, en plus de mettre en valeur certains des artistes franco-ontariens les plus sous-estimés de l’époque. Pas mal pour une verte recrue.

Fait cocasse, ça me permettait aussi de publier des articles à l’endos des chroniques d’humeur d’un Richard Martineau plus jeune et résolument différent d’aujourd’hui :

C’était une autre époque!

Tout ça pour dire que mes deux années au sein du VOIR m’ont permis de décrocher un emploi au quotidien Le Droit et de devenir journaliste musique à temps plein pour deux autres années pour le moins formatrices.

Sans mon expérience au VOIR, je n’aurais jamais fondé Sors-tu.ca en 2010. Et Sors-tu.ca n’aurait jamais co-fondé une coopérative de médias culturels numériques comme Culture Cible en 2013, avec d’autres entrepreneurs passionnés de culture comme les collègues d’atuvu.ca, Baronmag.com, Bible urbaine et Le Canal Auditif. Ce regroupement vise à professionnaliser des blogues culturels, afin de fournir au milieu des arts des médias solides et complets qui fédèrent des communautés de passionnés de culture, avides de découvertes et de connaissances.

 

Et quoi maintenant?

Certains voient en la disparition de VOIR une fatalité semblable à la mort de MusiquePlus à l’été 2019.

Certes, on se doutait tous que la survie de VOIR tenait à un fil.

Mais si YouTube avait anéanti la pertinence d’une chaîne télé vouée à diffuser des vidéoclips, on ne peut pas établir de cause semblable pour justifier la disparition de VOIR. Les moyens de financement se réduisaient comme peau de chagrin. Mais à la base, la pertinence d’un média culturel à l’écrit — que ce soit sous une forme strictement numérique et moins coûteuse, ou dans un format papier pour les nostalgiques de l’objet imprimé — voué à couvrir les activités culturelles du Québec n’a jamais été aussi essentielle. Surtout pour les artistes le moindrement alternatifs.

Sa disparition s’ajoute aux Bande à part, ICI, Hour, Mirror et MusiquePlus, et laisse encore moins d’options pour faire rayonner une culture pourtant de plus en plus florissante. Sans compter que la couverture culturelle de plusieurs grands médias généralistes se rétrécit aussi depuis des années.

Heureusement, il reste quelques entités qui continuent de se retrousser les manches pour parler de culture avec passion, dévouement et expertise. Des structures beaucoup plus modestes, voire souvent bénévoles. Si vous ne les connaissez pas, outre les médias de Culture Cible, je vous suggère d’ajouter à vos « Favoris » les médias écrits suivants : Feu à volonté, Ecoutedonc.ca, 99scenes, et HHQC pour les adeptes de hip-hop.

Ça demeure très peu. Des VOIR, et des Sors-tu.ca, il en faudrait une vingtaine pour servir adéquatement la luxuriante offre culturelle du Québec. On peine à se rendre à dix… Ne vous demandez pas pourquoi la concurrence est un concept qui n’existe pas dans ce tout petit milieu. Quand un VOIR disparaît, personne ne se réjouit. Tout le monde en prend pour son rhume…

Il faudra donc, tôt ou tard, se questionner sérieusement à savoir à qui revient le rôle de soutenir les médias culturels indépendants, avant que tout foutte le camp. Toujours entre deux chaises — pas assez « actualité » pour bénéficier des aides aux médias, mais pas assez « artistes » pour jouir des soutiens en culture — les médias culturels sont laissés à eux-mêmes dans un contexte où, on le sait, un modèle d’affaires strictement basé sur les revenus publicitaires, en concurrence contre des multinationales de la pub numérique, nous dirige tout droit dans le mur.

En cette période où l’on valorise l’achat local avec les #PanierBleu et #MusiqueBleue, qu’en est-il des nos #MédiasBleus? Si les médias culturels locaux meurent, il n’y aura d’autre alternative que Google et Facebook, et l’absence d’observateurs culturels indépendants sur le terrain pour parler des artistes et de leurs créations aura un effet néfaste sur la découvrabilité de ceux-ci en laissant le champ totalement libre aux algorithmes de Spotify et des suggestions de YouTube.

Artistes, producteurs, diffuseurs, festivals et artisans de la culture nous répètent plusieurs fois par semaine que les médias culturels sont un rouage essentiel à l’écosystème de la culture, et craignent visiblement leur disparition.

Il serait grand temps que des formes d’aide viennent soutenir les modestes infrastructures des médias culturels qui subsistent.  Avant qu’il n’en reste plus…

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