HERA

HERA au Théâtre Beanfield | Rocker avec bienveillance (ou comment ne pas se faire violence)

Le 6 décembre 1989, un homme abattait 14 brillantes jeunes femmes sur leur lieu d’étude, lors du massacre de Polytechnique. Trente-cinq ans plus tard, avait lieu un événement caritatif au profit d’un organisme (« La Dauphinelle ») venant en aide aux femmes — et à leurs enfants — en situation de violence conjugale.

Vendredi soir dernier, au Théâtre Fairmount, ce sont justement les artistes féminines qui ont brillé de mille feux, pendant le concert-bénéfice des Productions MOND, dont la mission est justement de redonner à la communauté en connectant des artistes sensibles et différents OBNL. Or, malgré le funeste anniversaire (évoqué à quelques reprises au cours de la soirée), une atmosphère de party de famille régnait, tant sur les planches que dans la salle. Comme c’était un concert « all-ages », plusieurs jeunes enfants s’amusaient comme des p’tits fous en courant partout, alors que sur les planches, on constatait une franche camaraderie entre les musicien·nes présent·es, dont n’émanaient que bonté, joie et bienveillance.

Pour ouvrir cette soirée débordante d’artistes chevronné·es, on avait programmé un jeune groupe de la relève, Somet (c’était leur 2ᵉ concert en carrière !), qui nous servit leur shoegaze nostalgique, mâtiné de punk rock et de grunge, quelque part entre le spleen de The Jesus and Mary Chain et la fougue d’un jeune Weezer. Pendant la petite demi-heure que dura leur set, on s’est aussi dit que leur son — aussi touffu qu’éthéré — cadrait plutôt bien avec la programmation de l’événement. C’est que les différent·es invité·es devaient interpréter des reprises de chansons souvent familières, oscillant entre rock classique et courant alternatif, provenant de toutes sortes d’époques de la musique, des années 1960 à aujourd’hui (avec un accent marqué sur les seventies).

D’emblée, on s’est réjoui de voir le bien ancré Hugo Mudie, leader du groupe The Sainte Catherines, rocker dans la foule, souriant à pleines dents en regardant performer son fils, Milan, chanteur-guitariste de Somet. De plus, le guitariste soliste du groupe, Thomas Brassard, faisait également partie du house band d’HERA, tout comme sa maman, Alexiane Montpetit, responsable des communications chez MOND, aux claviers et aux voix ce soir-là. Par ailleurs, sachez que la paire nous a offert ici et là de beaux moments de complicité filiale, au détour d’un regard aimant, d’un doux sourire ou d’un grand câlin, comme lorsqu’ils ont interprété une touchante version de Glory Box de Portishead en fin de programme.

Un all-stars house band et leurs invité.es

Au sein dudit groupe à géométrie variable, le susmentionné duo maman-fiston était épaulé par les polyvalents multi-instrumentistes George Donoso III (The Dears, Stars, Sam Roberts, The Besnard Lakes…) et Alex Crow (Tricky Woo, Kosmos, Aut’Chose…), le guitariste Roy Vucino (Les Sexareenos, CPC Gangbangs, Red Mass, Nightseeker, PyPy) et plusieurs autres artistes montréalais. On va clairement en oublier, mais on a pu voir aller et venir sur les planches les saxophonistes Lorraine Muller et Josh Fuhrman (The Kingpins), le guitariste Kurt Chaboyer (The Blue Beats), les bassistes Evan Cranley (Stars), Joseph Jarmush (Suuns), Charles PG (Cardinal) et Martin Pelland (The Dears), le contrebassiste Yohan Binette (Hydrosphère) et le claviériste Jeff Louch (Victory Chimes), de même que le batteur Eric Cohen (USA Out of Vietnam), qui agissait aussi en tant que maître de cérémonie, et ce, dans les deux langues officielles.

C’est le chanteur Félix Dyotte qui lança le premier des deux sets d’HERA, incarnant le coolissime et nonchalant groove de Gainsbourg (Requiem pour un con). Juste après, on fut soufflé par une reprise de la pièce Angel de Massive Attack, chantée par Montpetit. Sur de puissantes rythmiques jouées en tandem par Crow et Donoso derrière leurs kits, c’est un Vucino en transe qui malmenait magnifiquement sa guitare. Wow. Du gros calibre. Le ton était donné.

On retourna en mode crooner chill avec l’immortelle Walk on the Wild Side de Lou Reed, interprétée au micro par le suave et souriant Chaboyer derrière ses verres fumés, accompagné d’un chœur féminin. Vers la fin, la pièce devint un fun mash-up lorsque le court et énergique rappeur québécois D-Track s’est fendu de quelques mesures de l’hymne Can I Kick It de A Tribe Called Quest, haranguant la foule, qui ne s’est pas fait prier pour participer vocalement. Fort plaisant.

Le swag blues rock de Jean Leloup (Faire des enfants) suivit, mené par Joseph Edgar et sa guitare acoustique, avant que le populaire rockeur Sam Roberts ne passe nous chanter du The Smiths (Stop Me If You Think That You’ve Heard This One Before), tout de blanc vêtu et arborant une coupe de cheveux courte. Un peu plus tard dans le set, Mat Joly (Mobile), avec son look de Bono vintage, a rocké sa vie en chantant du The Cult (She Sells Sanctuary).

D’aussi radieuses et talentueuses que généreuses chanteuses

Cependant, sans enlever quoi que ce soit aux gars qui venaient de passer faire leurs tours de chant, sachez que le show ne prit réellement son envol que lorsque les dames commencèrent à faire vibrer leurs cordes vocales.

Il fallait y être pour mesurer, en nombre de sourires radieux, le privilège de voir et d’entendre en live l’éternelle et si douce Dreams de Fleetwood Mac, magistralement portée par la puissante voix d’Amy Millan (Broken Social Scene, Stars). Ou encore, pour voir Stéphanie des Sœurs Boulay, avec sa jolie guitare, transcender sa version française et tout en crescendo du premier succès de Lana Del Rey (Video Games). Que dire de Kandle, qui interprétait la plus jeune pièce de la soirée (All Mirrors d’Angel Olsen), sinon qu’elle fut fidèle à elle-même : splendidement incandescente, magnifiée par les six-cordes rutilantes de Crow et Donoso.

La paire de guitaristes était également de la partie pour Down by the Water, classique trentenaire de la seule et unique PJ Harvey, interprété avec brio par une Erika Angell (Thus Owls) impériale, comme toujours. Et pour clore cette première moitié de playlist bigarrée mais ô combien appréciée, vint celle que votre scribe attendait de revoir sur scène depuis bien trop longtemps. Celle qui a raccroché sa basse et son micro il y a plus de 13 interminables années, afin de devenir maman et de fonder un centre d’art (Basilica Hudson) avec son réalisateur de mari, Tony Stone (Ted K), qui était par ailleurs parmi les spectateurs.

On parle bien évidemment de Melissa Auf der Maur, qui fit le tour du monde au sein du populaire groupe Hole (mené par Courtney Love, la veuve de Kurt Cobain), avant de joindre la tout aussi célèbre formation Smashing Pumpkins, pour ensuite faire paraître deux excellents albums en solo. Comme à l’époque de Hand of Doom (2002-2003), son groupe hommage à Black Sabbath, elle nous offrit une reprise du groupe d’Ozzy Osbourne, War Pigs. Une pièce qui est hélas toujours d’actualité, comme nous le rappelait la bilingue rouquine (en français, bien sûr), visiblement heureuse de retrouver la scène et sa ville natale, avant de nous envoûter comme l’une des sorcières de ladite chanson pendant une messe bien noire. Ce fut si bon de la revoir performer avec Crow et Donoso, avec qui elle tourna jadis (jusqu’en 2011, lorsqu’elle prit un congé de maternité prolongé).

Trip rock

Au retour de la pause (qui a permis à quelques fans d’aller se faire poser avec MAdM, la très approchable légende du grunge), ce fut au tour du batteur de Besnard Lakes, Kevin Laing, de chanter une version dépouillée de la chanson préférée de sa maman, Crying in the Rain des Everly Brothers, accompagné de sa fille Agnès.

Ensuite, on eut droit à de fort belles harmonies vocales sur une pièce de l’influent groupe canadien The Band (The Weight), merci au duo Elliot Maginot et Felicity Hamer (avec sa jolie robe chatoyante), avant que Sean Foster, accompagné des saxophones, ne reprenne Train in Vain de The Clash et que Roberts repasse pour interpréter, en mode psychédélique, Tomorrow Never Knows des Beatles, avec en prime Vucino au saz (un instrument à cordes turc, aussi appelé Bağlama).

Même si on eut droit à du David Bowie (Heroes avec Trevor Anderson, en guise de point final de la soirée), du Stooges (I Wanna Be Your Dog avec Joé Napoléon), du Radiohead (l’enlevante The National Anthem avec James Correa et une finale puissante à deux batteries), du Joy Division (avec l’incarné Max Archambault de Liminal… et ses ballons !) et du Queens of the Stone Age (avec le toujours aussi sympathique Jason Rockman de Slaves on Dope, qui a efficacement remis les mâles alphas à l’ordre avant de livrer une énergique performance devant ses deux grands enfants, qui étaient dans l’assistance), désolé les gars, mais c’était encore et toujours la soirée des filles.

Outre la version mère-fils du classique trip-hop susmentionné (augmentée d’un segment rap featuring D-Track), il y eut aussi la très belle interprétation d’Hamer du nouveau-vieux classique de Kate Bush qu’est Running Up That Hill (merci à Stranger Things Saison quatre!), avec également Montpetit aux harmonies. Et évidemment, la version de MAdM du Paranoid de Sabbath, pour headbanger joyeusement une dernière fois.

Bref, c’est finalement autour de minuit que les spectateurs et artistes sont repartis, repus et satisfaits, le pas léger et les oreilles bien remplies. On lève notre chapeau bien haut aux amoureux Montpetit et Donoso, pour avoir non seulement monté et porté à bout de bras cette sacrée belle soirée, mais aussi tous deux performé sur la plupart des nombreuses chansons interprétées vendredi dernier. À toutes celles et ceux qui n’y étaient pas (car « il faisait trop froid », genre), on vous somme de ne manquer leur prochain événement sous aucun prétexte, afin d’aider votre prochain tout en vivant des moments de pure magie.

P.S. Si on cherchait vraiment à trouver des bémols, on pourrait mentionner qu’il n’y avait au programme qu’une seule reprise de chanson québécoise (Leloup) et que 3 pièces et demie en français, dont une traduction, sur un total de 23 chansons. On n’espérait absolument pas la parité, mais pour les prochains événements, ce serait bien de considérer l’ajout de quelques pièces dans la langue de Jean-Pierre Ferland (pourquoi pas Indochine, Bérurier Noir, Bran Van 3000, Offenbach, Men Without Hats ou Pagliaro ?) ou encore plus de traductions franco… pareil comme dans le temps des Classels, yo ! Et en passant, à quand un concert mettant en vedette des artistes exclusivement féminines ?

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