Entrevue avec Frédéric Roy-Hall | La Grosse Soirée: La musique survivante

Mercredi soir aura lieu un événement à première vue comme les autres, mais véritablement unique en son genre. On parle du spectacle La Grosse Soirée au Club Soda. Cette vitrine culturelle en sera une pour les artistes qui y performeront, The Posterz, Of Course + L’Amalgame et Ragers, et pour certains bands qui ont vu leur formation se séparer. Comment, me direz-vous? C’est ce que nous explique Frédéric Roy-Hall, instigateur de l’événement.

La première chose à savoir, c’est que l’événement se divise en deux entités indépendantes: La Grosse Soirée et la Collecte. Les deux se marient dans un même but commun de faire découvrir de la musique. Mercredi, on assistera à la première édition de la Grosse Soirée. Ce sera l’occasion de voir sur scène The Posterz, Of Course + L’Amalgame et Ragers dans un contexte de gratuité où son billet d’entrée est le téléchargement de l’application gratuite de covoiturage Netlift. Dans le meilleur des mondes, ce sera la première d’une série d’éditions.

De son côté, la Collecte est un moyen de recycler des albums qui seraient appelés à moisir dans un fond de tiroir. « J’ai produit des albums étant plus jeune, comme label, comme gérant, et dans 80% des cas, les groupes qui sortaient un album splittaient deux mois après et n’existaient plus. J’avais des tonnes de boîtes de CD qui jamais ne ressortiraient, qui allaient mourir là. »

Ce contexte de rangement encombrant lui étant familier, Frédéric a lancé un appel à tous sur les réseaux sociaux pour évaluer la possibilité de redistribuer des opus non-vendus à qui voudrait bien les entendre. « On cherchait des albums qui n’avaient pas été écoutés. On en voulait pas des Backstreet Boys que j’ai déjà trois copies. Ce n’est pas une redistribution d’albums américains. On voulait aller chercher des groupes indie qui avaient des albums qui sont en train de mourir dans leur garde-robe. » La réponse à été quasi-instantanée, la boîte de réception se remplissant en moins de deux.

La Collecte

La première récolte a été assez fructueuse et la distribution a trouvé nombreux preneurs. « On s’est dit qu’il fallait que ça aille plus loin. Les gens sont super heureux de recevoir gratuitement des albums, mais sont aussi super heureux de les donner. Ces gens-là ont créé, ont envie de voir ça continuer. » De là découle l’idée de faire un showcase où découverte et partage sont mis de l’avant. « On a créé une soirée de musique de niche, émergente. L’idée, c’est que les gens viennent ici et repartent avec l’idée qu’à Montréal, il y a une tonne d’affaires qui se fait et que c’est vraiment bon. Il y a du bon contenu dans tous les styles. »

La collecte d’albums faite directement au Club Soda s’adresse principalement aux groupes s’étant séparés dont les albums ne se vendent plus ou très peu. Ils accueillent avec plaisir les albums de groupes actifs, mais ils recherchent quand même de bonnes quantités d’albums à redistribuer et « un band actif ne donnera pas ou très rarement 500 copies d’un album qui se vend encore. […] On collecte au Club Soda des CDs de groupes indie montréalais, en quantité. Pas juste un que t’écoutes plus. On va vraiment collecter les boîtes des groupes qui eux se disent ‘Mon band est mort, mais j’aimerais que la musique continue’. »

Comparaison évidente

Frédéric Roy-Hall se dit un grand fan de la Liste Poulet Neige, un autre moyen d’obtenir de la nouvelle musique, sans frais. Il va sans dire que ç’a été pour lui une des grandes inspirations du projet, mais tout a été mis en place pour ne pas aller jouer dans les plates-bandes de l’autre. L’un s’intéresse à la distribution virtuelle de musique émergente de bands actifs, tandis que l’autre souhaite laisser la chance à la musique de survivre, malgré leurs groupes disparus, en distribuant des copies physiques.

Les deux sont toutefois en accord sur la valeur de leurs contenus respectifs. « Le but n’est pas de dire que la musique ne vaut rien parce qu’elle est gratuite, c’est plutôt de dire qu’avant que la musique ne meure, démocratisons la. » C’est également l’idée de développer chez l’auditeur son désir de nouveauté. « Si tu ne vas jamais à un cours de maths, t’apprendras jamais les maths. Si tu ne piges jamais dans un bac rempli de CD en te demandant ce que tu vas découvrir aujourd’hui, tu n’iras jamais rechercher toi-même. On veut créer l’envie de découvrir. »

La Grosse Soirée

C’est toujours dans ce contexte d’accessibilité à la culture qu’aura lieu mercredi La Grosse Soirée, la première édition d’une formule mise à l’essai qui vise à offrir une grande salle à des groupes qui, généralement, rempliraient des plus petits théâtres. L’événement est gratuit sur présentation de l’application Netlift sur son téléphone, ou 10$ sans l’application. « Avoir cette gratuité-là va probablement permettre d’avoir des curieux, pas juste des habitués, et de mélanger cette clientèle-là. À long terme, nous ce qu’on veut, c’est présenter de plus en plus des petits groupes et d’avoir de plus en plus de monde qui vient découvrir. »

Le showcase présente quatre artistes de la relève de la scène funk et hip hop. « The Posterz, étant un band hip hop établi à Montréal, y’a probablement 0,05% du monde qui connait c’est quoi — ça me fait de la peine de dire que le mot établi, c’est ça de nos jours. Ils ont sortis, à mon avis, les meilleures tracks des dernières années dans le hip hop montréalais. D’un autre côté, Of Course et L’Amalgame ont fait un excellent album ensemble, et c’est pour ça qu’ils sont là. C’est super original, ça vaut la peine d’être écouté. C’est pas 100% Of Course, c’est pas 100% L’Amalgame, c’est le mix des deux et ça, ça peut être inspirant pour les musiciens dans la salle. Sinon, Ragers, c’est la meilleure manière de voir le hip hop dans le futur. Enfin on remet la musique à l’avant-plan! À chaque fois qu’ils sortent de quoi, c’est au goût du jour. C’est des bons recherchistes de la musique. »

On ne veut pas présenter des artistes qui font ce qui font depuis des années. On veut montrer ceux qui sont en train de créer et qui, demain, seront ailleurs. L’émergence veut pas dire la même chose pour tout le monde, mais pour nous, elle veut dire ça.

On assistera bien évidemment à une distribution d’album lors de la soirée, mais la récolte n’a pas été spécifiquement faite en vue du spectacle à saveur hip hop et funk, premièrement parce que l’organisation reçoit de tout, et deuxièmement parce qu’elle souhaite toucher à tout. « C’est sûr qu’on ne donnera pas des albums dans le style du hip hop ou du funk. Je crois que la clientèle montréalaise aime la diversité. Moi, j’adore The Posterz, mais je suis aussi le gars super impliqué dans la scène garage. C’est important d’écouter de tout. Et je ne pense pas que ce serait possible de le faire. Ce ne sera pas la première soirée qui sera remplie d’albums. On veut juste donner de la nouvelle musique et que les gens soient ouverts aux styles. »

L’idée d’ajouter un showcase à la Collecte vient également de cette nuance d’expérience que nous procure un spectacle. « De l’écouter et de le voir live, c’est vraiment deux mondes. Ragers sur album, Ragers en live, c’est deux mondes. C’est ça qu’on veut présenter. La musique live, pour moi, c’est la meilleure manière de découvrir. La deuxième, c’est l’album. Le live, c’est pur et c’est ce qu’on veut montrer. »

Frédéric Roy-Hall a une vision de grandeur pour son projet, souhaitant le voir vivre longtemps et l’amener plus loin que la métropole. Le fantasme serait de le voir sortir des lignes de la ville et de donner la musique en cadeau dans les régions. « Si on vit un beau succès avec ça, on ne veut pas que ça reste qu’à un seul endroit. » Reste à voir ce qui se trame pour mercredi et pour la suite. Le projet est novateur et rafraîchissant, et on y adhère à cent mille à l’heure.

Vos commentaires