Dramaturgies en dialogue par le CEAD | Un tremplin vers la scène

Pour sa neuvième édition qui court jusqu’au 30 août, le Centre des auteurs dramatiques (CEAD) présente au Centre du Théâtre d’Aujourd’hui son volet Dramaturgies en Dialogue, une série de lectures-spectacles à partir de textes dramatiques inédits qui ne recherchent qu’une seule chose : être joués dans un théâtre.

La vitrine est appréciable, compte tenu que le CEAD, fondé en 1965, regroupe près de 250 auteurs membres qui ne demandent qu’à faire circuler leurs pièces. Accompagnés, retravaillés, mûris à point, les textes proposés sont pris en charge par les deux conseillers dramaturgiques de l’institution, Paul Lefebvre et Sara Dion. Si bien qu’à ce jour, le Centre de documentation du CEAD met à la disposition du milieu théâtral et du public près de 5 000 pièces de théâtre publiées ou inédites.

Photo de Maxime Côté.

Photo de Maxime Côté.

En ouverture de la présente édition, on a pu assister mercredi soir à l’avènement d’un texte de Benjamin Pradet mis en lecture par Sébastien David, avec une distribution relevée de 10 comédiens, parmi lesquels Dominique Quesnel et Benoît McGinnis. Le texte en question s’intitule interminablement Schefferville pendant l’extinction de la race blanche ou Le carnaval indien de l’Orphelinat des Monstres.

Benjamin Pradet, diplômé en écriture dramatique de l’École nationale de théâtre en 2013, a reçu avec ce texte une mention au Prix Gratien-Gélinas. Il est également l’auteur entre autres de 80 000 âmes vers Albany, une pièce déroutante qui a été présentée en 2014 au Monument-National par les finissants en interprétation de l’École nationale, et où des vieux résidents du Grand Château de Terrebonne ambitionnent de traverser à cheval l’État de New York jusqu’à leur perte.

Lui qui dans une autre vie a été intervenant social à Schefferville au sein de la communauté innue de Matimekosh, sait de quoi il parle quand il est question d’orphelinats autochtones et de justice égale pour tous. Le récit épique de Benjamin Pradet ramène même le spectre du premier ministre Maurice Duplessis venu à Schefferville officiellement pour visiter les mines du nord, mais en cachette pour retrouver Félix, son amour de jeunesse.

Benoît McGinnis s’est investi à merveille dans la peau de Duplessis à cette « lecture jouée », tout comme Dominique Quesnel travestie en religieuse d’orphelinat en quête de bienfaiteur, prête à reclasser ces « enfants de Duplessis » du statut d’orphelins à celui d’enfants fous pour arriver à ses fins, convaincue de répondre ainsi à « l’amour du Très-Haut ». Le sujet de l’émergence autochtone en art est dans l’air et de toute évidence, la pièce dont l’écriture a commencé en 2011 est maintenant mûre pour une production dans un théâtre professionnel.

Sylvie Drapeau. Photo par Maxime Côté.

Sylvie Drapeau. Photo par Maxime Côté.

Suivront Captifs, de Christopher Chen, traduction par le même Benjamin Pradet de Caught, mis en lecture par Philippe Cyr, où l’auteur de San Francisco questionne les notions d’appropriation culturelle. Corps célestes, de Dany Boudreault, mis en lecture par Édith Patenaude avec notamment le comédien de l’heure, Emmanuel Schwartz, dans un texte inspiré à son tour par le Grand Nord canadien. Gertie et Alice à la mer (Tu es pour moi), de l’Américaine Caridad Svich, traduite par Fanny Britt et mis en lecture par la très occupée Brigitte Haentjens, avec dans la distribution la divine Sylvie Drapeau. La pièce se nourrit des amours tumultueuses et mondaines entre l’écrivaine américaine Gertrude Stein et sa mystérieuse compagne, femme de lettres aussi, Alice B. Toklas qui ensemble tenaient salon à Paris au début du 20e siècle, attirant aussi bien Ernest Hemingway et F. Scott Fitzgerald que Pablo Picasso et Henri Matisse.

Suivront aussi Dounia le monde, de Pascale Rafie où le personnage de Jeanne entend des voix prenant graduellement le pas sur le réel. Nos cœurs remplis d’uréthane, d’André Gélineau où le personnage de Léon crée des sculptures d’organes humains qu’il gonfle d’uréthane, affirmant sa vie propre par d’étranges motifs symboliques. Et enfin, Maître Karim la perdrix, de Martin Bellemare, qui s’attarde au cauchemar d’un centre de rétention pour migrants dans le nord de la France. C’est ce même auteur qui avait remporté le Prix Gratien-Gélinas en 2009 avec sa pièce Le chant de Georges Boivin, et qui a écrit plusieurs textes jeune public.

Dramaturgies en Dialogue, c’est aussi une foule d’événements en parallèle, comme des Causeries, des ateliers et des performances innovatrices. Ainsi, la Causerie no 1 portera sur la dramaturgie contemporaine new-yorkaise en termes de forme et de contenu, avec l’auteure en résidence au CEAD Tina Satter, également metteure en scène et directrice de la compagnie d’avant-garde Half Straddle qui a présenté de nombreuses performances dans des lieux mythiques new-yorkais comme The Kitchen et PS 122.

La Causerie no 2 tournera autour de la diversité des matériaux textuels, chorégraphiques et visuels, avec pour invité Nils Haarmann, dramaturge à la prestigieuse Schaubühne de Berlin. Alors que la Causerie no 3 fera part des différentes acceptions du terme dramaturgie à partir des pratiques de kom.post, un collectif interdisciplinaire berlinois qui présentera sa nouvelle conversation Fabrique du commun MTL, à la croisée du symposium et de la performance collective pour une trentaine de participants privilégiés.

Enfin, parmi les autres activités, il ne faudra pas manquer l’atelier public Émergences théâtrales autochtones, se voulant un geste significatif de notre temps en faveur du décloisonnement des pratiques et du milieu du théâtre en constante ébullition.

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