Critique théâtre | Tranche-cul à l’Espace Libre

D’abord présentée dans le contexte de Zone Homa, Tranche-cul est une création du Théâtre En Petites Coupures, qui est à l’affiche du 4 au 20 décembre à l’Espace Libre. Pièce écrite et mise en scène par Jean-Philippe Baril Guérard, il s’agit d’une oeuvre choquante et ingénieuse, qui traite suspicieusement de la liberté d’expression.

Anne Trudel. Photo de courtoisie, par Hugo B. Lefort.

Anne Trudel. Photo de courtoisie, par Hugo B. Lefort.

L’ambitieuse distribution de 15 comédiens fait montre d’un cynisme cinglant. Ils incarnent avec vigueur des personnages odieux, pour la plupart de classe moyenne et plutôt jeunes, mêlés complètement à la foule. Le ton de la tribune publique est ainsi vite donné.

Leurs propos venimeux et agressifs, qui plus est souvent inutiles, sont des tentatives de démonstrations de force, ainsi que des « discussions » au fiel à peine poli.

Leurs paroles sont choquantes, outrancières, mais le texte est si bien tourné qu’on s’identifie, à un moment ou à un autre, à ce que ces sophistes débitent – créant par là même un étrange mélange de honte et de dérision chez le spectateur.

Ce malaise est d’ailleurs constamment attisé par le harcèlement généralisé dont fait l’objet un des personnages, auquel on assiste passivement, s’estimant impuissant.

Le public est lui-même assailli de toutes parts : on n’a pas de répit entre les discours que tiennent les protagonistes opiniâtres, qui jaillissent de part et d’autre de la salle, et lorsqu’il y a un silence, il est long et rend l’assistance mal à l’aise, ne sachant que faire ni où regarder.

 

Rires acerbes

L’humour de Baril Guérard est aiguisé, voire par moments indigeste. La violence des propos tenus par ses personnages est déstabilisante, car elle vient chercher en nous cet aspect pervers qui est parfois en accord avec des propos xénophobes, sexistes, machistes, cruels…

Pierre-Yves Cardinal. Photo Hugo B Lefort.

Pierre-Yves Cardinal. Photo Hugo B Lefort.

Si beaucoup des dialogues et monologues de Tranche-cul semblent tout à fait inacceptables, c’est surtout parce qu’ils sont dits à haute voix – mais, dans ce cas, pourquoi trouve-t-on leur pendant web tolérable ?  Est-on plus libre lorsqu’on ne se trouve pas face à celui qu’on attaque ?

On s’en permet plus derrière un écran d’ordinateur qu’on ne le ferait en temps normal – mais on semble avoir atteint un stade social particulier, modelé pour la réalité sur les interactions telles que vécues sur l’Internet. Il s’agit de l’ère, comme le dirait l’auteur, du « culte de l’opinion ».

Bon nombre de questions sont explicitement et implicitement soulevées, mais celles-ci demeurent : pourquoi cette célébration des points de vue de tout un chacun ; est-ce une farce de démocratie ? et qu’en faire à présent ?

Tranche-cul propose un bon auto-examen de notre exercice individuel et collectif de la liberté d’expression, à travers des discours qui peuvent être d’une (habile) bêtise à couper le souffle. À la fin du spectacle, les applaudissements sont absolument mérités, mais on est en fait tellement  sous le choc que cela semble presque absurde de pratiquer une telle démonstration de joie. On n’en sort pas indemne.

Baril Guérard est un jeune auteur qui semble fourmiller d’énergie et de détermination, et dont la carrière est sans conteste à suivre.

 

 

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