
Commission B 2025 – Jours 2 et 3 | Saint-Casimir sous le charme de Jorane
Ce dimanche matin dernier, le 22 juin, dans l’église de Saint-Casimir, quelque chose de rare s’accomplissait. Jorane, accompagnée de son complice Martin Lizotte, offrait la version duo de Hemenetset dans un silence recueilli, loin des amplifications de la veille. Après trois jours de festival, cette reconnexion prenait des allures d’épilogue nécessaire, comme si tout avait convergé vers ce moment suspendu. Mais pour arriver à ce moment de grâce, il fallait d’abord traverser l’intensité des deux soirées précédentes de la Commission B. (Vous trouverez le compte-rendu du vendredi de notre collaborateur Philippe Drouin ici!)
Samedi : Le monde dans une commission près de chez vous
Cumbia Control a pris le relais de la veille avec brio, amorçant une transition parfaite pour ouvrir le bal des contrastes qui s’annonçait en cette deuxième journée. La formation a fait monter la cadence, avec ses rythmes chauds et dansants venus d’Amérique latine.
Le vrai coup d’éclat de cette soirée est arrivé avec TEKE ::TEKE. Déjantés, inventifs, généreux, les musiciens et musiciennes ont offert un voyage sonore cinématographique, hybride et tranchant. Entre flûtes traversières, traditionnelles, piccolo et guitares distordues, le groupe a tout décloisonné : le grave et l’aigu, le tribal et le lyrique, l’absurde et le solennel. Ils ont électrisé la foule. Ce fut sans contexte le premier grand moment de la soirée.
* TEKE ::TEKE au Taverne Tour 2024. Photo par Camille Gladu-Drouin
Et le second ne tarda pas. Maïa Barouh, franco-Japonaise, tout aussi explosive que raffinée, est montée sur scène en annonçant avec le sourire « la poursuite de l’invasion japonaise de Saint-Casimir », un clin d’œil complice après TEKE ::TEKE. Et une belle ironie! Pendant que des bombes commençaient à tomber sur l’Iran, ici, l’invasion était une célébration : ouverte, métissée, musicale. Virtuose à la flûte traversière, dotée d’un registre vocal étendu et étonnant, guitariste habile, elle a subjugué par sa présence habitée. Dans un moment fort, elle est entrée en dialogue avec sa flûte, chantant et criant dans l’instrument, le transformant en percussion, en souffle en battement à la manière de Ian Anderson de Jethro Tull. De plus, elle a tracé dans son propos un pont entre les premiers peuples du Japon et ceux d’ici, une ouverture rare et nécessaire, à hauteur humaine.
Puis changement de registre : P’tit Belliveau est monté avec ses comparses, dissolvant la gravité dans un grand éclat de dérision. C’était le party version déjantée acadienne, comme un numéro d’impro prolongé sur fond d’électro-folk déglingué. S’en est suivies de nombreuses interactions avec le public, dont un règlement de compte théâtral entre P’tit Belliveau se moquant de la foule et le lutteur Matt Falco, alias Mathieu Tessier (co-propriétaire de la microbrasserie Les Grands Bois) en redresseur de torts. Cet affrontement en particulier a marqué le spectacle avec un humour assumé. Le tout s’est évidemment terminé au profit de P’tit Belliveau (de surcroît en chest) et de sa musique triomphant sous la pluie, dans une euphorie aussi alcoolisée que sincère.
* P’tit Belliveau à Santa Teresa 2025. Photo par Marc-André Mongrain
Enfin, aux douze coups de minuit, la nuit s’est calmée avec Patche, quintet instrumental à l’univers plus feutré, mais non moins envoûtant. À la croisée du krautrock et de l’électronique, le groupe a offert une conclusion contemplative, traversée de pulsations mécaniques et d’arpèges flottants devant une foule plus clairsemée mais curieuse.
Dimanche : Jorane, l’épilogue nécessaire
C’est dans cette continuité, après deux soirées d’exploration sonore tous azimuts, que Jorane est venue clore le festival. Mais là où les soirées précédentes avaient multiplié les contrastes et les découvertes, le dimanche proposait un retour à l’essentiel. Dans l’église de Saint-Casimir, l’artiste présentait la version duo de Hemenetset, cette symphonie moderne qu’elle a ciselée avec d’autres créateurs pendant plus de six ans. D’un projet initialement conçu pour onze musicien·ne·s, elle avait distillé l’essence même de sa démarche créatrice dans une formule intimiste, parfaitement adaptée à l’acoustique du lieu.
La voix comme territoire de liberté créatrice
Dès les premières notes d’une chanson tirée de l’album Le roman de monsieur de Molière, Jorane installe son univers. Seule sur scène avec son violoncelle pour cette première chanson, elle nous raconte l’histoire de cette actrice de la troupe de Molière, frustrée de n’avoir jamais obtenu de premier rôle, qui finit par accepter une proposition dans la troupe de Racine. La violoncelliste présente cette pièce comme une métaphore universelle : nous avons tous, un jour, dû quitter un lieu où nous nous sentions bien pour choisir de partir afin d’éclore. Cette introduction plante le décor émotionnel de ce qui suivra : un voyage dans les méandres de l’expression pure, libérée des contraintes du langage.
Car c’est là toute la singularité de la démarche de Jorane : refuser l’encadrement linéaire des paroles pour laisser place au déferlement des émotions. Sa voix devient un instrument parmi d’autres, explorant une expression qui puise dans quelques fragments vocaux récurrents – Hemenetset en tête – pour déployer des textures et des nuances infinies. Cette approche, qui peut désarçonner les auditeur·rice·s habitué·e·s à ce que l’émotion et le sens passe par les mots, offre paradoxalement une liberté totale d’interprétation. Chaque spectateur·rice devient maître de son voyage personnel dans les profondeurs sonores.
Martin Lizotte, complice essentiel
Quand Martin Lizotte rejoint Jorane sur scène, la magie opère immédiatement. Ce musicien et compositeur aguerri, habitué de la Commission B – que ce soit au sein de Lizotte Fuzz, où il donne avec plusieurs musiciens libre cours à l’improvisation, ou en accompagnant des artistes tels que Keith Kouna –, ne fait qu’un avec la violoncelliste. Son piano devient le prolongement naturel du violoncelle, créant une symbiose rare où l’accompagnement transcende sa fonction première pour devenir dialogue. Lizotte use de son piano de différentes manières pour générer des textures inusitées qui enrichissent l’architecture sonore sans jamais détourner l’attention. Le duo revisite ainsi les créations de Hemenetset. La réduction forcée de la formation, loin d’appauvrir l’œuvre, en révèle l’essence : une recherche de liberté.
Un moment suspendu dans le sacré
L’apothéose est survenue lors de la dernière chanson, quand Martin Lizotte a quitté la scène pour se rendre à l’orgue Casavant dans les hauteurs de l’église. Les notes de l’instrument sont venues envelopper le violoncelle de Jorane dans une communion bouleversante. L’orgue, âme de l’église, a dialogué avec la musique de l’artiste et, par ricochet avec l’âme de cette communauté temporaire réunie pour l’occasion. Ce moment de grâce illustre parfaitement la philosophie de l’artiste : permettre à tous les degrés de l’émotion d’être abordés sans contraintes. Ne reste qu’à s’y abandonner.
Pour le rappel, Jorane a offert sa version de Suzanne de Léonard Cohen, où les mots retrouvent exceptionnellement leur place, résonnant avec une force décuplée après ce voyage en partie instrumental. Ce choix n’est pas anodin : après avoir exploré les territoires de l’expression musicale pure, les paroles de Cohen prennent tout leur sens dans cette mosaïque.
Une trajectoire artistique qui inspire
Cette performance clôturait non seulement la tournée québécoise de Jorane avant son départ pour la France, mais aussi cette édition de la Commission B sur une note contemplative parfaitement accordée à l’esprit du festival. Car au-delà de l’éclectisme musical, ce qui reliait tous ces moments était cette quête de liberté créatrice, cette volonté de décloisonner les genres et les attentes.
Vingt-cinq ans après avoir ouvert cette voie unique entre chant et violoncelle, Jorane a prouvé que sa recherche de liberté n’avait rien perdu de sa pertinence. Si à ses débuts, on comparait ses horizons possibles à des musiciennes comme Tori Amos, ou plus tard à Björk, ou encore à des formations comme Rasputina qui avaient émergé une décennie plus tôt, il va sans dire qu’au-delà de ces comparaisons, son œuvre a à son tour inspiré une nouvelle génération d’artistes qui, après avoir été comparé·e·s à elle, ont pu emprunter leur propre chemin. Un cycle créatif qui n’est pas sans rappeler ce qu’elle évoquait plus tôt dans son spectacle.
L’artiste a fait preuve d’une générosité remarquable envers son public, prenant le temps de répondre aux questions après le spectacle. Cette proximité a révélé une femme profondément connectée à son art et désireuse de le partager.
Une communauté en mouvement
Au-delà de la scène, ce qui s’est passé dans la foule pendant la Commission B mérite d’être célébré. Des parents qui dansaient avec leurs enfants, des amis qui riaient, des regards qui se croisaient avec bienveillance. Un désir commun de vivre quelque chose d’unique. Parfois une foule peut mériter autre chose que le sempiternel « une foule a cinq ans d’âge mental ». Parfois, et la majorité du temps, une foule peut être civile et respectueuse. Il faut le mentionner aussi.
Trois jours qui auront prouvé qu’une communauté passagère peut se tisser d’envies communes, de silences respectés, de cris partagés. Que le plus beau des voyages cosmiques peut se terminer dans le recueillement d’une église de village. Et que l’écosystème musical québécois a besoin de ces initiatives pour assurer sa survie – non par obligation, mais par une nécessité vitale de créer ces espaces de liberté où les individualités peuvent se rencontrer.
* Galaxie au FME 2024. Photo par Maude Bond
Comme l’avait dit Olivier Langevin, guitariste de Galaxie pendant la première soirée avec justesse : « De belles choses se passent ici. Y a rien qui se passe si vous êtes pas là. ». Un sentiment qui a été partagé dans l’ensemble des prestations, avec des mots différents, de Patrick Watson à Jorane.
- Artiste(s)
- Jorane, Maïa Barouh, Martin Lizotte, P'tit Belliveau, Patche, TEKE::TEKE
- Ville(s)
- Saint-Casimir
- Catégorie(s)
- Alternatif, Art rock, Classique, Contemporain, Cumbia, Festival, Psychedelique, Rock, Taiko (tambours japonais),
Événements à venir
-
mardi
-
mercredi
Forfait 5 Jours
-
samedi
Soif de musique - Jour 4 | avec P'tit Belliveau, Tim Hicks, Britanny Kennell
-
samedi
Jour 4 | Matt Lang, Tim Hicks, Brittany Kennell
-
jeudi
-
vendredi
-
dimanche
Jour 3 | Foster The People, Mark Ambor, Walk Off The Earth
-
vendredi
-
dimanche
-
dimanche
Vos commentaires