Antoine Corriveau

Antoine Corriveau: Construire PISSENLIT

Trois nominations à l’ADISQ et une série de spectacles qui prend fin pour Antoine Corriveau. Près d’un an après la sortie de son album, il surfe encore sur la vague de PISSENLIT, son plus récent album. Au téléphone, il parle franchement de la naissance de cet opus, sans tomber dans une certitude prétendue. « Je réalise aujourd’hui que l’album est sorti depuis quasiment un an et je n’ai pas encore commencé à travailler sur le prochain. Comme à chaque fois je me dis que je n’ai aucune idée comment on fait pour faire ça ».

Il raconte pourtant avec aisance comment il a bâti son petit dernier. «J’ai l’impression que chaque disque est différent de l’autre d’avant. J’avais une volonté d’essayer de faire quelque chose de nouveau, de différent, quelque chose que je n’avais pas fait encore», raconte-t-il, en rétrospective.

On dénote clairement une différence entre PISSENLIT et ses derniers albums au niveau des arrangements musicaux et de l’énergie. Sa voix sombre et mystérieuse demeure la même, l’atmosphère ténébreuse également, mais cette fois, Antoine se permet de tirer davantage vers le rock et les arrangements complexes. On l’entend bien dans les pièces Albany et Ils parlent, entre autres.

 

L’artiste prône la différence d’un album à un autre, mais comprend que «peut-être que c’est plus marqué avec ce disque-là de par le fait que c’est la première fois que je réalise un disque tout seul». Ses autres albums, Les ombres longues (2014), Cette chose qui cognait au creux de sa poitrine sans vouloir s’arrêter (2016) et Feu de forêt (2018), avaient été réalisés par Nicolas Groulx.

« Un autre genre de liberté »

PISSENLIT, il l’a fait naître autrement. Seul dans un studio, il se rappelle s’être souvent retrouvé à «essayer des trucs» qu’il n’aurait pas nécessairement osé essayer avec quelqu’un d’autre, «assis dans une chaise devant un ordinateur». «Je l’ai abordé différemment, il a été écrit, composé, enregistré autrement. C’est sur que ça a teinté le truc », raconte-t-il.

Pour ses trois premiers, Antoine était assez avancé dans l’écriture des chansons et avait déjà préparé des mélodies à la guitare ou au piano avant commencer l’enregistrement, qui se passait chez Nicolas Groulx. L’arrangement se faisait donc à deux. Cette fois-ci, les collègues ont loué un studio, ce qui a permis à l’auteur-compositeur-interprète d’y aller seul. Encouragé par Nicolas, il a donc pu réaliser son dernier album lui-même: « c’était la suite logique. »

Toutes les étapes se sont mélangées un peu en même temps cette fois-ci, c’est peut-être ce qui a donné un résultat différent.

Pour son dernier opus, la construction s’est plutôt faite comme un bricolage. Antoine a commencé à enregistrer alors qu’il n’avait pas vraiment de chansons sous la main. Le studio lui-même a été utilisé comme outil de composition. « J’avais des petites ébauches, des petites affaires à gauche à droite », dit-il, « des accords, des affaires comme ça. » Ses musiciens, il les a fait venir au studio pour les enregistrer « un peu dans le vide ».

« J’ai découpé tout ça, je me suis amusé à composer à partir de ce qu’eux avaient fait », explique-t-il. Pour ce qui est des textes et des voix, il y est allé de la même manière: « Je me retrouvais à enregistrer une voix alors que mon texte n’était même pas fini et à la lumière de ce que j’avais enregistré, je voyais où il fallait que j’envoie mon texte. »

Dans cet opus, Antoine s’est donné le défi de parler de sa propre personne. «Je trouvais qu’il y avait un piège à réussir à aller là sans faire quelque chose d’égocentrique, de narcissique», avoue-t-il, disant se demander ce qu’il était capable de faire à se niveau là. À un certain moment, lors de l’écriture «il y a toute une notion d’avantage social et territorial du Québec qui s’est invité dans mes réflexions puis j’ai eu le sentiment que ces deux trucs-là pouvaient se mélanger. »

Le musicien raconte qu’accéder à un certain niveau de subtilité est important pour lui, même s’il aime être direct. Ces réflexions lui ont permis « de parler d’un sujet comme de l’autre sans entrer dans une sorte de caricature ou dans une sorte de truc qui n’avait pas le niveau de subtilité que j’avais envie d’avoir. »

Il ajoute également qu’il a écrit les paroles de ses chansons à la main, pour la première fois depuis longtemps. Cette méthodologie lui donnait un accès plus rapide à son matériel, une meilleure vue d’ensemble : « Tu sais, tu tournes vingt pages plutôt que de chercher un vieux fichier dans un ordi. »

Nominations à l’ADISQ: une tape dans le dos, sans plus

Antoine Corriveau ne saute pas de joie quand on lui parle de ses nominations à l’ADISQ. Sans être amer, et loin d’être de mauvaise foi, il s’avoue plutôt critique envers ce gala et des honneurs qui l’accompagnent : «C’est fait un peu comme si on était en 1988 des fois j’ai l’impression», explique-t-il.

Selon lui, la méthode de scrutin est discutable et l’organisation semble pencher davantage vers la variété que vers la musique elle-même. Cela étant dit, il ne lance pas de roche à ceux que la variété intéresse. C’est tant mieux pour eux.

Il se garde des réserves, mais il préfère «let go». Sa maison de disque l’inscrit à l’ADISQ et il s’y retrouve. Ça ne le dérange pas plus que ça. Au bout du compte, il admet que le gala a lieu à un moment de l’année qui vient avec un certain momentum: « on célèbre un peu ce qui s’est fait, c’est une tape dans le dos, tu prends ce qui passe. »

« Depuis dix ans, chaque année on dit qu’on espère que les choses vont être différentes ou qu’elles aient évolué », affirme-t-il. Cette évolution, il la voit, mais elle lente.

 

Tout en même temps

Antoine Corriveau réalise présentement les albums d’une poignée d’artistes et, évidemment, «ça finit par être tout en même temps».

Quand il réalise les albums des autres, il sent souvent qu’il a un rattrapage à faire pour sentir que le disque sur lequel ils travaillent peut aussi être le sien, puisque ceux-ci travaillent sur les chansons depuis plusieurs mois. Quand il réalisait son propre album, il savait déjà tout ce qu’il y a derrière la chanson.

«C’est sur que quand je travaille avec d’autres artistes j’ai un recul qui n’est pas le même» avoue-t-il, sans trop savoir si ça facilite le processus ou si ça le ralentit: « j’imagine que ça dépend des chansons et des instants ».

Antoine Corriveau joue à Montréal ce soir, le 25 novembre à la Sala Rossa. Une supplémentaire est prévue pour le 10 décembre, au même endroit. Pour l’instant il n’a pas commencé à travailler sur un nouvel album, mais emmagasine des échantillonnages et s’amuse à expérimenter avec de vieilles méthodes d’enregistrement, devenues un peu désuètes.

Pour l’instant, il ne sait pas ce que ça va donner, il cherche seulement à explorer dans le but de finir avec un produit qui va le surprendre lui-même. « Si le disque ne se retrouve pas à être ça, tout ça va servir le résultat final d’une manière ou d’une autre », conclut-il.

 

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