Barbara Hannigan à la Salle Bourgie | Ensorcelante!
C’est avec joie que l’on a pu découvrir ce mardi soir à la Salle Bourgie, la soprano Barbara Hannigan en pleine possession de son art, accompagnée du tout aussi inspirant pianiste Bertrand Chamayou. Avec une pièce de Messiaen puis un intermède au piano solo avec du Scriabine, c’est avec Jumalattaret, une pièce de John Zorn que la magie a pris avec une interprétation tout bonnement ensorcelante!
Ça fait déjà quelques années que la soprano Barbara Hannigan, originaire d’Halifax (Nouvelle-Écosse), fait parler d’elle, autant par ses qualités d’interprètes que de cheffe d’orchestre, ainsi que ses créations originales. Et c’est aussi ses mises en scène déconcertantes qui ont su mettre en avant un côté ludique et joyeux dans le répertoire parfois austère de la musique contemporaine.
Pour preuve son interprétation du Grand Macabre de György Ligeti en écolière délurée : autant l’aspect comique et décalé fait sourire mais sa performance vocale impressionne tout autant ainsi que son engagement physique intense. Elle nous rappelle que la musique contemporaine, c’est le fun aussi! On est bien loin du côté rigoriste d’un Boulez à cravate et c’est fort rafraîchissant.
Histoire de ne pas s’ennuyer, elle dirige aussi des orchestres, tout en assurant le chant. Derniers exemples, elle va prendre les rênes de l’Orchestre symphonique d’Islande en 2026 en tant que cheffe d’orchestre et directrice artistique. En parallèle, elle s’occupe de divers programmes de mentorat pour la relève. Bref, c’est toute une femme!
La Salle Bourgie est pleine à craquer pour cet évènement. La scène est dépouillée avec juste un piano au centre pour un concert purement acoustique. Hannigan vient se poster dans le creux du piano et encre sa main droite sur le cadre de l’instrument. La première partie est composée de Chants de Terre et de Ciel d’Olivier Messiaen. Il reprend le thème de la spiritualité et du mysticisme, un thème récurrent qui revient pour les autres pièces de la soirée.
Hannigan est lumineuse et vit pleinement son interprétation, avec intensité et de tout son corps. La complémentarité avec le pianiste Bertrand Chamayou est autant audible que visible par de brefs échanges de regard. Chamayou est aussi investi et à l’écoute, avec une exécution dynamique et sans faille. Ce dernier donne d’ailleurs son plein potentiel lors de sa partie en solo, notamment sur Vers la flamme de Scriabine où la vivacité et l’acuité de son interprétation est remarquable.
Pour la dernière partie, Hannigan revient toute pimpante dans une magnifique robe vaporeuse blanche barrée de bleu. C’est le plat de résistance avec un titre de John Zorn. La complicité entre Zorn et Hannigan date de leur première rencontre en 2015 et à donner naissance à une collaboration régulière depuis. La pièce Jumalattaret interprétée ce soir, en est un exemple.
On peut d’ailleurs suivre la genèse de cette création dans le documentaire Zorn III (2018-2022) de Mathieu Amalric, avec tous les doutes et difficultés qui viennent avec. Le film est actuellement disponible gratuitement sur la plateforme du Festival International du Film sur l’Art jusqu’au 30 novembre. Ne tardez pas!
C’est avec plaisir que je découvre ce soir la pièce de Zorn dans son intégralité et c’est là que les pièces de puzzle se mettent en place. La composition paraît alors limpide et se déroule naturellement. Jumalattaret est un cycle de mélodies qui comprend des extraits de la Kalevala, l’épopée finlandaise qui raconte la création du monde et fait l’éloge de neuf déesses finlandaises du chamanisme sami. Avec des textes en finnois et des mélodies sans paroles, la composition sollicite une variété de techniques et visite des styles disparates, allant de la simplicité du folklore à des effets atonaux et texturaux complexes.
On sent ici que les deux musiciens sont pleinement dans leurs éléments et bravent les difficultés de la partition avec le plaisir du devoir accompli. Barbara Hannigan est particulièrement impressionnante vocalement et toujours aussi démonstrative alors que Bertrand Chamayou met les doigts dans le piano pour affronter les cordes à mains nues avec bonheur.
Vraisemblablement la grosse réussite de la soirée, l’union entre la composition Jumalattaret de John Zorn et le chant de Barbara Hannigan a fait jaillir des feux d’artifices et a su atteindre bien des cœurs ce soir. Le support inébranlable de Bertrand Chamayou a su apporter bien du gaz à la flamme. Hannigan a été à la hauteur de sa réputation et a su impressionner par son interprétation magique.
Programme
Olivier Messiaen (1908-1992)
Chants de Terre et de Ciel (1938)
- Bail avec Mi (pour ma femme)
- Antienne du silence (pour le jour des Anges gardiens)
- Danse du bébé-Pilule (pour mon petit Pascal)
- Arc-en-ciel d’innocence (pour mon petit Pascal)
- Minuit pile et face (pour la mort)
- Résurrection (pour le jour de Pâques)
Alexandre Scriabine (1871 a.s./1872 n.s.-1915)
- Poème-nocturne, op. 61 (1911; pour piano seul)
- Vers la flamme, op. 72 (1914; pour piano seul)
John Zorn (1953-)
Jumalattaret (2012)
- Proem (Opening Invocation)
- Päivätär (Sun Goddess)
- Vedenemo (Mother of Waters)
- Akka (Queen of the Ancient Magic)
- Louhi (Hostess of the Underworld)
- Mielikki (The Huntress)
- Kuu (Moon Goddess)
- Tellervo (Forest Spirit)
- Ilmatar (Air Spirit)
- Vellamo (Goddess of the Sea)
- Postlude
Photos en vrac
- Artiste(s)
- Barbara Hannigan, Bertrand Chamayou, John Zorn
- Ville(s)
- Montréal
- Salle(s)
- Salle Bourgie du Musée des Beaux-Arts de Montréal
- Catégorie(s)
- Contemporain,
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