Opéra de Montréal

DAS RHEINGOLD DE RICHARD WAGNER À L’OPÉRA DE MONTRÉAL | PUISSANT ET VERTIGINEUX

Il aura fallu près de 30 ans au compositeur allemand Richard Wagner pour compléter sa tétralogie « Der Ring des Niebelungen », communément appelée le Ring, une saga démesurée qui consiste en quatre opéras totalisant une quinzaine d’heures de spectacle. « Das Rheingold » (L’Or du Rhin) que propose actuellement avec panache et inventivité l’Opéra de Montréal à la Place des Arts, constitue la première partie d’une œuvre insensée faisant fi de tous les codes du genre. On dit d’ailleurs de la musique de Wagner qu’elle est le heavy metal de l’opéra.

Créé à Munich en 1869, ce prologue fastueux qu’est Das Rheingold se voit dirigé ici par Brian Stauvenbiel qui, chose rare, est également le concepteur des décors. Une scénographie qui, comme au théâtre, se surpasse en utilisant les nouvelles technologies tout en se rapprochant de l’œuvre, rendue accessible à tous, malgré les réticences des non-initiés souvent ressenties devant les opéras de Wagner.

Première pour l’Opéra de Montréal

Présentée pour la première fois dans l’histoire de l’Opéra de Montréal, le directeur artistique Michel Beaulac a de quoi être fier de cette production qui ose placer l’orchestre – en l’occurrence l’Orchestre Métropolitain sous la direction du chef américain Michael Christie– directement sur la scène, ce qui libère la fosse d’orchestre, devenue le fleuve mythique peuplé des Filles du Rhin. Ainsi, les chanteurs occupent l’avant-scène et la fosse aussi bien qu’une passerelle en hauteur traversant le plateau. L’air de rien, c’est là une idée géniale au service de l’œuvre dont la perspective s’en trouve complètement réinventée.

C’est d’ailleurs l’histoire de cette tétralogie avec ses grandes questions philosophiques, multi couches et surréelle, qui a inspiré l’épopée Le Seigneur des anneaux. Ici, le nain bossu Alberich vole l’or dans les eaux du Rhin pour s’en forger un anneau lui donnant tous les pouvoirs s’il renonce à l’amour. Wotan, le maître des dieux, le dérobe à son tour pour payer son château somptueux et asseoir sa suprématie. Le nain maudit alors quiconque portera l’anneau.

Une mise en scène habile

Nous sommes plongés dans la genèse du monde et toute la cupidité des hommes s’y étale au gré des actes des dieux, des déesses, des Filles du Rhin, des géants et des Nibelungen, faisant interagir les 14 personnages mis en scène avec une grande habileté d’évocation alimentée de mythes et de légendes germaniques. Mais, ne chante pas Wagner qui veut. Le livret et la musique sont d’une telle complexité, avec des thèmes si exigeants vocalement que les chanteurs doivent s’entraîner comme des athlètes aux Olympiques pour espérer devenir wagnériens. Le compositeur allemand est perçu encore aujourd’hui comme un précurseur qui s’est employé à défaire les codes de l’opéra italien dominant.

Bien que cette production soit américaine, plus précisément du Minnesota Opera, la participation de chanteurs canadiens y est des plus importantes. On retrouve dans le rôle du dieu Loge le ténor Roger Honeywell, dans celui d’Alberich le baryton-basse Nathan Berg, dans celui du dieu Donner le baryton Gregory Dahl, et dans celui du dieu Froh le ténor Steeve Michaud. Les soprano Aidan Ferguson, Caroline Bleau et Andrea Nunez, ainsi que les mezzo-soprano Catherine Daniel, Florence Bourget et Carolyn Sproule complètent l’aéropage de voix canadiennes.

Une pièce à dimension futuriste

Soutenu par une masse de 24 figurants, c’est le baryton-basse au fort charisme, l’Américain Ryan McKinny, qui se mesure au redoutable cap vocal à atteindre pour rendre l’ampleur du personnage pivot de Wotan. Le chanteur avouera avoir travaillé à ce rôle depuis un bon dix ans maintenant. Le metteur en scène Brian Staufenbiel est reconnu pour son audace à créer des opéras immersifs et multimédias. Jouant sur trois niveaux scéniques, il apporte ici une dimension futuriste, en étroite relation avec les projections atmosphériques de David Murakami qui vont jusqu’aux images traitées électroniquement à la manière d’une BD nous en mettant plein la vue.

Ce Das Rheingold, malgré la malédiction qu’il porte en lui, est une véritable réussite artistique sur tous les plans. Si bien que se verra sûrement agrandir à Montréal le nombre des « Wagnérites », ces admirateurs inconditionnels, entièrement voués au culte de l’œuvre, et qui se déplacent partout dans le monde où est présentée avec les mêmes défis de gigantisme ce monument de toute l’histoire de la musique que préfigure la puissante tétralogie de Wagner.


Crédit photo: Yves Renaud

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