Sous la nuit solitaire

Sous la nuit solitaire au Quat’sous | Théâtre dansé

Pas un mot n’est prononcé par les interprètes pendant la petite heure que dure cet obscur objet du désir qu’est le spectacle Sous la nuit solitaire à l’affiche du Théâtre de Quat’Sous. Ainsi l’ont voulu les deux concepteurs, Olivier Kemeid à la mise en scène et Estelle Clareton aux chorégraphies. Est-ce du théâtre, est-ce de la danse? Ou plutôt du théâtre dansé?

L’ouverture s’opère très lentement, nous laissant devant les sept interprètes côte-à-côte en fond de scène et qui nous regardent. Ils évolueront dans une scénographie esthétisante de Romain Fabre, conçue pour l’essentiel de modules géométriques se dressant avec des lignes futuristes.

Crédits Romain Fabre

Crédits Romain Fabre

Mais le vrai début, c’est la musique originale d’Éric Forget qui nous prend par la gorge dès les premières mesures, et qui ne nous laissera aucun répit jusqu’à la toute fin du spectacle. Une musique d’atmosphère, souvent angoissante, assurément ensorcelante, mêlée d’orages et d’accalmies, envahissante et dominante, maîtresse au premier chef de chaque mouvement des interprètes.

Pas un mot ne sera dit, mais des phrases qui détiennent la clé de l’œuvre seront tout au long projetées en grosses lettres sur le mur en fond de scène. Des phrases comme « Ils avançaient obscurs sous la nuit solitaire », ou d’autres qui parlent d’ « âmes fatiguées », d’ « insectes manqués » ou encore du « feu profond de la Terre ». Des phrases inspirées par La Divine Comédie de Dante, en particulier de L’Enfer, avec ses âmes errantes au royaume des morts qui en ont fait l’une des œuvres majeures de la littérature universelle.

Parmi les sept interprètes, tous pieds nus, éclairés très subtilement par Marc Parent, on retrouve Éric Robidoux, un habitué de ce type de production où il sait habiter son corps et le projeter avec justesse, ainsi que Renaud Lacelle-Bourdon qui vient tout juste de sortir de l’excellente Nina, c’est autre chose par l’auteur français Michel Vinaver au Théâtre La Chapelle Scènes contemporaines.

Ici, dans ce dialogue de chaque instant entre le corps et le texte écrit, les âmes sont torturées et les corps suppliants. Le rendu des chorégraphies d’Estelle Clareton, qui ne s’empêche pas d’emprunter au butô et aux mangas japonais, frise la perfection. Ses figures sont faites d’éléments forts, comme celle des 14 bras levés et des 14 mains dressées vers le ciel dans une supplique inopérante auprès de Cerbère, le portier des Enfers. Les cris d’effroi qui agiteront les interprètes aux corps luisants sont placés aussi avec une belle adresse de mise en scène.

La rencontre aura donc été déterminante, totale, entre les deux créateurs et leur langage artistique respectif pour ce spectacle inclassable, d’une puissance d’évocation rarement atteinte. Olivier Kemeid, l’actuel directeur artistique du Quat’Sous, ne se prive pas. Le résultat est là, à la fois épuré et visuellement léché, terriblement claustrophobe et porteur de souffrance, en même temps que d’une très grande beauté.

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