The History of Sexuality

The History of Sexuality à la PDA | Un bulldozer

Lors de cette première soirée froide d’août, la pièce «The History of Sexuality» a donné le coup d’envoi du festival Fierté Montréal. Présentée (seulement en anglais) à la Cinquième Salle de la Place des Arts, elle met en scène neuf étudiants de l’Université Concordia, qui prennent part à un séminaire. Celui-ci porte sur le livre (du même nom que la pièce) du philosophe français Michel Foucault. La pièce aborde la sexualité d’un point de vue intellectuel et réfléchi, et on y parle souvent des différentes formes de pouvoir, à travers plusieurs situations (handicap, fétichisme et BDSM, homosexualité et prostitution). Retour sur une pièce où la réalité s’entremêle avec la fiction, et qui rapelle que les pires histoires d’horreur prennent racine dans des faits vécus.

Un séminaire bien particulier

Présentée par Talking Dog Productions et écrite par Dane Stewart, The History of Sexuality met de l’avant un procédé d’écriture appelé «fictionalized verbatim theatre» (on pourrait traduire cela comme «théâtre fait à partir d’entrevues transcrites»). L’équipe a interviewé plusieurs montréalais, et ces textes ont été «collés» ensemble pour créer une pièce, avec des personnages fictifs.

Des étudiants débattent sur différents aspects de la sexualité dans une salle de classe de l’Université Concordia. Étant donné la nature du débat, le «verbiage» est un peu trop présent… On aurait préféré davantage de concret, mais ils semblent tous en être conscients, alors qu’une des interprètes lit une très longue et vague citation de Foucault, et que toute la bande tourne cela en dérision.

Toutes les histoires de la pièce sont donc tissées autour de la classe, et les comédiens déplacent souvent des éléments du décor pour créer les mises en scènes. C’est très bien rodé! On y apprend donc des tranches de vie, parfois un peu anecdotiques, parfois réellement troublantes. La pièce est habillée d’un humour intellectuel, académique, qui semble fait pour et par des universitaires… Cela peut laisser de glace ceux qui ne font pas partie de ce milieu. De l’autre côté du spectre, on dénote beaucoup de moments tragiques où l’émotion était livrée sans retenue. On retient notamment l’identification aux true radicals, et l’évocation de la manifestation suite à la descente ayant eu lieu en 1977, dans un bar gai montréalais (le Truxx, où plus de 200 personnes ont été arrêtées par 50 policiers).

 

Parallèles, contrastes et voyages dans le temps

Dans cette pièce où on se sent un peu voyeur (étant donné la nature très sexuelle de certaines scènes!), on voit entre autres l’intimité d’un couple de lesbiennes et ce, dans deux espaces-temps différents, par quatre comédiennes qui jouent simultanément. Leur jeunesse est représentée à gauche, et on les voit plus tard dans leurs vies à droite. Une des deux est handicapée, mais le couple vit une sexualité épanouie. En outre, avec les personnages de Talia et Darr, l’opposition tranchée entre les escortes et les danseuses dans les bars a été bien expliquée. Ici encore, avec deux situations superposées (mais avec deux interprètes), on joue un peu avec l’humour… «You know, I kind of want to be a slut this semester…» déclenche des gros rires.

Par ailleurs, le harcèlement a été effleuré quelques fois, avec des courtes scènes efficaces où des filles attendent l’autobus et un homme leur lance des catcalls. Mais ce qui était le plus marquant était la relation polyamoureuse et les pratiques BDSM d’un couple homosexuel, dont le «soumis» est une escorte, dans la vie de tous les jours. Oliver Price démontre un grand talent en jouant deux personnages assez opposés. Premièrement, on le voit en tant que le dominant du couple BDSM, dont la voix porte beaucoup. Il attache son partenaire, et le traite littéralement comme un chien. L’autre homme qu’il interprète un peu plus tard est plutôt efféminé, avec une voix très différente, légère et aiguë. Deux extrêmes, pourtant pas si loin l’un de l’autre… Aussi, la survivante d’un viol a raconté ce qui lui était arrivé… La description de l’événement, en superposition avec le témoignage enregistré, était tout simplement effroyable, même si l’interprète avait une voix un peu trop «mielleuse».

Témoins (et voyeurs…) d’une vérité horrible

On est troublé par le bon jeu des comédiens en général (dont la majorité est d’ailleurs d’origine montréalaise), mais aussi et surtout, par la véracité de toutes ces histoires. La dernière, en particulier: un homme raconte qu’il a étranglé sa conjointe lors d’une séance BDSM où il a perdu le contrôle, et que la situation a mené le couple au divorce… L’homme fautif ne voit presque plus ses enfants. L’audience est tétanisée devant cette entrevue reconstituée.

Les spectateurs ont quitté la Cinquième Salle de la Place des Arts avec un certain «motton» dans la gorge, poursuivis par ces réalités atroces. Que dire, après avoir été témoins de ces vies brisées pendant plus de deux heures? Est-ce que quelques-uns d’entre eux ont eu du mal à trouver le sommeil, par la suite? Du moins, ont-ils eu les idées agitées, après cette (un peu trop longue) pièce, qui met d’affreuses cartes sur table et joue avec plein de tabous? On ne peut que se demander, lorsqu’ils ont tombé dans les bras de Morphée, quels genres de rêves ils ont fait…

L’âme fendue

Somme toute, The History of Sexuality, des récits qui nous passent sur le corps comme des bulldozers… Cette pièce à l’honnêteté brute sera présentée jusqu’au 12 août. Les billets sont disponibles ici.

Vos commentaires