crédit photo: Nicola-Frank Vachon
Un nouveau jour

Un nouveau jour au Théâtre de la Bordée | Et si le Québec avait dit oui?

À La Bordée, jusqu’au 22 novembre, le Québec se réinvente. Cette fois, le « oui » a remporté. Pas en 1980. Pas en 1995. Aujourd’hui. Un nouveau jour, comédie politique écrite par Jean-Philippe Baril Guérard et mise en scène par Michel Nadeau, imagine un pays qui vient tout juste de naître, à la suite d’un troisième referendum remporté à 52%. Et si l’indépendance ne résidait pas tant dans le geste de se séparer que de celui de se regarder enfin en face?

Sur scène, un grand bureau trône, massif, presque solennel. Quatre protagonistes y sont réuni s: on leur a confié la mission d’organiser un spectacle grandiose sur les Plaines d’Abraham pour célébrer cette victoire historique. Une fête nationale nouvelle, symbole d’un peuple devenu maître de son destin. Mais entre célébrer et y croire, il y a tout un monde.

Il y a Elyse (l’excellente Sophie Dion), animatrice télé au sourire aussi parfait que sont profondes ses hésitations. Il y a Rafael (le brillant Juan Arango), publicitaire vif, drôle, entièrement habité. Autour d’eux gravite un cinéaste engagé et une intellectuelle anglophone à l’accent assumé. Ensemble, ils doivent créer le spectacle du siècle, celui qui fera briller le Québec souverain. Mais comment célébrer une victoire quand on n’est pas sûr d’en comprendre le sens?

nouveau jour show media 011* Photo par Nicola-Frank Vachon.

Quand le rire dérange autant qu’il éclaire

Un nouveau jour dure 90 minutes. 90 minutes d’échanges rapides, de joutes verbales, de rires nerveux. La pièce s’ouvre sur un « Vive le Québec, vive le Québec libre! » lancé avec ferveur, avant de plonger dans des dialogues aussi savoureux qu’intelligents. La langue y est un terrain de jeu, de tension. On parle majoritairement en français, on glisse à l’occasion vers l’anglais, parfois par réflexe, parfois par ironie. On y entend un long monologue sur l’identité, sur l’accent québécois : celui-ci est au Québec ce que les madeleines sont à Proust. Et cette phrase qu’on reçoit comme une boussole : « Pour savoir où on va, faut savoir d’où on vient ».

Les blagues s’enchaînent. On rit d’un Québec où les médecins de famille se cherchent encore, d’un peuple qui se définit par la poutine, le hockey, Céline et le français. Le Saint-Hubert s’invite même au lunch, comme si la rôtisserie incarnait à elle seule une part de notre identité collective, ancrée dans le confort de nos familles. On rit, oui, mais un peu jaune, parce qu’au fond, la pièce met le doigt sur ce qu’on évite souvent : l’orgueil d’un peuple qui doute encore.

Des personnages à notre image

Aucun n’est caricatural. Tous sont humains, profondément. Elyse, toujours bien mise, porte un tailleur vert, vert comme l’espoir peut-être, ou comme l’à-côté sur le cercle chromatique du bleu qu’on associe au drapeau du Québec. Elle veut plaire, fédérer, donner au public ce qu’il attend : du rêve et du spectacle. Rafael, lui, veut vendre, rentabiliser, séduire. Le cinéaste veut poursuivre son engagement. L’intellectuelle, comprendre.

Leurs échanges virent à la cacophonie, à la collision des idéaux. Et au milieu du tumulte, cette phrase adressée à Rafael claque, drôle et dure à la fois : « Je te demande pas d’être un homme blanc, je te demande juste de pas être un esti de dick. » Une réplique comme un coup de poing, brute, libératrice, sincère. Elyse finit par admettre qu’elle n’a même pas voté lors du referendum. Tout s’effrite. Et là, derrière les mots et les éclats de rire, on comprend : l’indépendance n’a pas effacé le désenchantement. Elle l’a simplement déplacé.

nouveau jour show media 032* Photo par Nicola-Frank Vachon.

Une mise en scène vivante et intelligente

Sous la direction fine et vive de Michel Nadeau, la pièce trouve un équilibre rare entre satyre et tendresse. Le rythme est soutenu, le texte, précis, les silences sont éloquents. Rien n’est superflu, tout respire. Les quatre comédiens livrent un jeu impeccable, mais Juan Arango se démarque particulièrement : il parle avec tout son corps, ses yeux, ses silences. Même en mangeant une frite, il capte. La scénographie, sobre et efficace, met en valeur la tension : ce bureau, centre du pouvoir et de la confusion, devient peu à peu le symbole d’un pays en construction, d’une table où personne n’est jamais tout à fait d’accord.

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Le miroir d’un peuple

Un nouveau jour ne cherche pas à rallumer le débat souverainiste. Il nous renvoie plutôt l’image d’un peuple en perpétuelle introspection. D’un peuple qui, même libre, ne sait plus trop quoi faire de cette liberté. Les répliques fusent, mais certaines restent suspendues, comme un écho. Dans les débuts de la pièce, un éclat de voix traverse la salle: « Tabarnack qui fait chaud, Jocelyne! » Une phrase banale, qu’on croirait sortie d’un barbecue de ruelle, mais qui revient, bien plus tard, comme un miroir tendu au public. Entre le début et la fin, tout a changé : le ton, le contexte, le sens. Ce simple juron, répété différemment, dit tout du Québec qu’on reconnaît; celui qui rit, qui s’émeut, qui s’obstine à être vrai, même quand tout vacille. C’est anodin, c’est humain, et c’est parfait. Parce qu’au fond, c’est ça, être Québécois : râler, rire, s’aimer malgré tout, et se reconnaître dans ces phrases simples qui nous rassemblent.

nouveau jour show media 029* Photo par Nicola-Frank Vachon.

Un nouveau jour, mais les mêmes questions

Sous ses airs de comédie, la pièce parle d’appartenance, de mémoire, de lucidité. Elle rappelle qu’on peut bâtir un pays, mais qu’il reste toujours à inventer. Qu’un hymne national ne suffit pas. Qu’il faut aussi du courage, de l’écoute, et de cette honnêteté qu’Elyse réclame à la fin : celle de nommer ce qu’on ressent, même quand on peine à savoir comment le dire.

Un nouveau jour, c’est une fable politique, oui. Mais c’est surtout un miroir tendre et drôle d’un Québec en quête de sens. Et peut-être que, finalement, le pays que certains espèrent ne se vote pas. Il se vit.

nouveau jour show media 034* Photo par Nicola-Frank Vachon.

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