crédit photo: Vicky Neveu
Tumeurs

TUMEURS au FME | Rencontre avec Simon Turcotte : Mélasse mortelle, démembrement sociétal et « ça va bien aller »

« Tu ne sais pas ce que c’est la rage ni la peur. T’es un touriste. » La formation abitibienne Tumeurs ouvrira dans un fracas sanglant et malsain le bal de la grande soirée métal du FME 2021. On a jasé avec leur hurleur et parolier, Simon Turcotte : un artiste avec une histoire hors du commun, écrivant à travers son propre chaos sur le déclin de notre société qui manque cruellement d’humanité et d’authenticité, selon lui. Tout en espérant quand même à travers sa musique pouvoir aider des gens à tolérer un peu cette violence.

Âmes sensibles s’abstenir, le trio de Malartic ne fait pas dans la dentelle. Assénant un sludge hardcore raclant la crasse du fond des mines avec une touche noise teintée de death metal et de power violence, Tumeurs s’adresse, selon leurs propres mots, aux amateurs de psychose toxique, cancer d’la gorge et sandwichs au verre brisé. Car c’est dans le monde exécrable dans lequel on vit qu’ils puisent leur inspiration, encore plus de nos jours :

« Au pire, cette crise sanitaire ne fait que montrer notre vrai visage. J’ai juste hâte que tout s’écroule. »

* Photo par Vicky Nevu.

« Vous n’avez aucune idée de ce qu’est la rage ni la peur », dit-il. À 32 ans et en pleine pandémie, le jeune musicien s’est fait amputé d’une jambe à la suite d’une récidive d’un cancer contre lequel il lutte depuis 2016. Lorsque le FME a dévoilé sa programmation et annoncé Tumeurs et leur EP Get Cancer, certains commentaires trouvaient le nom un peu intense. « Le cancer m’a arraché une jambe. Ça vous choque? Faudrait pas que j’en parle trop? »

Dans son texte un peu autobiographique Lab Rat, il explique qu’on lui demande de nager à travers la vie en transportant une énorme roche sur son dos. « Je ne sais pas combien de fois on m’a rentré dans gorge le fameux “Mais là, maintenant, ça va?” Alors que de toute évidence, non, rien ne va. Quand tu vis assez longtemps avec la maladie, tu comprends que c’est ta nouvelle réalité et que tu ne peux la fuir. Mon cancer peut revenir. La pandémie n’est pas terminée. »

Le monde s’en va droit dans un mur. Que vous le vouliez ou non.

* Photo par Vicky Nevu.

Pendant que la planète se déchire autour d’une maladie qui met de côté toutes les autres, même les plus graves et leurs malades, on peut se demander quelle est sa perspective relative à tout ça. « Les gens veulent toujours que la mauvaise passe se termine au plus vite. Quitte à forcer le retour à la normale trop rapidement, tomber dans le déni et traiter ceux qui leur rappellent l’existence du problème de pessimistes. »

On pourrait presque voir une critique du « ça va bien aller », frêle symbole arc-en-ciel de l’optimisme pour rester positif dans cette sombre période. Mais est-ce que le positif n’est pas souvent forcé ? Dans la chanson Cool Kid, il critique la fausseté des influenceurs et du monde falsifié des médias sociaux qui essayent de fabriquer de belles images de gens prétendant être heureux.

Le monde cherche la perfection à tout prix. On prétend être heureux en tout temps, avoir la meilleure vie inimaginable alors que le monde est en train de brûler autour de nous. La course au perfectionnement est une source constante de stress, de déception et de souffrance. Je préfère chercher l’authenticité. Je préfère m’accepter dans tout mon ensemble. Le beau, le laid, le bien, le mal, le fort, le faible, l’imparfaite dualité. C’est ce qui nous rend humain. Et dernièrement, j’ai l’impression que ce monde manque grandement d’humanité.

En somme, l’acceptation et le laisser-aller, le détachement de l’égo, vivre aussi avec le côté sombre et les émotions négatives faisant partie de nos existences, et les laisser être, plutôt que d’essayer de les cacher et les garder en dedans. Des propos finalement similaires à ceux de bien des sages, philosophes et maîtres du moment présent, pour retrouver l’humain authentique, et notre vrai intérieur.

 

Catalyser la violence du monde dans la musique

L’été dernier, Tumeurs s’est produit en concert à Rouyn-Noranda, le premier depuis l’opération de Simon. Il s’y est présenté tel quel, en se décrivant lui-même comme un amputé assoiffé de sang hurlant à la mort. On peut se demander quel cran et courage ça prend pour transcender cette image et cette situation. « Je suis tanné qu’on me demande de passer à autre chose, d’avoir une meilleure attitude. C’est leur propre malaise qu’ils veulent apaiser. Ils s’en foutent complètement de comment moi je vis ça. On m’a amputé, j’ai eu cinq tumeurs en cinq ans, le cancer peut revenir en tout temps. Non, ça ne va pas. Et j’ai besoin de l’exprimer même si ça sort à travers des émotions négatives. »

Et c’est là qu’opère d’un côté cette magie, cette transcendance sonore. Le genre musical le plus brutal de l’histoire contemporaine, celui qui fait frissonner le grand public qui dédaigne les adorateurs de Satan et leurs musiques de dégénérés, devient en fait un incroyable catalyseur de toute la noirceur et la violence du monde. Et finalement ça devient un moyen de passer à travers les épreuves les plus difficiles, avec le pouvoir de soulager. Un peu.

Crier, c’est pas mal la seule chose que j’ai présentement. Je vais le faire jusqu’à la fin, peu importe le nombre de membres qu’il me reste.

Ceux qui n’auraient pas le cran de le faire ne comprennent pas ce que je fais, ne comprennent pas pourquoi je leur crie dans la face.

* Photo par Vicky Neveu.

Humour noir et passeports vers le futur

Mais il faut bien essayer de détendre l’atmosphère. La chanson Death By Mélasse raconte un étrange incident arrivé à Boston en 1919. Un accident dans une usine a causé un raz-de-marée de mélasse bouillante qui a tué 21 personnes et en a blessé 150. « Le texte est abordé avec un ton d’humour noir et de jeux de mots louches. J’avais presque envie de faire des chansons drôles à cette époque. Plus maintenant. » À tel point que lorsqu’on lui demande ce que ça lui fait de monter sur scène pour ouvrir pour les légendaires Voivod, et bien ça ne lui fait rien. « Plus rien ne me fait plus rien depuis un bon moment. »

Pourtant, on pourrait bien regarder vers l’avenir, car le parolier a récemment publié quelques textes en français, laissant peut-être présager un album à venir pour Tumeurs, dans la langue de Molière ? « Sûrement, probablement. Je risque de changer tous les textes une fois à l’enregistrement, si enregistrement il y a. Si avenir, il y a. La vie est de nature beaucoup trop volatile pour être sûr de quoi que ce soit. Seulement ceux avec la tête dans le sable font des plans présentement. »

Et le futur des concerts, il est étrange en ce moment avec l’entrée en vigueur du passeport sanitaire, une mesure très controversée à travers le monde. Selon le chanteur, ce serait plus pour pouvoir repartir la machine capitaliste à fond la caisse plutôt que pour stopper le virus, un aveuglement volontaire et arrogant des gouvernements concernés.

Je suis vacciné, mais j’emmerde vos privilèges de citoyens dociles, retour à la normale à tout prix, votre division des classes et votre sentiment de supériorité sur autrui. On était bien corrects avec les masques et la distanciation sociale. Ça m’évitait d’avoir à vous parler.

Cependant, Simon sait rester reconnaissant, et espère pouvoir apporter quelque chose aux amateurs de musiques extrêmes dont il croise la route.  « Merci d’écouter notre musique. J’espère qu’elle vous aide à tolérer la violence de ce monde un peu. »

En attendant la suite, pour ceux qui sont vaccinés, Tumeurs sera sur la scène du Petit Théâtre de Rouyn Noranda aux côtés de Reanimator et Voivod le dimanche 5 septembre pour la soirée métal du FME. Leur premier EP est disponible ici : https://tumeurs.bandcamp.com/album/get-cancer

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