Thy Art Is Murder

Thy Art Is Murder (avec Ghost Bath, Fallujah) au Théâtre Corona | Solide, malgré l’absence nébuleuse de Decapitated

Décidément, les annulations de spectacles fusent, ces temps-ci. Après Lady Gaga (au Centre Bell récemment, puis au Brésil jeudi dernier), ainsi que U2 ce samedi, à St Louis aux États-Unis… Hier, dimanche 17 septembre 2017, ce fut le tour du groupe de death metal polonais Decapitated d’annuler leur présence à Montréal, dans le cadre de leur tournée nord-américaine « The Double Homicide Tour ». L’annonce du 13 septembre dernier, concernant l’annulation des 10 derniers spectacles restants, a soulevé les mers déjà agitées d’Internet – le groupe étant accusé de viol collectif (voir plus bas). Mais the show must go on : Ghost Bath, Fallujah et Thy Art Is Murder ont quand même livré une solide performance. L’absence de Decapitated n’a pas empêché environ 500 personnes de se pointer au Théâtre Corona. Retour sur une soirée vraiment réussie, malgré un malaise surplombant la salle, comme une vague menace…


Ghost Bath : Auto-mutilation florale

Ghost Bath offre un black metal efficace, où s’agencent bien le post-rock et le shoegaze. Malgré un bel entrain initial, les gars ont rapidement l’air blasés. En alliant des passages lourds, dépressifs et éplorés à d’autres plus rapides et dans-ta-face, ils ont timidement, mais efficacement, réchauffé la salle. Le train des cris violents du chanteur passent efficacement à travers le large tunnel de sa bouche, mais il délivre des stocks cependant presque identiques de chanson en chanson (cris perçants à la Deafheaven). Le groupe propose une mélancolie parfaite, digne des « Rythmes du soir » de Nelligan : Et voici que le lys, la tulipe et les roses / Pleurent les souvenirs dont mon âme se baigne. Ils expriment magnifiquement la beauté de la tristesse, à l’image de leur « artwork ».

Comprenant trois guitares, Ghost Bath brille par l’absence étonnante de solos. Les notes s’allongent, et on marche sur ce sol recouvert de fleurs. Si doux sous nos pieds nus, ce jardin où fleurit le vague à l’âme. Mais ce n’est pas un cimetière. Rien n’est mort ici – la vie se renouvelle. Bref, Ghost Bath : comme une lame somptueuse tranchant les poignets, sous lequels prolifèrent des délicats pétales de roses.

Ghost Bath-Theatre Corona-2017-13

Fallujah : Vulgarisateurs interstellaires

Au tour de Fallujah, de San Francisco, qui prouve rapidement que le « tech death » peut être accessible à tous. Leurs chansons sont toutefois loin d’être simples – elles sont en fait très intellectuelles, même quasi-scientifiques. Fallujah se révèle vulgarisateur du style, les pièces étant accrocheuses. Ça respire et c’est équilibré, grâce aux belles parties clean. À la troisième pièce, les fans forment un moshpit, se foutant de l’immense flaque de bière qui se répand par terre. Certains s’étalent de tout leur long, d’autres saignent subitement du nez ou se font d’autres blessures… Ouch! Mais tous se relèvent quand même, euphoriques.

Avec doigté, les vieilles âmes sages et patientes de Fallujah assemblent les étoiles le plus lumineuses de l’étendue cosmique. Ils deviennent ainsi créateurs de constellations, et même plus encore : ils forment leur propre zodiaque alambiqué. Les fans sont bel et bien vêtus de combinaisons spatiales, flottant sur l’orbite bien calculé de leurs chansons lourdes. Somme toute, ces forgeurs de supernovas ont magistralement captivé l’audience.

Fallujah-Theatre Corona-2017-9

Thy Art Is Murder : les suppléants, vitaux de l’écosystème

Les fans accueillent avec enthousiasme le nouveau headliner. Ils acclament le chanteur, alias CJ. Très charismatique, ce dernier dira plus tard que c’est le « best show of the whole fucking tour ». Ce groupe deathcore, de Sydney, est réellement visqueux. On s’enlise superbement dans ces entrailles marécageuses… Les (trop nombreux?) breakdowns sont des sables mouvants auxquels on ne peut pas échapper – voraces, ils nous engloutissent. On se sent comme dans ces rêves, où on est incapable de bouger, même lorsqu’on se concentre très fort. Tirés par ces mains gluantes, on est entraînés dans ce trou poisseux, vers le centre de la Terre.

Par ailleurs, Thy Art Is Murder est très proche de son public: la scène se transforme en un véritable terrain de jeu. Les fans alimentent leurs réseaux sociaux, en prenant moult photos et vidéos avec les membres. Le bodysurfing est particulièrement intense, les fans s’aventurant par dizaines sur scène, pour ensuite se lancer dans la mer accueillante. Et le chœur des fans qui connaissent les paroles est tout de même assourdissant. Vraiment, on a manqué de rien ce soir! Thy Art Is Murder a bien remplacé Decapitated…

Thy Art Is Murder-Theatre Corona-2017-3

L’absence nébuleuse de Decapitated

Horrible. Simplement horrible, l’histoire présumée derrière l’annulation de la présence de Decapitated au reste de la tournée. Un récit digne de Boring Girls, le roman de la chanteuse Sara Taylor (Birthday Massacre)… C’est effrayant comme la prémisse est semblable, Decapitated incarnant possiblement le groupe fictif DED.

En effet, le groupe de death metal technique de Pologne est accusé d’avoir kidnappé et violé collectivement une femme, suite à un spectacle donné le 31 août, à Spokane dans l’Etat de Washington. Ils auraient invité deux femmes à venir faire la fête dans leur bus, et auraient ensuite abusé de l’une d’entre elles. Ils ont été arrêtés, samedi dernier, le 9 septembre, en Californie, et ont démenti l’événement, refusant de parler sans un traducteur. Les membres ont donné des versions différentes de l’histoire, certains affirmant que la femme était consentante… Le 14 septembre, le groupe se défend contre ces allégations sur sa page Facebook. À noter qu’un seul membre du groupe a voulu passer un test d’ADN… Très douteux, tout ça.

Évidemment, sur la page Facebook de l’événement du spectacle de Montréal, les réactions ont fusé et beaucoup ont crié au canular, disant que les histoires de faux viol sont fréquentes… Des gens ont demandé une réduction du prix des billets. À Toronto, cela a été offert, mais Evenko n’a pas donné suite à ces suggestions. Certains autres fans réclament de redonner une part des profits du spectacles à des organismes de charité, pour dénoncer le supposé événement scabreux (ce qui enrage les anti-féministes)… Bref, sur les mers houleuses des réseaux sociaux, en bon québécois, « ça parle au yable ». Bien malheureusement, toute cette histoire expose une fois de plus le machisme ambiant dans le monde métallique.

Au moment d’écrire ces lignes, Decapitated est toujours détenu à Los Angeles, en attente d’extradition pour Spokane.

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