Andrew Skeels Choreography

Sublime Rose of Jericho d’Andrew Skeels

Grand coup de coeur mardi soir pour Andrew Skeels et sa compagnie, venus présenter à la Cinquième Salle de la Place des Arts Rose of Jericho, proposé par Danse Danse. Cette oeuvre, inspirée par la célèbre plante du désert qui a su s’adapter à toutes les conditions climatiques en voyageant pendant les périodes de sécheresse ou en se déployant quand il pleut, est aussi l’occasion de croiser des regards artistiques d’artistes immigrants. En effet, le chorégraphe s’est entouré de la compositrice iranienne Sussan Deyhim et du styliste mexicain Wilber Tellez afin de poser un regard émouvant et pudique sur la question de la migrance qui lui tient tant à coeur.

Ce sont sept danseurs, quatre femmes et trois hommes, qui se déploient tour à tour en solo, duo, ou petits groupes sur une scène épurée : sol blanc, lumières douces et chutes de tissus unis dans les tons brun-rose pour seuls décors. Ils évoluent ensemble, travaillent les courbes et le poids naturels du corps pour nous montrer que sans les autres, nous ne pouvons exister. Sans support ou personne pour rattraper les danseurs, la pièce, qui est avant tout basée sur la réception et les contacts physiques n’aurait pas pu voir le jour. Sans les autres donc, il n’y a rien. On joue à la fois sur le ralenti et l’accélération des mouvements, comme si une énergie intérieure s’expulsait soudainement de l’interprète pour lui donner la force d’exécuter son mouvement. C’est alors un cri qui jaillit, que l’on peut comprendre comme de la souffrance (celle d’être seul dans cette longue route d’appropriation d’une nouvelle identité), de la lassitude, de l’impuissance ou encore comme une puissante rage de vivre.

Rose of Jericho se penche sur la question des migrants avec beaucoup de douceur et explore les contrastes de cette vie itinérante qui est aujourd’hui le propre de beaucoup de personnes sans aucun jugement. « Le sort des immigrants récemment arrivés en Occident me fait penser à des roses de Jéricho, par leur esprit robuste, tenace, leur capacité à survivre avec très peu et leur besoin de se déraciner pour trouver une terre d’accueil qui leur permettra de s’épanouir », indique Andrew Skeels dans le programme. On comprend mieux alors les longues chutes de tissus qui sont peu à peu déplacées lors de la pièce, passant lentement de mains en mains par petits morceaux et qui symbolisent les maigres ressources que les nouveaux arrivants peuvent amener avec eux. On ne peut s’empêcher de retrouver dans cette gestuelle l’entraide d’une communauté qui quitte son pays natal vers une terre « meilleure » qu’elle essaye d’apprivoiser.

Andrew Skeels exploite aussi les formes géométriques carrées ou arrondies à travers les corps des danseurs. Plusieurs passages en décalés très rapides nous font penser à un kaléidoscope en perpétuelle transformation. Les corps s’imbriquent les uns dans les autres, ondulent, utilisent des mouvements de hip-hop de manière épurée, presque sensuelle. C’est une oeuvre où l’humain parle, où les oppositions (fragilité vs tribalité ; précision vs malléabilité ; séparation vs réunion…) fonctionnent ensembles pour toujours aboutir au réconfort apporté par l’autre.

Le tout est magnifiquement porté par sept danseurs complices, qui sont totalement impregnés par le sujet délicat traité dans la pièce. Ils nous renvoient avec beaucoup d’humilité notre époque dans un miroir, pas si déformé que cela, simplement avec beaucoup de réserve à travers des mouvements de danse vastes et souples. Les interprètes sont accompagnés par une magnifique musique composée de plusieurs morceaux aux accords berbères et moyen-orientaux, qui est le fruit d’une collaboration entre Sussan Deyhim et Richard Horowitz. Vêtus d’habits très modestes dans des tons sobres, ils sont également supportés par de très poétiques jeux d’éclairage, signés Rasmus Sylvest, et qui ne sont pas sans rappeler les couleurs de la rose de Jéricho et du soleil se reflétant sur le sable du désert .

Le poignant Rose of Jericho d’Andrew Skeels est à découvrir jusqu’à samedi soir à la Place des Arts.

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