Sport National d’Hugo Blouin | Un lancement iconoclaste et jouissif
Hugo Blouin remet le couvert de ses explorations musicales qui consistent à intégrer des extraits de dialogues ineptes dans des compositions jazz sophistiquées. Cette fois-ci, c’est le lancement de Sport National et c’est à propos du hockey, après avoir exploré la crosse sur deux albums de Charbonneau ou les valeurs à’bonne place.
Le précédent projet d’Hugo Blouin, Charbonneau ou les valeurs à’ bonne place, explorait les dialogues parfois absurdes, parfois d’une extrême vacuité, tous tirés de notre haletant télé-roman que fut la Commission Charbonneau, pour les transformer en morceaux de jazz, tout en explorant la musicalité des voix, avec une certaine filiation au Trésor de la langue (1990) de René Lussier. Cela avait donné lieu à deux albums de grande valeur, à découvrir urgemment si ce n’est pas encore fait.
Cette fois-ci, Hugo Blouin explore une autre partie de notre folklore national, le hockey, un domaine aussi très riche en dialogues abscons et en proverbes réinventés à la Jean Perron. Il y a du malaisant en masse, de la masculinité toxique, de la misogynie, en passant même par des moments historiques.
Sur scène, on retrouve une grande partie de l’équipe présente pour Charbonneau ou les valeurs à’ bonne place, à savoir Hugo Blouin à la contrebasse et aux compositions, Jonathan Turgeon (l’Abîme) aux claviers, Alex Dodier (Hubert Lenoir, l’Abîme, Blanche Baillargeon) à la flûte et au saxophone, Julie Houle (René Lussier) au tuba et Jean-Philippe Godbout (Gazoline) à la batterie.
Côté chant, pour le présent projet, c’est la sobriété qui a été mise de l’avant avec seulement l’impeccable Julie Hamelin, alors que le projet Charbonneau incluait tout de même quatre voix. Une simplicité qui mise davantage sur la valorisation des textes au détriment d’arrangements de voix forcément plus complexes, où le propos pouvait parfois sembler dilué.
Les musiciens arrivent sur scène… en chandail de hockey! Le pianiste Jonathan Turgeon est en uniforme d’arbitre et Hugo Blouin porte le chandail des Nordiques. Le premier morceau est d’ailleurs basé sur la déclaration déchirante de Marcel Aubut qui annonce la vente des Nordiques, un moment tragique qui amène la composition dans le registre plus sombre aux allures de requiem jazz.
Pour introduire les morceaux, Blouin nous présente un extrait vidéo dont le verbatim est ensuite mis en musique et chanté par la sémillante Julie Hamelin. Cette dernière prend visiblement beaucoup de plaisir à l’exercice, faisant fi de la complexité des lignes avec une aisance remarquable et animant le texte de mouvement expressif.
Les thèmes abordés sont très diversifiés, entre le premier coming-out d’un joueur (en 2020…), la première jeune fille à jouer dans une équipe suivie d’édifiantes questions auxquels ont droits les hockeyeuses. Il y a aussi les moments d’histoire avec le discours d’apaisement de Maurice Richard suite à l’émeute du Forum en 1955, la guerre froide qui se projette dans la Série du Siècle opposant le Canada à l’URSS en 1972. Ça se termine avec le match le plus important du hockey qui semble être la finale féminine des Jeux Olympiques de Sotchi en 2014 avec les buts déterminants de Marie-Philip Poulin. Je laisse les amateurs du genre commenter ce choix en long et en large, je ne suis vraiment pas qualifié pour émettre un avis sur la question.
On pourrait parler de sport « ad Vietnam æternam » – Guy Carbonneau
Évidemment, les gérants d’estrade de nos radios et télévisions sont la source inépuisable d’expressions mal à propos ou déformées. Ce qui donne lieu au titre Ça sent la coupe qui amalgame ces perles de français avec la collaboration d’Olivier Niquet qui fait carrière sur ce terreau fertile de la déviation verbale plus ou moins heureuse. Difficile de rester sérieux avec des paroles de même, on en oublierait parfois la belle composition sur laquelle repose solidement ces failles languagières.
Tout cela est évidemment prétexte à des morceaux variés, plus rythmés sur ce projet, voire même funky, avec bien sûr, une dose de sons d’orgue tout droit sortis du Centre Bell. Et c’est également dans la joie et l’allégresse que génère notre sport national que les musiciens évoluent ce soir, offrant des solos inspirés et des interventions iconoclastes, comme le tuba de Julie Houle qui cite le thème musical de La Soirée du hockey. La bonne humeur est de mise !
Alex Dodier nous offre un dernier solo particulièrement notable, Jonathan Turgeon au clavier est aussi remarquable. Et Hugo Blouin chante avec entrain pour accompagner Julie Hamelin, tout en attaquant vigoureusement les cordes de sa contrebasse.
En invité spécial, c’est la légende Jean Derome, aussi en chandail de hockey, qui vient souffler à la flûte sur un titre puis au saxophone sur le suivant. Au vue de sa prestation, on comprend pourquoi il est révéré, avec des interventions marquantes qui puisent au cœur du morceau pour en sortir un solo pertinent.
Avec un second degré bien présent et un amour de son sujet, Hugo Blouin apporte un nouveau chapitre à sa recherche sur le langage et ses travers, dans le domaine du hockey cette fois. On aurait pu craindre à la redondance mais il se renouvelle encore, avec des compositions solides et nouvelles. Et il répand de la joie et des rires autant sur scène que dans le public. C’est un grand moment de plaisir iconoclaste, tout pour satisfaire mon goût de l’absurde et de l’excellent jazz. C’est jouissif!
L’album sera disponible le 21 avril.
- Artiste(s)
- Hugo Blouin, Jean Derome, Julie Hamelin, Sport national
- Ville(s)
- Montréal
- Salle(s)
- sala rossa
- Catégorie(s)
- Jazz,
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