crédit photo: Pierre Langlois
René Lussier

Soirée double | René Lussier et Simon Angell : Deux guitaristes improvisateurs aux aspirations proches

Comment finir la semaine en beauté? La soirée a commencé à la librairie Résonance avec la guitare de Simon Angell et la contrebasse d’Eli Davidovici pour une relecture inventive du classique de John Coltrane, A Love Supreme, dont on fête les 60 ans de l’enregistrement à un jour près. Après avoir descendu le boulevard St-Laurent, René Lussier nous a offert tout une soirée au Ministère pour fêter les 50 ans de son premier concert avec son style bien à lui accompagné d’un groupe de haute volée.

A Love Supreme revisité par Simon Angell

C’est toujours un bonheur de se retrouver dans la chaleureuse ambiance de la librairie Résonance, entouré de livres sur la musique, proche du coin Saint-Laurent / Beaubien. Si vous cherchez de quoi d’écrit sur la musique, c’est forcément dans la boutique! Et c’est encore plus de fun quand c’est le concert mensuel de la résidence du guitariste Simon Angell. En compagnie du contrebassiste Eli Davidovici (Bellbird, Shapes), ils nous proposent une relecture inventive et joyeusement infidèle du mythique album de John Coltrane, A Love Supreme, enregistré le 9 décembre 1964.

Angell nous prévient d’emblée que la fameuse Jazz Police ne va pas aimer son angle d’approche. Mais j’ai trouvé ça plutôt respectueux de l’original avec quelques improvisations senties et des fulgurances bruitistes qui sont la marque de fabrique et la richesse du guitariste, le tout supporté par la contrebasse solide de Davidovici. Les thèmes sont bien présents et développés parfois irrévérencieusement mais de façon constructive et réfléchie.

C’est une interprétation vraiment remarquable du Love Supreme qui nous a été offerte et qui a particulièrement plus au maigre public présent ce dimanche soir et qui mériterait une exposition bien plus importante. Avis aux amateurs et aux programmateurs!

 

Les 50 ans de carrière de René Lussier

Après ce beau concert, nous descendons deux kilomètres sur Saint-Laurent pour nous retrouver au Ministère en compagnie de René Lussier qui fête le 50ème anniversaire de son premier concert, jour pour jour, le 8 décembre 1974 au Cinéma Chambly avec le groupe Arpège.

La salle est pleine à craquer et on retrouve un public diversifié, autant de têtes blanches que de plus jeunes. On a notamment retrouvé deux jeunes hommes qui avaient découvert Lussier lors de sa prestation en première partie de Zouz et qui ont la curiosité d’écouter un concert entier de notre mythique guitariste québécois! Il faut dire que le guitariste est un marqueur de la musique québécoise, que ce soit avec ses collaborations avec le guitariste Fred Frith, le saxophoniste Jean Derome, le metteur en scène Robert Lepage, le poète Patrice Desbiens ou ses multiples directions musicales sur disques comme le marquant Trésor de la langue.

Lussier monte sur scène avec son perpétuel sourire en coin et toujours le bon mot rieur pour mettre tout le monde dans sa poche en moins de vingt secondes. Il est accompagné d’une solide formation à la composition originale : Luzio Altobelli est à l’accordéon (Sagapool, Ironico Orkestra, La fanfare Pourpour), Julie Houle au tuba (Ensemble SuperMusique, la fanfare Pourpour, Ratchet Orchestra), Guillaume Bourque aux clarinettes (Charles Papasoff, Érik West-Millet, La Fanfare Pourpour, Pierre Lapointe, Philippe B), Hugo Blouin à la contrebasse et aux chœurs (Sport National, Charbonneau ou les valeurs à’bonne place, l’Abîme) et l’omniprésent et phénoménal Robbie Kuster est à la batterie et à la scie musicale (Patrick Watson, Louis-Jean Cormier, Willows, Black Legary, Marianne Trudel, Yannick Rieu…).

Lussier avait prévenu dans la presse que ce ne serait pas un concert rétrospective à base de nostalgie et de regard dans le rétroviseur mais plutôt une célébration de ce jalon que sont ces 50 ans de carrière. Et effectivement, le toujours jeune guitariste regarde en avant, en témoigne le répertoire et son groupe de musiciens aventureux présents ce soir et qui l’accompagne dans ses récentes aventures.

Tout au long de la soirée, Lussier joue avec ses musiciens en multipliant les interactions : en duo avec Robbie Kuster pour des improvisations dynamiques et endiablées (un album Lussier / Kuster est en route…), avec la contrebasse d’Hugo Blouin pour un côté plus chansonnier et avec tout le groupe où chaque musicien apporte sa personnalité originale. Et si la présence d’un accordéon, d’un tuba ou d’une clarinette basse est loin d’être courante, Lussier sait intégrer ces couleurs à son répertoire et jouer de ces différences.

Outre la scie musicale de Kuster, une autre originalité de Lussier est de jouer sur quelques titres de son daxophone : cet instrument peu commun est composé d’une languette de bois monté sur un trépied et joué à l’archet. Le son est modulé en hauteur par une pièce de bois. Cela produit un son très expressif et vocal, proche des voyelles d’une voix humaine. Un bel instrument qui ouvre grande la porte à l’improvisation.

Pour accompagner cette célébration plutôt irrévérencieuse du demi-siècle passé, je me serais tout de même attendu à quelques invités bien flyés pour agrémenter la soirée. Finalement, il n’y en aura qu’une seule, Lou Babin (la Fanfare Pourpour, les Zappalaches) qui vient chanter Drapeau blanc en mélangeant sa voix avec celle de Lussier. J’avoue découvrir ce soir le côté chanson de Lussier, avec grand plaisir : ses textes sont particulièrement bien troussés et plein de poésie. L’interaction entre sa belle voix bien articulée et ses lignes de guitare n’est d’ailleurs pas sans rappeler l’univers d’un Fred Fortin qui sait puiser son inspiration à de belles places!

Dirigeant l’orchestre par de larges mouvements de son manche de guitare, René Lussier nous a offert une soirée très riche où s’est mêlée toute la diversité du personnage, entre chanson et improvisation bruitiste, compositions très écrites et dialogues musicales improvisées. Lussier continue à jouer, de la musique, de la guitare et avec nous! S’il avait besoin d’asseoir davantage sa réputation, il a encore une fois prouvé son imposante place dans notre patrimoine musical. Le tout avec un grand sourire enjôleur et toujours la petite blague!

 

Photos en vrac

René Lussier

 

Simon Angell et Eli Davidovici

 

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