Savoureux menu à L’OM cette semaine: le Double concerto pour harpe et violoncelle et la 5ième symphonie de Chostakovitch
L’analogie gustative est tout à fait appropriée pour décrire ce qui s’est produit à la Maison Symphonique vendredi soir. Un banquet musical généreux sous la nouvelle baguette de Nicolas Ellis. Ceux qui le suivent sur les réseaux sociaux savent qu’il a littéralement CASSÉ sa baguette cette semaine en répétant la pièce principale à savoir la 5ième Symphonie de Chostakovitch. Le jeune chef y a mis tout son cœur et sa passion pour l’œuvre. D’ailleurs celui-ci, visiblement très à l’aise avec le public, s’est permis une contextualisation des œuvres en début de programme nous permettant de comprendre sa vision des plats à venir.
Petite Suite pour petit orchestre de Germaine Tailleferre
Cette pièce se veut la mise en bouche du banquet musical auquel on assiste. La compositrice du 20ième siècle, de la garde rapprochée de Ravel et Milhaud, a créé cette Suite en 3 courtes parties. Le Prélude au thème aérien en une musique légère nous a fait faire un court vol plané agréablement dirigé. Sur la Sicilienne en deuxième partie, plus cadencée, on entendait déjà davantage de couleurs. La finale plutôt percussive fut une belle introduction à l’orchestre dans son ensemble, mettant la table pour ce qui allait suivre.
Double concerto pour violoncelle et harpe de Denis Gougeon (en première)
S’enchaîne ensuite le Double concerto pour violoncelle et harpe du compositeur Québécois, Denis Gougeon; dernière portion d’un triptyque comme nous l’a expliqué Ellis puisque le compositeur avait déjà fait un concerto pour violoncelle et un pour harpe précédemment.
D’abord, la harpe a fait son entrée dans la maison symphonique. L’instrument véritablement majestueux de Valérie Milot a volé la vedette quelques instants. Puis, la harpiste et son acolyte, Stéphane Tétreault, non moins flamboyant, au violoncelle se sont installés. Il va sans dire que leur amitié et leur connivence manifeste se traduit dans leur musique.
La nouvelle composition de Gougeon débute de façon endiablée, une véritable course je dirais sous forme d’un duel initial entre harpe et violoncelle que l’on suit comme un film qui se déroule sous nos yeux. L’orchestre ponctue l’action. Le jeu très précis de Valérie en début de course s’entend très bien mais je dirais qu’on n’entendait malheureusement très peu celui de Tétreault au violoncelle, enterré par l’orchestre par moment. Par ailleurs, celui-ci se démarque davantage environ à la moitié de l’œuvre. Ses solos dans les graves changeait le ton de ce qui s’avérait jusqu’ici une pièce moins lyrique.
Les moments les plus intéressants de l’œuvre sont ceux où harpe et violoncelle se côtoient seuls avec l’orchestre disons, plus en sourdine. Ces moments délicieux nous ont fait découvrir des lignes mélodiques majestueuses d’une histoire céleste que Gougeon avait à nous raconter. Je crois que les différentes voix seraient plus faciles à nuancer si cette œuvre était enregistrée. Ceci dit, le duo Tétreault-Milot existe déjà sur l’album Transfiguration, ce qui peut expliquer cette connivence absolue qui s’entend et rend leur interprétation lumineuse. Le concerto se termine en révélant tout le panache de ce duo accompagné des cordes qui cette fois appuient bien leur talent. Un jeu de Tétreault empreint d’une certaine humilité pour laisser la place à la délicatesse de la harpe de Milot fut dégusté par un auditoire captif et conquis. Cela leur a valu une ovation en fin de première partie!
Symphonie No. 5 en ré Mineur de Chostakovitch
Finalement, le plat de résistance attendait les musiciens (et l’auditoire!); la 5ième Symphonie de Chostakovitch qui a vraisemblablement plu au public. Trois ovations, cris de joie, etc.! On se serait crû devant un match du Canadien ou en Russie en 1937 (c’est selon).
Comme Ellis l’a justement décrit en début de course, Chostakovitch a créé cette symphonie dans un contexte bien particulier. Stressé, disons, par les menaces de Staline à son égard après le tollé qu’avait créé la présentation de son Opéra Lady Macbeth dans le quotidien Pravda, le compositeur était, comment dire, «sur le gros nerf» avec sa 5ième symphonie craignant pour sa vie si sa composition ne respectait pas les exigences du parti. N’ayant pas envie de célébrer son œuvre au Goulag ou pire, six pieds sous terre; il a du composer entre le désir de conservatisme du parti et ses inspirations modernistes. Heureusement cette symphonie fut couronnée d’un grand succès mais comme le soulignait à juste titre Ellis, c’est non sans un certain sarcasme grinçant que l’on peut entendre certains airs victorieux notamment dans sa quatrième partie.
En quatre mouvements, la symphonie débute par un Moderato en forme sonate. Les thèmes y sont bien présentés et Ellis prend le temps de bien faire respirer l’œuvre. Sans empressement, c’est avec délicatesse qu’il nous laisse s’imprégner des thèmes principaux. La flûte entre autres nous offre une superbe sonorité dans cette partie et les cors apportent le grandiose. Vif contraste avec les cordes galopantes voire percussives, les musiciens opéraient au doigt et à l’oeil du jeune chef pour qui avait déjà dirigé cette symphonie auparavant. La fin du Moderato aurait pu être mieux définie sombrant à quelques moments dans la cacophonie, mais ce premier mouvement fut somme toute réussi.
C’est dans le deuxième mouvement Allegretto sous forme scherzo,étant plus entraînant, qu’Ellis nous dévoile le dynamisme de sa direction. Avec énergie et dévouement les contre-basse embrase les coeurs d’emblée. Les bois se sont démarquées dans ce mouvement très rythmé. Les cordes nous ont ensuite entraînés dans la danse voyant valser la baguette du chef sous leur yeux.
Le troisième mouvement, Largo dans son chromatisme fut mon préféré. Forcément moins triomphal que le 4ième mais tellement plus touchant. Comme une caresse les violons auquel s’ajoute les violoncelles nous montre le drame soviétique qui se joue sous nos yeux. La flute accompagnée de la harpe viennent pleurer leur désolation que le violoncelle et contrebasse viennent consoler. Magnifique mouvement, tout en douceur et en subtilité. Entendre ces musiciens être si nombreux en sourdine; mais entendre quand même; le génie d’un orchestre bien dirigé.
C’est dans le dernier mouvement, Allegro non troppo que la fougue s’est emparée du jeune Nicolas Ellis. La partie la mieux exécutée par l’orchestre à mon humble avis. Les cordes ont offerts une performance hors du commun à l’unisson. La mélodie que s’échange corde et vent nous révèle des couleurs fabuleuses et le thème ramené par les cors triomphants ponctué par la caisse claire nous rappelle le contexte historique de l’écriture de la symphonie, «Dans ta face, Staline ! » semble exprimé Chostakovitch. Message visiblement compris par le chef d’orchestre de la soirée.
Ellis a dirigé le tout d’une main de maître et a su impressionner l’auditoire avec son grand banquet musical. Il est possible d’assister pour une dernière fois à cette combinaison heureuse de saveur musicale puisque l’OM présente ce programme ce dimanche 19 février à 15h à la salle Marguerite Bourgeoys dans Ahuntsic-Cartierville. Détails et billets par ici.
- Artiste(s)
- Denis Gougeon, Nicolas Ellis, Orchestre Métropolitain, Stéphane Tétreault, Valérie Milot
- Ville(s)
- Montréal
- Salle(s)
- La Maison symphonique
- Catégorie(s)
- Classique, Classique, Contemporain,
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