
Sarod Sublime au Palais Montcalm | Raga en résonance
Samedi dernier, au lendemain d’une prestation au Gesù dans le cadre du festival Accès Asie à Montréal, la salle D’Youville du Palais Montcalm accueillait à son tour les étoiles montantes de la musique classique indienne : les Sœurs Sarod, Troilee Dutta et Moisilee Dutta, accompagnées du maître du tabla Indranil Mallick. Une soirée toute en nuances, orchestrée avec raffinement par le Centre Kabir, organisme dédié à la mise en valeur des arts traditionnels de l’Asie du Sud et à leur dialogue avec les pratiques artistiques contemporaines, tant au Québec qu’ailleurs au Canada.
Originaire du nord de l’Inde, le sarod est un instrument à cordes d’une grande expressivité, issu du rubab afghan et perfectionné au fil des siècles. Son usage est historiquement associé à la virtuosité masculine : voir deux femmes en devenir les ambassadrices sur scène est en soi un geste fort, porté par une maîtrise qui force l’écoute.
Le concert s’ouvre sur un long raga, forme musicale emblématique de la tradition indienne. Le raga, cœur vibrant de cette musique savante, n’est ni une simple mélodie ni une composition figée. C’est un cadre vivant, une trame mélodique et expressive qui guide l’improvisation. Chaque raga est associé à une couleur émotionnelle, à un moment du jour, à une ambiance intérieure. Il se déploie lentement, par strates : d’abord sans rythme (alap), puis soutenu par les cycles du tabla. Jouer un raga, c’est installer un monde sonore, le laisser respirer, et l’habiter avec finesse. Un art de l’instant, façonné par la tradition, mais renouvelé à chaque interprétation.
Le temps s’étire, les couches sonores s’installent. On entre peu à peu dans un état de concentration active. À chaque solo, les deux musiciennes échangent des motifs en miroir : appels, réponses, reprises et prolongements. Leurs phrases s’enchaînent avec une fluidité complice, jouant sur les textures, les attaques frottées ou pincées, les densités changeantes.
Indranil Mallick impose sa présence avec un calme déconcertant. Son jeu au tabla — rapide, précis, lumineux — est d’une virtuosité contenue. Les crescendos s’élèvent sans rupture, avec un sens du phrasé rythmique impressionnant. Il soutient, propulse, respire avec les solistes.
Le sarod, sensible à la chaleur et à la lumière, nécessite des ajustements en direct. L’accordage devient ici un moment en soi : rituel sonore d’une précision artisanale. Chaque corde, chaque harmonique est accordée à l’oreille. Un fil casse : il est remplacé sans hâte, dans un respect absolu du moment.
Le dispositif scénique est d’une grande sobriété. Pas de chorégraphie, aucun effet visuel. Sur scène, les musicien·ne·s sont assis·es sur un tapis traditionnel indien appelé durrie, accompagné de coussins de sol épais, ou gaddis. Ces éléments, à la fois pratiques et symboliques, créent un espace intime propice à l’écoute et au recueillement. Assises droites, concentrées, dans des tenues souples et élégantes, ornées de bijoux discrets, les musiciennes laissent toute la place à la musique. Rien ne détourne l’attention : chaque détail participe au respect des traditions scéniques de la musique classique indienne, où le moindre geste contribue à la sacralité de l’instant musical.
La première partie dure près d’une heure, construite comme une montée lente vers l’extase. Un changement de tempo marque la dernière section : les motifs s’accélèrent, les dynamiques s’intensifient, puis un dernier éclat rythmique conclut l’arc narratif du raga. Un véritable paysage harmonique, mouvant, méditatif.
En deuxième partie, les sœurs proposent un raga plus court, suivi d’une composition originale. Celle-ci, bien qu’ancrée dans les traditions classiques du nord de l’Inde, intègre des éclats de jeu presque ludiques. Elles s’y surprennent elles-mêmes, esquissent des sourires. La tradition ici s’anime d’un souffle personnel.
Les artistes prennent le temps de remercier, avec une sincérité touchante, exprimant leur gratitude pour l’écoute offerte.
La musique entendue ce soir-là ne relevait pas seulement du divertissement : elle était invitation à la transformation. Un espace sonore propice à la concentration, à l’éveil. On dit que certains ragas peuvent susciter l’extase ou l’épiphanie. Ce soir, c’était une porte entrouverte.
- Artiste(s)
- Soeurs Sarod
- Ville(s)
- Québec
- Salle(s)
- Palais Montcalm
- Catégorie(s)
- Acoustique, Classique, Indien, Musique du monde, Musique sacrée,
Vos commentaires