Saison 2018-19 du Théâtre du Rideau Vert : Les femmes ont soif !

Fondé en 1948 par deux femmes visionnaires, Mercedes Palomino et Yvette Brind’Amour, le Théâtre du Rideau Vert est le plus ancien théâtre professionnel au Canada. Pour marquer le coup, la directrice artistique du TRV, Denise Filiatrault, a voulu que les cinq mises en scène de la 70ième saison soient toutes signées par des femmes. Des femmes qui, comme les fées, ont soif de porter librement la parole des femmes.

Ce n’est pas en sentant la soupe chaude autour des questions de parité en art comme ailleurs, que Denise Filiatrault en a décidé ainsi. « La parité, dont on parle beaucoup en ce moment, n’a rien à voir, affirme-t-elle sans ambages. Je programme toujours mes saisons avec deux ans d’avance. J’avais programmé deux metteurs en scène hommes, mais ils ont accepté d’être reportés d’un an quand nous avons eu le flash des Fées ont soif et d’une saison avec cinq femmes metteures en scène. »

Et quel flash, pour ainsi dire un éclair de génie! Le retour après 40 ans de la célèbre pièce de Denise Boucher, décriée et mise au ban alors par les bien-pensants pour son caractère dénonciateur des femmes obligées de se taire, et pour son penchant irréligieux, est un événement en soi. L’auteure de seulement deux autres pièces, Denise Boucher, 83 ans, n’a rien oublié des protestataires indignés voulant faire interdire la pièce au TNM.

« Ç’a été terrible, une vraie histoire d’horreur, dit-elle aujourd’hui. On s’imagine encore que c’était le clergé qui réagissait le plus fort, mais il y avait derrière une grosse organisation des Jeunes Canadiens pour une civilisation chrétienne, un mouvement de droite originaire du Brésil. L’archevêque de Montréal, Mgr Grégoire, n’était pas contre nous, et le clergé est resté dans l’ombre de cette histoire. »  Mais la pression et les nombreux appels à la censure ont fait en sorte que Denise Boucher ait eu à défendre sa pièce devant la Cour d’appel, et même ensuite à la Cour suprême.

C’est Jean-Luc Bastien qui a mis en scène Les fées ont soif à la création, sous la direction artistique de Jean-Louis Roux dont Denise Boucher se souvient comme d’« un homme brave et  courageux, un grand défenseur de liberté qui a ouvert la porte aux femmes. » Sophie Clément, qui jouait à la création, signera la mise en scène au TRV, entourée de conceptrices, toutes des femmes de son choix.

« Je jouais la pute », se souvient Sophie Clément à propos du rôle de Madeleine. Les deux autres personnages sont Marie, la mère que jouait Michèle Magny, et la statue de la Vierge personnifiée par la grande Louisette Dussault. « Elles ont toutes le même moteur dramatique : se libérer de ce qui pèse sur elles, tranche Sophie Clément. Je n’ai pas d’idées préconçues, on est en création, on travaille. Ça va être une lecture différente, parce que nous sommes 40 ans plus tard. Mais, le texte lui, ne changera pas. »

Les comédiennes Bénédicte Décary, Caroline Lavigne et Pascale Montreuil formeront le trio à scandale, dans un décor conçu par la toujours talentueuse Danièle Lévesque.

 

Revue et corrigée : de retour !

Le 27 novembre retentira ensuite au gré du lancement toujours attendu du spectacle de fin d’année, 2018 revue et corrigée. Encore là, une femme dirigera la production, Natalie Lecompte, qui dans le passé a été comédienne et script-éditrice de la revue. C’est Daniel Leblanc cette fois-ci qui agira à titre de script-éditeur. Le collectif des auteurs a été passablement remanié, mais par grande joie, la doyenne Suzanne Champagne sera de retour dans la distribution.

Suivra fin janvier 2019, « Art » de la dramaturge française à succès Yasmina Reza. Créée à Paris en 1993 avec moult remous, traduite depuis en 35 langues, cette comédie satirique sur l’amitié réunira un trio de comédiens pour qui tout paraît gagné d’avance : Benoît Brière, Martin Drainville et Luc Guérin. Trois larrons en foire.

C’est la comédienne Marie-France Lambert, pour sa toute première mise en scène, qui signera cette pièce mordante où les trois amis se mesurent non pas à des histoires de femmes pour se vanter, mais tout bêtement à une histoire de tableau. Une réflexion sagace sur les artistes en art contemporain dont n’importe quel barbouillage minimaliste sur une toile est ensuite perçu comme une œuvre d’art et vendu à prix fort.

Au printemps, Denise Filiatrault a fait appel à Marie-Thérèse Fortin, que tout le monde aime, pour lui demander si elle avait envie de monter quelque chose au Rideau Vert. Parmi les suggestions de la directrice, elle a choisi L’Éducation de Rita, une pièce de l’Anglais Willy Russel créée à Londres en 1980, et traduite ici par la toujours consciencieuse Maryse Warda.

Une comédie à vif donc, portant sur les rêves d’affranchissement d’une jeune coiffeuse, et des conséquences dans sa vie de l’acquisition du savoir qu’elle tirera d’un professeur d’université, tout aussi érudit que poète alcoolique fini. La pièce sera défendue par un duo d’acteurs dont on attendra beaucoup : Émilie Bibeau et Benoît Gouin.

Enfin, quoi de mieux pour finir la saison qu’un Marcel Pagnol? Ce sera une adaptation par Emmanuel Reichenbach d’un film moins connu du coloré maître du rire intelligent, Le Schpountz, qui sera mise en scène par la patronne elle-même.

« C’est un peu mélangeant, dit Madame Filiatrault, parce que c’est du Pagnol, mais pas avec l’accent marseillais et tout ça. C’est une comédie légère, adaptée en québécois et qui se passe de nos jours. C’est touchant, et c’est drôle », dit celle qui a monté déjà Marius et Fanny du même auteur. Ici, c’est le portrait satirique du milieu du cinéma qui attire un parfait inconnu rêvant de devenir un grand acteur, mais qui aura tôt fait de déchanter.

Rémi-Pierre Paquin, « parce que c’est un type de comédien qui convient bien au personnage », selon le flair habituel de Madame Filiatrault, sera le personnage central que jouait Fernandel dans le film en 1938. Les neuf autres comédiens ne sont pas encore choisis (la pièce est dans plus d’un an). Mais, on peut véritablement compter sur les choix par instinct de la metteure en scène pour compléter sa distribution. Elle qui a donné du travail à tellement d’artistes.

Denise Filiatrault aura 87 ans le 16 mai prochain. Elle ne se souvient plus très bien si la prochaine saison du Rideau Vert sera la 11e ou la 12e qu’elle aura concoctée, mais elle conserve pour notre plus grand bonheur son esprit vif et avisé. Le mot retraite, qu’elle a en haïssance, est bien parti pour ne pas lui correspondre de sitôt.

« Je vieillis comme tout le monde, soupire la grande dame, je trouve ça dur, avec des bouts pas faciles, comme tout le monde, mais je passe par-dessus. C’est une question de nature, c’est dans ma nature! »

Vos commentaires