Compagnie Marie Chouinard

Radical Vitality de Marie Chouinard à la Place des Arts | 25 miniatures géantes

La Compagnie Marie Chouinard est de loin la troupe québécoise en danse contemporaine qui tourne le plus à l’international. Chaque nouveau spectacle qu’elle signe ici se retrouve immanquablement dans le circuit mondial, parfois même plusieurs années après sa création. Ainsi, pour souligner sa 22e édition vouée à l’excellence, le diffuseur Danse Danse a programmé deux opus de Marie Chouinard : d’abord son fameux bODY_rEMIX/les_vARIATIONS_gOLDBERG, puis un réel aréopage de courtes pièces qu’elle a titré Radical Vitality, Solos et Duos, dont c’était la première jeudi soir au Théâtre Maisonneuve.

*Photo par Sylvie-Ann Paré.

Décrite comme un « méticuleux assemblage de 25 miniatures dansées », la soirée se compose de fragments d’œuvres autonomes auxquels elle a ajouté trois courtes créations originales. Le résultat, d’un éclectisme hautement voulu, devient le microcosme de la manière Marie Chouinard, avec sa touche toute personnelle, l’originalité et le traitement singulier des chorégraphies qui ont fait la réputation de cette artiste complexe repoussant toujours plus loin les cadres de la danse contemporaine.

Danse humaniste

« Donnez aux danseurs et aux danseuses un mètre carré de plancher, ils et elles peuvent y revivre l’histoire de l’humanité et de la pensée. Je les célèbre, et mon travail est de les redonner au monde », écrivait la chorégraphe dans le catalogue de la Biennale Danza en 2018. Depuis, c’est elle qui a fondé les Prix de la Danse de Montréal, et est devenue directrice de la danse à la Biennale de Venise.

Auteure, artiste visuelle, scénographe, danseuse, réalisatrice comptant aussi bien dans son parcours installations, performances, films, photos, dessins, poèmes et récits, Marie Chouinard offre même une application à propos d’elle et de sa compagnie qu’elle a fondée en 1990.

L’apport de Carol Prieur

Les 25 tableaux que compose Radical Vitality sont de durées allant de 37 secondes, pour Les 24 préludes de Chopin, jusqu’à 13 minutes et 22 secondes pour Étude No 1 où s’illustre Carol Prieur. La grande danseuse avait été la première interprète à la création de Étude poignante, Orphée et Eurydice et Étude No 1. Dans Radical Vitality, elle nous offre le bonheur de la voir danser dans Orphée et Eurydice, Les Trous du ciel, Étude poignante, Le nombre d’or (Live) et même de reprendre cette Étude No 1 qui remonte à 2001.

*Photo par Sylvie-Ann Paré.

C’est la Marie Chouinard danseuse qui avait créé In Museum V2 en 2012, Petite danse sans nom en 1980, et Earthquake in the Heartchakra en 1985. Les extraits de ces trois chorégraphies sont dansés ici dans le même ordre par Clémentine Schindler et Motrya Kozbur, Sayer Mansfield, et à nouveau Motrya Kozbbur. Mais l’empreinte de Marie Chouinard se fait sentir partout, que ce soit aux lumières, à la vidéo, à la scénographie, aux accessoires, de même qu’aux costumes. On pourrait dire qu’elle est à la danse ce que Robert Lepage est au théâtre dans le monde.

Les choix de musiques sont aussi très importants, irradiant chaque morceau d’œuvre pour mieux le magnifier. On entendra plusieurs fois Louis Dufort, mêlé à Chopin, Haendel, Santos, et même un grandiose air d’opéra interprété par la grande Montserrat Caballe.

Malgré les interruptions fréquentes

Le cours du spectacle, de par sa formule d’origine parcellaire, est aussi souvent interrompu qu’il y a d’extraits d’œuvres, mais on s’y fait. La succession des tableaux qui défilent entre deux noirs est tellement riche en éléments inattendus que tout fonctionne. Visuellement, les chorégraphies sont rendues avec une invention aussi fertile en émotions imagées que les accessoires (comme l’utilisation de masques) sont colorés et complètement débridés. Même chose pour les costumes, hallucinants.

En toute liberté créatrice

Un autre élément qui surprend et séduit à la fois consiste en ce que les danseurs émettent souvent des cris tout en exécutant leur partition, des cris perçants, des rugissements plaintifs d’animal en captivité, des cris d’épouvante, des sons gutturaux, des bruits de bouche, des éclats de voix, quand ce ne sont pas des rires moqueurs.

Avec une grande liberté créatrice, Marie Chouinard ne se prive d’aucun artifice scénique pour arriver à son ultime désir artistique de provoquer l’humanité par la danse, déviant du sens commun comme par mutations successives vers l’au-delà, jetant son dévolu sur le spectateur, et le mettant volontiers en danger avec le génie d’un vocabulaire chorégraphique propre à elle.

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