One Night Only

One Night Only au Premier Acte | Respirer, douter, exister

Chez Premier Acte, il n’y avait pas de scène au sens classique du terme. Juste un sol nu, habillé de gros blocs blancs aux formes différentes. Un espace pur où tout pouvait basculer. Là, une jeune femme attendait déjà, seule. Son regard oscillait entre la douceur et la concentration. Elle saluait chaque spectateur qui entrait dans la salle, sereine, présente, ancrée. Puis, après avoir accueilli tout le monde, elle a pris la parole pour introduire la représentation. La nervosité s’est alors emparée d’elle : ses mains se cherchaient, ses mots trébuchaient, sa voix tremblait. D’une sincérité désarmante, elle a remercié, prévenu, annoncé : il y aura un coup de feu, il y aura de la douleur, il y aura peut-être du malaise. Le ton était donné. One Night Only, création du collectif COMPLOT, se présente comme un solo théâtral éclaté, un cabaret à l’humour noir où la légèreté se frotte à l’indicible. Là où la mort côtoie le rire. Là où les mots servent à survivre un peu plus longtemps.

Peu après le début de la pièce, une image frappe de plein fouet : Marianne, l’unique protagoniste, sort un revolver d’une boîte en bois et tente de se tirer une balle dans la tête. Le geste est brusque, inattendu. Le revolver n’est pas chargé. Soulagement. Une montée d’adrénaline la traverse, presque une euphorie. Elle respire fort, rit de soulagement, exulte d’être encore en vie. Silence. Puis, soudain, son téléphone sonne. Elle décroche. La voix d’un homme, celle d’un commissaire de la GRC, se fait entendre à travers les haut-parleurs. Il lui annonce qu’ils passeront demain matin pour venir récupérer le revolver de son père. Ce père dont la présence plane sans qu’on sache vraiment s’il a existé, ou s’il n’est qu’un écho de son mal-être. Tout est flou, volontairement. Dans One Night Only, les certitudes se dérobent, les frontières entre réel et fantasme s’effritent. On assiste moins à une histoire qu’à un effondrement intime, à un combat invisible contre soi-même.

Humour, vertige et lucidité

Marianne, c’est une voix dans la tête, une pensée qui court trop vite. Elle parle, danse, se perd dans ses réflexions. À un moment, elle se transforme en « MC sexy slot », une version hypersexualisée et ironique d’elle-même. Elle joue de son corps, de sa gêne, de nos rire aussi. L’humour devient un refuge, une arme pour ne pas sombrer. Plus tard, dans une envolée, elle demande : « Vous êtes-vous déjà senti insuffisant? » Le silence qui suit est plus fort que tout.

Il y a dans ce spectacle une maîtrise étonnante du contraste. On sourit, puis on se sent coupable d’avoir souri. On se détend, puis on serre les poings. À travers son dialogue avec ChatGPT, sa fausse recette du bonheur (huit heures de sommeil, une heure de sport, quinze minutes pour manger, etc), ou encore sa confession d’avoir supprimé Instagram, tout devient prétexte à une réflexion sur la solitude moderne. Cette façon qu’on a d’étouffer nos douleurs sous des filtres, de prétendre aller bien pour éviter de déranger.

Une mise à nu sans artifice

Le choix de scénographie est essentiel : au sol, tout près du public, la comédienne efface la distance. Chaque respiration devient perceptible, chaque émotion aussi. À mesure que la pièce avance, son regard change. Littéralement. D’abord lumineux, presque enfantin, il s’assombrit, s’encre, devient noir. Elle parle du suicide avec une simplicité éloquente, jamais complaisante. Elle dit la fatigue, le doute, le sentiment d’échec. Elle dit surtout le poids d’être jeune dans un monde qui exige qu’on garde notre jeunesse.

« Je pense que j’ai pas mal plus peur de vieillir que de mourir », confie-t-elle, déroulant un tapis de yoga rose. Elle respire. Elle cherche la paix dans une posture impossible. Downward dog away, littéralement fuit ses angoisses à coups de respirations. Et nous, spectateurs, on respire avec elle, parce qu’on sent bien que tout pourrait s’arrêter là.

Entre Shakespeare et la réalité

Elle joue du clavier, cite Le viol de Lucrèce de Shakespeare, qu’elle juge ayant « mal vieilli ». Elle rappelle que les hommes qu’on aime le plus sont statistiquement ceux qui risquent le plus de nous tuer. Ces vérités-là, dites simplement, font l’effet d’un coup de poing. À travers ces fragments, One Night Only ne raconte pas une histoire : il dissèque un état d’être.

Et quand la fatigue s’installe, quand elle dit qu’elle est désolée, désolée d’en avoir envie, désolée d’abandonner, désolée de ne pas avoir de réponse, on comprend que cette soirée n’est pas un spectacle, mais un cri. Un cri tout doux, étouffé, mais terriblement humain.

Le courage du désordre

Quand la fin arrive, il n’y a pas de coup de feu, pas de flash aveuglant. Juste une phrase : il y a de l’aide. On peut se faire aider. La salle, figée, respire enfin. Les applaudissements montent lentement, sincèrement. Longtemps. Parce qu’on sait qu’on vient d’assister à quelque chose de rare : une œuvre écrue, vivante, inconfortable, où la vulnérabilité devient force.

La comédienne, seule sur scène pendant plus d’une heure, livre une performance remarquable. Elle incarne la nervosité, la dérision, la douleur, la tendresse avec une justesse exceptionnelle. Sa maîtrise du texte, du corps et du silence démontrent un talent à suivre de près; une de ces présences qui marquent, même après la tombée du rideau.

One Night Only, c’est une nuit sans échappatoire. Une nuit où l’on rit pour ne pas pleurer. Une nuit qui nous rappelle qu’au fond, respirer, douter et exister, c’est déjà beaucoup.

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