crédit photo: Mathieu Doyon
ODE (Catherine Gaudet)

ODE de Catherine Gaudet au FTA | Hallucinations contemporaines

S’il y a bien une chose que Catherine Gaudet prouve avec ODE, présentée en première mondiale au Théâtre Duceppe dans le cadre du Festival TransAmériques ce samedi, c’est qu’on a beau tenter de définir ou d’encadrer la danse contemporaine, des œuvres marginales et libertaires trouveront toujours le moyen d’y pousser pour tout faire éclater.

Si on dissèque le plus récent projet de la chorégraphe québécoise sur les plans du costume, de la gestuelle, du rythme, de la musique ou encore de la diversité des artistes qui la portent, la même conclusion s’impose : ODE se démarque, bouscule, fascine. L’inconfort et le repoussement des limites se sont greffés à la réputation de Catherine Gaudet au fil de ses œuvres, dont plusieurs ont été présentées au FTA par le passé, et cette fois n’y fait pas exception.

* Photo par Mathieu Doyon.

Il s’agit bien de danse, mais ce qui frappe dans ODE n’est nullement la complexité de la chorégraphie, l’équilibre ou la flexibilité des interprètes. Aucun mouvement n’est en soi ardu à exécuter, si bien que les capacités techniques des danseuses et des danseurs sont quasi impossibles à évaluer. Ce que ça prend, pour danser l’heure de ODE avec une énergie qui demeure intacte, c’est de l’endurance cardiaque et musculaire, et un abandon total. Ce que détiennent décidément les onze artistes de la Compagnie Catherine Gaudet.

Seulement vêtu.es de léotards aux différentes teintes rosées et de long bas gris, les interprètes se révèlent sous un éclairage néon, immobiles, les bras en V. Espérons qu’ils et elles profitent des quelques secondes sans mouvement qui suivront, parce qu’elles seront les seules. Pendant l’heure bien serrée de la pièce, la répétition rapide de gestes carrés et relativement simples occupe tout l’espace. Elles moulent ODE en un objet presque hallucinogène, qui pourrait traverser la fine ligne de la fascination pour tomber dans l’ennui, mais qui parvient à ne pas y sombrer.

On comprend assez rapidement pourquoi les crédits de l’œuvre font mention de coaching vocal : en plus de tester les limites de leurs corps avec une gestuelle des plus précise et répétitive, les onze interprètes chantent. Ou plutôt, scandent. Le même mot, éternellement, des centaines, peut-être des milliers de fois : « love ». Ces quatre lettres, qui disent tout et rien, flottent dans le théâtre Jean-Duceppe, tantôt chuchotées, tantôt hurlées par les danseurs et les danseuses, insistantes dans nos oreilles.

* Photo par Mathieu Doyon.

À un seul moment, l’amour prend une courte pause et les artistes le troquent pour « help », suscitant des rires dans le public. Qui sait réellement de quelle aide ils et elles ont besoin : comment naviguer l’amour? Faire tenir leurs corps jusqu’à la fin de la chorégraphie? Trouver un sens à cet amas de gestes et de cris si cordés que l’air peine à y circuler? Nulle réponse n’est la bonne. ODE est vaste et puise tellement dans les marges qu’elle fournit autant d’interprétations que de personnes dans la salle.

Il faut bien sûr souligner l’acharnement de Catherine Gaudet, sans lequel une pièce aussi singulière n’aurait atterri nulle part, mais les vrai.es prodiges, ce sont les danseurs et les danseuses, qui ratissent d’ailleurs large en termes d’âge et d’apparence physique. Leur mixité est magnifique et rafraîchissante. La mémoire et l’endurance que ODE nécessite sont considérables et suscitent une admiration qui gonfle avec les minutes. Se mouvoir avec cette intention et cette constance sur une trame sonore pauvre en points de repère relève du tour de force.

C’est sans doute pourquoi le public explose dans une euphorie quand les rideaux se ferment sur la troupe encore en mouvement. Il scande « love » à son tour, dans la meilleure façon de répondre à l’œuvre et de montrer à ses interprètes que cette frénésie est parvenue à le toucher. Difficile d’être imperméable à une transe aussi collective.

ODE sera de retour au Théâtre Duceppe ce dimanche 2 juin et ce mardi 4 juin.

* Photo par Julie Artacho.

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