Norma Winstone

Norma Winstone et Joe La Barbera au Palais Montcalm | Un jazz qui traverse le temps

Québec recevait jeudi dernier dernier, dans l’intimité de la salle D’Youville du Palais Montcalm, six grands artistes du jazz. Sur scène, six musicien·ne·s d’expérience et de virtuosité ont transporté le public dans un univers jazz exceptionnel, porté par la voix unique de Norma Winstone et la précision tranquille de Joe La Barbera.

Face au temps qui passe, la voix se transforme. L’instrument de Winstone, vieilli par les années, révèle, du haut de ses 83 ans, une capacité vocale que j’espère pouvoir préserver aussi. Une résonance profonde, une justesse remarquable. Tout est là. C’est tight. Chaque harmonique trouve sa place. On sent qu’ils ont beaucoup joué ensemble, et qu’ils font cette tournée pour le plaisir de venir à notre rencontre. Étonnant d’ailleurs que ce soit sa première venue à Québec. Merci au Palais Montcalm!

Son pianiste, Florian Hoefner, installé à St. John’s, à Terre-Neuve-et-Labrador, au Canada, est à la tête de l’Atlantic Jazz Collective, complété par le saxophoniste Mike Murley et le contrebassiste Jim Vivian. Le trio joue ensemble depuis plusieurs années et a développé une complicité évidente, tant sur scène qu’en studio. Ils ont enregistré deux albums sous ce nom, dont le plus récent, Seascape (2025), marque une collaboration exceptionnelle avec Norma Winstone et Joe La Barbera.

Ce dernier, batteur invité pour la tournée, apporte à l’ensemble une musicalité et une virtuosité impressionnantes. Son jeu est d’une précision constante, jamais démonstratif, toujours en soutien. Et pourquoi ne pas souligner son âge? Il a 77 ans, le mec, et ça joue solide.

Les musiciens, bien en possession de leurs moyens, ont offert un concert fidèle aux traditions du jazz : écoute, virtuosité, improvisations contrôlées, et exploration musicale au-delà de la zone de confort. Le tout soutenu par des textes, souvent écrits comme des poèmes anglais, parlant des routes qu’il reste à prendre, d’une veuve à sa fenêtre, ou de la promesse d’être toujours là, près de l’être aimé.

Les pièces présentées trouvent leurs racines dans le jazz instrumental. Norma Winstone est connue pour y apposer des paroles, ce qui donne à la voix un tout autre contexte de création. Les lignes mélodiques, initialement conçues sans intention vocale, sont articulées autrement, générant des surprises et une expérience d’écoute singulière.

Elle entame la soirée en rendant crédit là où il est dû : « Cette merveilleuse pièce, dont les paroles me sont souvent attribuées à tort, est en fait de la plume de Jane White. » La soirée se déroule ainsi, dans le respect de cette tradition oubliée : présenter soigneusement chaque morceau et son compositeur.

Ils ont joué l’intégralité de l’album Seascape. Des titres comme Always by Your Side, The Widow at the Window et Trying to Recall proposent une réflexion sensible sur la vie, la mémoire, la perte et la tendresse. Les compositions de Seascape sont signées notamment par Florian Hoefner, Kenny Wheeler, Ralph Towner, Fred Hersch et Maria Schneider, auxquelles Norma Winstone a souvent apposé ses propres paroles. Ce travail d’adaptation transforme chaque pièce en un espace intime, où la voix sculpte le silence entre les notes.

Pour notre plus grand plaisir, Norma s’est laissé aller à plusieurs improvisations vocales, construites dans un registre large et maîtrisé, mêlant idiomes traditionnels et contemporains. Les musiciens se sont aussi épanouis dans cet art de l’improvisation, avec une maîtrise qui démontre que « less is more », selon l’expression consacrée. Mention spéciale pour le solo de contrebasse dans Always by Your Side : si mélodieux dans le registre aigu, et d’une précision remarquable. Le jeu de Joe La Barbera dans Raffish était d’une musicalité rare, avec des textures soutenues, comme un grondement de tonnerre un soir d’été.

Le scat dans Raphy était extraordinaire. Un élan pour conclure une soirée marquée par les balades et les slow swings. Cette dernière pièce révèle qu’ils ont tous les outils en main, et qu’ils savent avec finesse lequel sortir, et quand.

La pièce Running Through My Head était particulièrement émotive. Winstone y partage un souvenir : les prairies du Sussex de son enfance, où elle passait des journées entières à courir avec ses cousins, ont été remplacées par des immeubles de luxe, rendant le lieu inaccessible. La pièce traduit cette perte par un minimalisme poignant.

Enfin, Lady in Mercedes apporte un sourire. Un tutti à six instrumentistes, terriblement satisfaisant. Le scat y est brillant. Winstone construit des solos à développement, épelant les harmonies avec une grande agilité.

Y’a vraiment des spectacles pour tout le monde. Ce soir-là, c’était surtout des sexagénaires dans la salle. Quelques étudiantes en jazz étaient aussi présentes, venues assister à ce concert qui ressemblait à un voyage temporel. De leur expérience, ces musicien·ne·s lèguent quelque chose d’essentiel : une tradition orale du jazz, transmise de scène en scène, de souffle en souffle.

Cette tournée a été saluée pour la synergie entre les interprètes et la qualité des compositions. Elle aura offert au public canadien une expérience jazzistique rare et mémorable.

La tournée est maintenant terminée, mais les albums restent. Et quand on a une carrière de cinquante ans derrière soi, il y a de quoi écouter, redécouvrir, et s’émerveiller encore. Bonne écoute!

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