crédit photo: Pierre Langlois
Nick Cave and the Bad Seeds

Nick Cave & The Bad Seeds à la Place Bell | Alléluia, ô grand Dieu sauvage!

Il ne faut jamais prendre pour acquis le grand Nick Cave. Ses présences à Montréal ont beau être fréquentes, chaque occasion est à savourer et nous rappellent qu’il vaut le coup d’aller le voir à chaque fois, parce qu’il vieillit comme le bon vin. Il en a fait la preuve une fois de plus jeudi soir, alors que le Grand Lord of Gothic Darkness venait présenter à la Place Bell de Laval le contenu de son plus récent disque, l’excellent et lumineux Wild God, et une sélection de titres pigés parmi ses 17 autres albums, cette fois avec ses toujours puissants disciples, les Bad Seeds.

Si Dieu existe, on est en droit de se demander pourquoi il nous enlève toujours les meilleurs en premier.

Pourquoi diantre l’humanité méritait de perdre David Lynch et Marianne Faithful à 78 ans en l’espace de quelques jours en 2025, pendant que Donald Trump, aussi âgé de 78 ans, demeure en bonne santé.

La mort est cruelle, et il faut protéger les dieux du rock qui nous reste : emballez Iggy dans du papier-bulle, équilibrez les médicaments d’Ozzy, appelez Tom Waits pour qu’on s’assure qu’il tienne bon!

Un jour, Nick Cave partira aussi et laissera un vide immense. Mais ce n’est visiblement pas pour tout de suite. Il faut quand même le chérir comme il nous chérit, ce grand philosophe qui explore pour nous les ténèbres de la psyché humaine pour en faire de la poésie poignante sur musique splendide.

À 67 ans, il ne ralentit visiblement pas, c’est ce qu’on constate quand on le voit sur une scène. Vraiment pas besoin de canne, ni de marchette, pas même d’un tabouret ou d’une pause pour reprendre son souffle. Le sexagénaire enchaîne comme ça deux heures et demie de spectacle avec encore une certaine fougue de jeune punk, mais aussi le charisme d’un grand chaman qui a affiné son art au fil du temps. L’art d’ensorceler le public avec ses contes sombres mais magnifiques.

Every song I sing is about a child. Or a girl. And they’re sad. And beautiful. That’s what I do.

Le terme « ensorceler » n’est pas exagéré pour parler de son rapport à la foule. Surtout les deux ou trois premières rangées à l’avant. Ceux qui l’ont déjà vu en spectacle savent de quoi on parle ici : Cave passe environ 75% de son temps à proximité de ceux qui se trouvent au-devant de la foule. Il entre en connexion intime avec eux, attrapant des mains tout au long du spectacle, pointant un gamin ici, un homme là, fixant une femme dans les yeux pour lui dédier une phrase de son couplet.

Le preacher et ses fidèles

Ça a toujours été son style, mais ça se prête particulièrement bien à l’approche lumineuse et gospel de son 18e album, Wild God, paru à l’été dernier. D’entrée de jeu en spectacle, il interprète Frogs et visite aussitôt la foule pour l’embarquer dans sa grand messe en lui évoquant cette image : « Oh, leaping to God, amazed of love / And amazed of pain / Amazed to be back in the water again / In the Sunday rain / In the Sunday rain / Gets you right down to your soul ».

Peu après, il s’installe au piano pour interpréter la chanson titre du nouveau disque, pendant que le charismatique collègue Warren Ellis monte debout sur sa chaise, dos au public, et fait aller son violon (qu’il fait sonner comme une guitare) de manière frénétique! On l’oublie presque, tellement le grand Nick attire tous les regards, mais Warren est un show en soi!

Les autres musiciens sont plus effacés mais non moins efficaces musicalement. Larry Mullins (qui a aussi joué pour Swans et les Stooges) forme une section rythmique subtile mais redoutable avec le grand Colin Greenwood (de Radiohead), avec qui Nick Cave est parti en tournée en duo en 2023, et qui est devenu un membre des Bad Seeds sur la route depuis.

George Vjestica assure les guitares, Jim Sclavunos s’occupe des percussions dont le magnifique vibraphone que l’on peut entendre sur Bright Horses, et une Canadienne s’est jointe au lot, Carly Paradis, aux claviers.

Quatre choristes les accompagnent pour ajouter du souffle aux moments gospel : Janet Ramus, T Jae Cole, Miça Townsend et Wendi Rose.

Ça fait onze personnes et beaucoup d’instruments sur scène, mais avec une sonorisation particulièrement remarquable pour un endroit comme la Place Bell, tout prend sa place et forme un tout époustouflant.

Ça permettra aux chansons douces comme Song of Lake et la touchante O Children, qui suit Nick Cave depuis une vingtaine d’année (toujours d’actualité puisqu’elle traite de l’incapacité du monde actuel à prendre soin de ses enfants), de briller dans toutes leurs subtilités.

Ça permettra aussi de faire rugir les moments plus rock, comme l’incontournable Jubilee Street et From Her to Eternity, un retour aux sources du premier album de 1984. Parlant de piger dans le vieux stock, la bande va même reprendre Tupelo, du deuxième album The Firstborn Is Dead (1985), qui explore l’infâme jour de tempête où Elvis Presley est né.

La grille de chansons ne bouge pas d’un iota d’une soirée à l’autre durant la présente tournée, et on comprend pourquoi : les titres s’enchaînent et font passer les 150 minutes en un clin d’oeil, navigant des jolies et touchantes Joy et I Need You aux vivifiants classiques Red Right Hand – chapeau au fan qui a eu la brillante idée d’apporter un gant rouge pour tendre la main à Cave à ce moment précis! – et l’électrisante (littéralement!) The Mercy Seat.

Au rappel, ils déterrent deux classiques du début des années 1990 : Papa Won’t Leave You, Henry de l’album de 1992, Henry’s Dream, et The Weeping Song de The Good Son paru deux ans plus tôt. Tout ça avant de rebondir vers l’émouvante Skeleton Tree, et bien entendu, la balade très Cohen-esque Into My Arms pour conclure le tout en toute intimité, alors que les Bad Seeds ont déjà retraité au vestiaire pendant que la foule chante le refrain en choeur avec le chanteur installé au piano.

Une soirée des grandes occasions, comme Nick Cave sait le faire.

Il ne faudra jamais s’y habituer : rappelons-nous toujours que chaque visite de Nick Cave par chez nous est précieuse et à célébrer. Même s’il faut se rendre au bout de la ligne orange pour y accéder. Même si les prix des billets montent en flèche. Même s’il reviendra avant longtemps.

Chaque occasion est à chérir.

Grille de chansons

  1. Frogs
  2. Wild God
  3. Song of the Lake
  4. O Children
  5. Jubilee Street
  6. From Her to Eternity
  7. Long Dark Night
  8. Cinnamon Horses
  9. Tupelo
  10. Conversion
  11. Bright Horses
  12. Joy
  13. I Need You
  14. Carnage
  15. Final Rescue Attempt
  16. Red Right Hand
  17. The Mercy Seat
  18. White Elephant

Rappel

Papa Won’t Leave You, Henry
The Weeping Song
Skeleton Tree
Into My Arms

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