Nassara

Nassara au Centre du Théâtre d’Aujourd’hui | Recoller les morceaux

L’écriture percutante de Carole Fréchette et la mise en scène sobre et efficace de Sophie Cadieux laissent des images bouleversantes dans les yeux des spectateurs qui ne pourront qu’être séduits par la dure vérité que transmet Nassara. La pièce québéco-burkinabé, présentée du 7 au 25 septembre au Théâtre d’Aujourd’hui, transporte le public au Burkina Faso, lieu raconté à travers les yeux de Marie-Odile qui tente d’y rapiécer des relations familiales du passé.

Marie-Odile, agricultrice urbaine de métier, se rend à Ouagadougou pour participer à un colloque international sur l’agriculture urbaine. La veille de l’événement, la protagoniste se perd dans les rues de la capitale africaine. Elle vit alors une expérience transcendante, où la beauté des enfants du pays et la gentillesse de l’homme qui l’ont aidée à retrouver son chemin, l’ont frappée de plein fouet. Une fois au colloque, Marie-Odile voit ressurgir ces images, qui ramènent par le fait même son fils disparu et sa soeur décédée, la laissant troublée au fil de sa présentation. Au même moment, Ali, jeune burkinabé de 18 ans, entre brutalement dans l’établissement, armé d’un kalashnikov et d’une confusion immense par rapport à ses motivations.

Marie-Thérèse Fortin (Marie-Odile), Stephie Mazunya (narratrice et spectatrice) et Moussa Sibidé (Ali) ont habité la scène de façon magistrale. À eux trois, ils ont pu faire vivre l’ensemble des personnages dont s’est pourvue la pièce, soit tous les participants du colloque, la famille d’Ali et tous les personnages principaux.

* Photo par Valérie Remise.

 

Le minimalisme de la distribution rendait l’agitation du personnage principal encore plus palpable. À force de rapporter les paroles de ses collègues du colloque, le tout à une vitesse vertigineuse et en gardant une précision d’élocution limpide, la tension ne faisait que monter. Certains moments provoquaient pourtant de grands éclats de rire de la part du public, laissant l’image d’une bombe qu’on désamorçait par moments, seulement pour alléger l’atmosphère.

Le personnage de Stephie Mazunya était d’une importance capitale et d’une grande sensibilité. Agissant à titre de narratrice et de personnage extérieur qui raconte la vie de Marie-Odile et d’Ali, elle a également pris la place du public du colloque vers la fin de la pièce. Cette façon d’analyser d’un regard omnipotent les actions des personnages donnaient une force immense à un protagoniste sans nom.

* Photo par Valérie Remise.

Moussa Sibidé n’était pas présent lors de la pièce. Un problème de visa a empêché l’acteur malien de participer en live à l’événement. C’est donc avec un enregistrement et une projection qu’il aura participé au tout. Jusqu’à la toute fin, il était facile de se persuader qu’il était simplement dissimulé ou qu’il agissait à titre de voix-off. Le spectacle n’a en rien perdu de sa fougue, de son rythme et de la communication impeccable entre les acteurs.

Carole Fréchette a écrit cette pièce en s’inspirant de son propre voyage à Ouagadougou, où les enfants la pointaient du doigt en l’appelant «Nassara», qui signifie «La Blanche» en moré, l’une des langues principales du Burkina Faso. La pièce traitait également d’un sujet crève-cœur : le désespoir d’une jeunesse africaine qui peine à se trouver un emploi malgré une éducation. Ali est un homme de grande culture, qui s’intéresse aux conflits et aux problèmes auxquels l’Afrique fait face. Cette arme, un Kalashnikov appartenant à son cousin, mais qu’il connaît maintenant comme le fond de sa poche, lui semble être la seule façon de protester contre ce colloque, cet amoncellement de savoir qui ne changera à sa situation et à celle de ses camarades.

La scénographie était simple, mais d’une efficacité marquée. Avec un podium à 2 niveaux pour simuler une tablée de colloque, il était aisé de se représenter la discussion animée de l’ensemble des personnages, allant de l’éleveur de porc du Togo à l’étudiante en agronomie de Lyon. Les jeux de lumière et la musique étaient utilisés avec finesse au fil du spectacle. Les ajouts sonores emplissaient l’espace en plus d’accompagner les moments de tension ou de relâchement, alors que les jeux de lumière réorganisaient les corps dans l’espace, tout en redéfinissant l’ambiance à des moments fatidiques.

Nassara a su traiter avec finesse de sujets déroutants, tout en présentant des personnages on ne peut plus humains dans leurs défauts et leurs rêves perdus.

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