Manuel de la vie sauvage

Manuel de la vie sauvage au Duceppe | Brillamment terrifiant

Les valeurs parfois moralement questionnables du monde des affaires sont décortiquées dans toute sa satire dans Manuel de la vie sauvage de Jean-Philippe Baril Guérard, pièce présentée au Théâtre Duceppe jusqu’au 8 octobre. Une mise en scène multimédia tape-à-l’oeil et le jeu époustouflant de la part des acteurs laissent le public pantois à la fin de la représentation, en proie à une dystopie pas si improbable qui frappe en plein visage.

Cindy Bérard, jeune entrepreneure originaire de Thetford Mines et co-fondatrice de l’application Huldu, vient donner sa conférence motivationnelle en brisant complètement le 4ème mur. En s’adressant au public, elle présente, un à un, les différentes règles et principes liés à la réussite entrepreneuriale. Que ce soit la monétisation de ses compétences ou l’importance de prendre la haine comme vecteur de croissance, les concepts sont sensés, soit, mais l’éthique et la morale se retrouvent rapidement exclus.

Huldu, en soi, est une application questionnable. Son but : permettre aux personnes en deuil d’avoir une conversation par message texte avec leur proche défunt, le tout grâce à l’intelligence artificielle. Pour ajouter à l’aspect dystopique de la pièce, le modèle classique d’une grosse entreprise qui proclame être family first (mais est tout sauf ça, évidemment) y est incorporé.

Crédit: Danny Taillon

Le personnage de Cindy Bérard, interprété par Emmanuelle Lussier Martinez, est d’une justesse presque frustrante. PDG de l’entreprise avec une tendance à la compassion très peu exacerbée, ses buts sont toujours très clairs : Huldu avant tout. Elle sera prête à enfreindre plusieurs lois non-écrites de l’amitié, du gros bon sens et de l’éthique sans en sembler trop affectée, vu sa détermination claire et précise.

Ève et Laurent, ses partenaires d’affaires, interprétés par Isabeau Blanche et Maxime Mailloux, bien qu’ayant une tête un peu mieux vissée sur les épaules, se feront tout de même éjecter par Claude, la relationniste de presse, qui est le symbole-même de la priorité qu’est l’image de l’entreprise auprès du public.

L’ensemble des personnages, allant de la PDG cartésienne à l’os, à la relationniste de presse qui est prête à faire tomber les têtes pour le bien d’un projet, sont des archétypes qui ont été revisités maintes et maintes fois. Dans cette pièce, ils sont tous, sans exception, interprétés et racontés avec une justesse telle que même leurs plus gros défauts sont humanisés. On aimerait les détester, mais c’est impossible, leurs motifs semblent tout de même toujours sensés. Et c’est dans ce moment, où on trouve ces raisons sensées, qu’on se rend compte que la déconnexion que l’humain a avec des valeurs fondamentales dans certains environnements de travail qu’on peut qualifier de toxiques.

Crédit: Danny Taillon

 

Du côté esthétique, la mise en scène était extravagante, bruyante au sens propre du terme et tout à l’image d’un Ted Talk de motivation. Beaucoup d’éclairages forts en plein visage du public en plus d’une trame sonore lourde et marquante aux moments opportuns créaient une ambiance hypnotisante en addition du rythme rapide du texte.

En harmonie avec le thème technologique présent tout au long de la pièce, un écran à l’avant-scène occupait plusieurs fonctions, ajoutant une dimension plus intime à la pièce. Utilisé au départ pour présenter les diverses étapes de la conférence de Cindy, il servira ensuite à diffuser le visage des acteurs en gros plan lorsqu’ils sont en coulisses, pour que la relation étroite et pesante avec les autres personnages brillent même pendant leur absence.

Manuel de la vie sauvage brille de par l’interprétation des acteurs et du texte rythmée et percutant, tant dans ses répliques que dans son propos général. Huldu peut sembler être une idée loufoque, mais c’est lorsque la pièce se termine qu’on prend conscience que nous n’en sommes peut-être pas aussi loins que nous le croyons.

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