Lettres d'amour

Lettres d’amour au Centre d’art La Chapelle | Quand les mots traversent les années et les silences

Au Centre d’art La Chapelle, Maude Guérin et Christian Vézina ont offert hier une soirée empreinte de tendresse et de vérités avec Lettres d’amour, la célèbre pièce de A. R. Gurney. Accompagnés du pianiste Yves Léveillé, ils ont prêté leur voix et leur émotion à Andrew et Mélissa, deux âmes liées depuis l’enfance, séparées par la vie, mais unies à jamais par la force des mots. Un amour impossible, souvent drôle, parfois orageux, toujours sincère.

Sur la scène, un piano à queue trône fièrement, noble et imposant. Au devant, un fauteuil, une table basse, un petit bureau en bois : le décor évoque la simplicité des souvenirs qu’on relie avec un sourire tremblant. Yves Léveillé entre sur scène le premier, s’installe, puis les premières notes s’élèvent, douces et familières. On reconnaît des airs qu’on a déjà entendus, dont L’hymne à l’amour d’Édith Piaf, qu’on reçoit comme une caresse mélancolique. La musique enveloppe l’espace, tissant un lien invisible entre les émotions et les souvenirs.

Puis, Christian Vézina apparaît, suivi de Maude Guérin. Ils nous saluent, et avant que la lecture ne commence, Maude confie que c’est son père, décédé en 2024, qui lui avait conseillé de lire cette pièce, certain qu’elle y trouverait un rôle à sa mesure. Il avait raison.

Deux voix, deux présences

Ils se seront écrit une vie durant, de l’enfance jusque dans la soixantaine, laissant les années s’écouler sans jamais rompre le fil de leurs mots. Lui, Andrew, cérébral, réfléchi, prisonnier des convenances et des obligations. Elle, Mélissa, libre, impulsive, drôle, éclatée. Ensemble, ils incarnent cette tension éternelle entre la raison et le cœur. Et tout au long de la pièce, ce sont leurs mots qui tissent le récit de leur lien; lettres d’amitié, de colère, de désir, d’amour, jusqu’à la dernière.

Maude Guérin livre ici une performance d’une précision éloquente. Sa diction est irréprochable, sa projection, naturelle. On sent la comédienne formée, celle qui maîtrise chaque souffle, chaque intonation. Ses mots sont clairs, articulés, presque palpables. Sa voix ne passe pas par les haut-parleurs, elle passe par la chair. On l’entend dans sa vérité brute, et on la reçoit comme un poème.

Christian Vézina, lui, ne vient pas du théâtre, et cela se perçoit, mais d’une façon presque touchante. Il a une voix radiophonique, grave, chaude, enveloppante. On devine l’homme d’expérience, le ton posé. Pourtant, tout au long de la pièce, on ne l’entend qu’à travers son micro, projeté dans les caisses de son, alors que la voix de Maude résonne directement dans la salle. Ce contraste est visible; elle remplit l’espace de sa présence seule, lui semble parler à travers une distance. Un grésillement s’immisce dès le début dans sa prise de son, à un point tel qu’on peine, au départ, à bien l’entendre. Le phénomène rappelle une vieille radio qui capte mal sa fréquence. L’effet, d’abord intrigant, devient vite agaçant, puis s’atténue, heureusement, au moment où il détache un bouton de sa chemise. Le son demeure toutefois altéré, le grésillement restant présent, en arrière-plan, tout au long de la pièce. Il ne projette pas sa voix, il la dépose. Mais même si la technique joue contre lui, la sincérité de son regard et la douceur de son ton compensent.

Le passage du temps et la musique des mots

Tout au long de la pièce, les lettres défilent, les pages se tournent, et le temps passe. Mélissa, jeune fille espiègle, s’exprime avec un ton vif et rieur; Maude adapte sa voix à cette enfance retrouvée. Christian, lui, garde la même tonalité, la même maturité, comme si l’homme que deviendra Andrew était déjà contenu dans l’enfant qu’il était. Ce décalage surprend, interroge : pourquoi ce choix? Peut-être pour souligner à quel point Mélissa, plus libre, a su préserver son âme d’enfant quand Andrew, lui, s’est figé dans la rigueur.

Les lettres dévoilent tout : la mère alcoolique, l’enfance tourmentée, les désirs retenus, les corps qui se cherchent sans jamais se trouver vraiment. L’amour traverse les années, les mariages, les deuils, les échecs. On les voit s’aimer à distance, s’éloigner, revenir, se manquer encore. On les entend se souhaiter « joyeux Noël, bonne année, bon anniversaire » comme on se dit « je t’aime » sans oser le dire.

À certains moments, Yves Léveillé accompagne la lecture. Ses notes soulignent l’émotion, ponctuent les silences, habillent le texte de nuances subtiles. Quand vient le temps des Fêtes, il joue des airs de Noël; ailleurs, des mélodies douces, presque suspendues, laissent place à la nostalgie. La musique devient ici un troisième personnage, celui du temps qui passe.

Une salle froide, un amour brûlant

Le Centre d’art La Chapelle, complet pour l’occasion, vibrait malgré la fraîcheur ambiante. La majeure partie des spectateurs gardaient leurs manteaux, mais leurs cœurs, eux, étaient à nu. Entre rires et soupirs, chacun semblait reconnaître dans ces lettres un fragment de sa propre histoire : un amour non vécu, un mot jamais dit, une rencontre manquée.

Quand enfin les deux personnages s’avouent leur amour, tard, trop tard, la salle retient son souffle. Lui, désormais marié, père, politicien, ne peut tout quitter. Elle, blessée, en colère, s’efface peu à peu, jusqu’à s’éteindre. Puis, dans un geste simple, elle se lève, s’installe derrière lui. Pour la dernière lettre, c’est Andrew qui écrit, non plus à Mélissa, mais à sa mère. Il lui confie ce qu’il n’aura jamais su dire : « elle aura été mon grand amour ».

Quand l’amour survit au temps

Après la pièce, les comédiens restent pour échanger avec le public. Leurs yeux brillent. On sent qu’ils ne jouent pas l’amour, ils le vivent. Leur amour est visible, sincère, présent. Et c’est peut-être ce qui rend Lettres d’amour si bouleversante : cette certitude d’assister à quelque chose de vrai. Hier soir, au Centre d’art La Chapelle, les mots ont remplacés les gestes. Les lettres, les caresses. Et le public, silencieux, a compris qu’il venait d’assister à une leçon de vie, celle d’un amour qui ne meurt jamais, et qui apprend à exister autrement.

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