crédit photo: Marie Sébire
Les Waitress sont tristes

Les Waitress sont tristes à l’Espace Libre | À la recherche d’un sens

Dans le hall d’entrée, ce sont les notes du classique All My Ex’s Live in Texas de George Strait qui nous accueillent, chanson aux timbres country reconnaissables entre tous. Une plongée dans l’ambiance appréciée par le Théâtre Espace Libre, qui aime à recevoir ses convives par des clins d’œil spécifiques selon chaque spectacle.

Avec Les Waitress sont tristes, la compagnie Joe Jack et John revient avec une production qui, au-delà de la représentation théâtrale, s’inscrit dans une véritable promesse sociale : écriture inclusive, processus créatif interdépendant, autodétermination, accessibilité professionnelle. Langue des signes intégrée au spectacle et surtitrage rappellent que ces gestes, qui font la différence, peuvent être pensés dès le processus de création. Signée par Michael Nimbley en co-mise en scène avec Catherine Bourgeois, Les Waitress sont la deuxième pièce dirigée par « un artiste avec une différence intellectuelle » au sein de la compagnie.

Un décor sobre – table, chaise, guitare, bottes de cowboy, jeu de dames –, une lumière tamisée, un air intimiste. On s’attend à des confessions, à des introspections accompagnées d’airs country entraînants. Si les airs country répondent bien à l’appel – les nostalgiques de Out of Control et Achy Breaky Heart seront satisfaits – les confessions et la profondeur du texte, moins. La pièce n’en finit pas de commencer, et ne semble jamais se lancer dans le galop auquel on se serait attendu dans un univers thématique qui évoque nécessairement les grandes étendues sauvages.

* Photo par Marie Sébire.

Morrison le cowboy, personnage principal de la pièce, accompagné de son chat Ti-Mousse, cherche l’aventure et l’évasion, qu’il finit par troquer contre du surplace. Il évolue sur un tapis exerciseur fatigué, signe qu’il tourne en rond ou avance sans jamais aller nulle part. Le bar où atterrit notre cowboy n’est figuré par aucun élément de décor.

Accueilli par cinq serveuses en costumes western – les fameuses « waitress tristes » – Morrison les observe durant leur session de danse en ligne puis commande une cannette de bière imaginaire. La danse en ligne reprend, les serveuses-danseuses lancent une litanie sur la monotonie de leur profession et surtout de leur existence. Morrison les interrompt férocement. Elles osent transgresser son script !

Ici commence la mise en abyme : les danseuses-serveuses-comédiennes jouent à jouer tandis que Morrison se met en scène à les mettre en scène, tout en exigeant une nouvelle bière fictive entre chaque répétition dont on ne sait pas si elle fait partie du spectacle que l’on voit, ou du spectacle que s’invente le vieux cowboy.

À l’ordre lancé par Morrison, « On recommence ! », la scène du début reprend quasiment à l’identique. À ce moment, le spectateur est loin de se douter que cet enchaînement recommencera trois fois, et composera finalement la majorité du spectacle. En rythme avec les artistes, le spectateur se trouve pris dans une spirale de redites, à l’image d’un quotidien dont on ne parviendrait plus à s’extirper – une vieille rengaine, comme un vinyle western rayé.

La scène durant laquelle les danseuses lancent rageusement des bouteilles – imaginaires elles aussi, à l’instar des cannettes de Morrison – à bout de bras, accompagnées de bruitage de verre cassé, relevait la pièce en matière d’action. Instant de rébellion avant le retour à la routine, où l’on comprend que les danseuses-serveuses, non seulement tristes mais surtout en crisse, cherchent, comme Morrison, un sens à leur vie.

L’éprouvante lenteur du propos, les reprises obstinées des mêmes situations – jusqu’à ce que la mécanique se dérègle, et que la petite troupe de danseuses vole en éclats sous la pression de la frustrante inaction – pourront dérouter le spectateur au-delà du raisonnable. À titre de spectateur, on finit par se demander si l’on devrait, nous aussi, trouver un sens à notre vie, hors de la salle de spectacle.

 

Promesse plus ou moins tenue

Le synopsis de la pièce, qui décrit cette nouvelle création « [à] mi-chemin entre théâtre, danse et performance », laissait espérer plus d’agilité chorégraphique et moins d’inertie. L’idée de mise en abîme et de répétition représentait un riche éventail de possibilités qui aurait pu être exploité davantage.

Somme toute, la pièce aurait peut-être gagné à badiner avec l’humour, à jongler avec l’autodérision, des dialogues plus railleurs et un déroulement plus rapide, qui seraient venus amplifier la remise en question existentielle des personnages. On ressort de cette expérience avec le sentiment d’une pièce qui n’a pas commencé, et qui, par conséquent, ne peut pas être achevée.

La pièce Les Waitress sont tristes est présentée au théâtre Espace Libre jusqu’au 1er octobre 2022.  À noter que du 27 au 29 septembre, les représentations seront accessibles aux personnes malentendantes, alors que les 28 et 29 septembre, elles seront aussi rendues accessibles aux personnes non-voyantes et semi-voyantes.

Toutes les représentations de Les Waitress sont tristes comportent dans leur distribution une actrice interprétant partiellement le texte en langue des signes québécoise (LSQ). Les passages du spectacle ne comprenant pas d’interprétation en LSQ seront surtitrées en français.

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