La vie est une fête

La vie est une fête au Diamant | Quand la folie devient miroir

Il est des soirs où le théâtre déborde des murs, où les conventions s’effritent et où les spectateurs deviennent partie prenante d’une expérience collective. Présentée trois soirs seulement au Diamant, La vie est une fête, création de la troupe française Les Chiens de Navarre, s’inscrit dans cette lignée. Plus qu’un simple spectacle, elle déploie une suite de tableaux aussi absurdes que corrosifs, où l’humour noir flirte avec la provocation crue et où la satire politique se mêle aux névroses contemporaines.

Un parlement comme préambule

Tout commence comme si la salle de spectacle se transformait en Assemblée nationale improvisée. Certains comédiens, d’abord assis parmi le public, surgissent tour à tour pour incarner députés et citoyens enflammés. Un président, de gauche bien-sûr, donne le ton et accorde la parole. Au micro, l’une d’elle salue le Québec tout en faisant référence à Tina Turner. Également, on propose un projet de loi qui repousserait l’âge de la retraite à soixante-douze ans. On entend que soixante-dix, est le plus bel âge: on peut prendre de la drogue en connaissance de cause, on peut avoir du sexe sans peur de grossesse. La provocation devient axiome, la caricature s’installe comme évidence.

Les éclats fusent, le Canada est vanté pour ses grands auteurs, mais l’exemple choisi est « Seul sur le sable, les yeux sans l’eau » », tiré de Hélène de Roch Voisine. On déclame des poèmes gérontophiles, on lance des aphorismes sur le vieillissement comme « Vieillir, c’est puiser dans le passé pour nourrir l’avenir ». Puis, clin d’oeil à l’actualité brûlante : une collecte de fonds est annoncée pour Nicolas Sarkozy, condamné le jour même à une peine de prison. L’effet est brutal, entre rire jaune et malaise. La session parlementaire prend fin sous un éclat ironique, et la fête commence sur les accords festifs de Happy Together des Turtles.

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Une urgence psychiatrique en ébullition

Le rideau s’ouvre sur une urgence psychiatrique. Là, tout éclate. Les personnages se multiplient: un schizophrène qui divague, un patient nu qui ne cesse de jouer avec son sexe, un autre qui incarne la bouche et la rage de tout un système. Une médecin détourne un examen gynécologique en cauchemar grotesque, armée d’une perceuse, d’une lime à métal et d’une brosse à toilette.

On parle vieux boomers, Start-uppers et hoverboards. La troupe française, pourtant loin de Québec, glisse des références locales : la série télé Star, la communauté de Wendake, le mouvement #MeToo. Le public rie jaune lorsque fusent les insultes : « Vous êtes plates Québec, vous êtes des fils de pute. »

Dans ce monde sens dessus dessous, la provocation devient langage. Un membre du gouvernement, en visite à l’hôpital, cherche la validation et la réélection; il récolte plutôt l’humiliation ultime. Un patient lui colle son sexe au visage, fouille dans sa couche et le barbouille de ses excréments. La frontière entre le jeu et l’attaque est brouillée lorsque l’acteur lance une poignée de merde dans le public avant de l’asperger d’urine. Le malaise devient partie intégrante de l’expérience.

La pièce ne recule devant rien. Un policier escortant un patient déguisé en Joker laisse apparaitre un testicule par un trou béant dans son pantalon. Plus tard, les comédiens se couvrent de sang, et l’un d’eux se jette sur les spectateurs, escaladant les sièges dans une transe rouge vif. C’est excessif, violent, outrancier. Et pourtant, c’est cette démesure qui fait jaillir la catharsis. Derrière le rire noir et le choc visuel, une critique sociale et politique se dessine: la vanité du pouvoir, le poids du vieillissement, l’obsession de plaire, l’absurdité des discours convenus.

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Seul bémol, mais de taille : le son. Les micros des comédiens grichent à plusieurs reprises, au point d’agresser l’oreille. Vers la toute fin, ils lâchent complètement, forçant les acteurs à poursuivre a capella. Ce problème technique nuit à l’expérience et détourne l’attention, ce qui est dommage tant l’énergie de la troupe reste indomptable.

Au terme des 105 minutes, le spectateur sort lessivé, peut-être ébranlé, certainement marqué. Nudité frontale, insultes, excréments, sang, dérision politique: tout y passe. Et malgré cette accumulation, le temps file, comme aspiré par le tourbillon.

La vie est une fête ose tout, quitte à choquer, quitte à dégoûter, toujours avec cette intelligence féroce qui transforme le grotesque en miroir. Les chiens de Navarre livrent une satire radicale où l’humour noir et la provocation deviennent arme de réflexion. Une pièce déjantée, dérangeante et nécessaire, qui rappelle que parfois, pour montrer la folie du monde, il faut plonger tête première dans la merde.

À voir au Diamant, à Québec, vendredi et samedi soir. Détails et billets par ici.

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