
La trajectoire des confettis au Trident | Quand le chaos devient sublime
Jadis, aux mariages, les invités lançaient du riz à la sortie de l’église. Un geste symbolique, un souhait discret d’abondance, de fertilité et de chance pour les nouveaux mariés. Le riz a été remplacé par des confettis, ces petits bouts de papiers qui ne signifient rien et tout à la fois, qui tombent en tourbillon, en éclats, en liberté. Hier soir, le 24 avril 2025, au Trident, La trajectoire des confettis a rempli la salle comme une pluie d’émotions éclatées, comme un souffle de vie dans ce qu’elle a de plus tendre, de plus fragile, de plus imprévisible. Présentée en grande première, la pièce, qui utilise notamment des effets stroboscopiques tout au long de la représentation, a fait mouche pendant trois heures vingt (entracte compris), et le public, suspendu sa trajectoire, n’a pas boudé son plaisir.
Devant nous, une estrade large et basse qui prenait une grande partie de la scène, est devenue rapidement le coeur battant de la scénographie. Elle tourne, encore et encore, entre les mains et les pas des comédiens. Elle crée le mouvement, guide le regard, transforme l’espace. À chaque rotation, c’est un monde qui change d’axe, une scène qui se redessine. Parfois fluide, parfois saccadée, elle devient la métaphore parfaite de ce que cette pièce raconte: la vie qui tourne, les histoires qui s’entrecroisent, les destins qui se cherchent.
La trajectoire des confettis tisse les fils croisés de plusieurs vies marquées par l’amour, la perte, les rendez-vous manqués et les silences trop longs. On y suit des personnages qui se cherchent, se croisent, se heurtent ou s’éloignent, dans une chorégraphie à fleur de peau. Il y est question de famille, d’amitié, de liens qui s’effilochent ou qui résistent au temps. Chaque scène révèle un fragment de vie, comme autant de confettis projetés dans l’air, portés par le vent de ce qui aurait pu être. Le récit n’est pas linéaire. Il s’effeuille doucement, au rythme des souvenirs et des blessures, et finit par former un tout cohérent, riche, profondément humain.
La musique, elle aussi, tient un rôle central. Présente, imposante même, elle ne sert jamais simplement d’ambiance. Elle agit. Elle rythme. Elle pousse les personnages, module les émotions. Tantôt lente comme une respiration suspendue, tantôt effervescente comme un coeur qui s’emballe, elle devient guide, complice, presque personnage. Son volume, habillement contrôlé, sait quand prendre le relais, quand se faire oublier, quand revenir pour mieux porter ce que les mots ne disent pas.
Le texte, justement, vibre d’une poésie brute. Il parle d’amour, de rendez-vous manqués, de déroutes, de souvenirs. Il parle de morceaux que l’on tente de recoller quand tout semble se disloquer. Et pourtant, malgré la densité des thèmes, jamais on ne s’y perd. La mise en scène éclaire, dirige, ramène à l’essentiel. Même dans les moments de désordre apparent, une cohérence souterraine tient le tout.
Les interprètes, quant à eux, livrent une performance remarquable. Leur jeu est habité, crédible, touchant. Chaque émotion est sentie, chaque geste est ancré. Il faut leur pardonner les quelques hésitations de texte entendus ici et là. Après tout, c’était la première représentation, le moment où l’oeuvre prend véritablement son envol, avec tout ce que cela implique d’imperfections précieuses. Et au fond, ces petites failles ne font que rendre le tout plus humain. Parce que ce qui se joue là, c’est justement l’humanité dans ce qu’elle a de plus désarmante: la confusion, la beauté, la perte, le rire et les élans fous.
On ressort de la salle avec des images plein la tête. Des phrases qui résonnent encore. Des visages marqués. Une sensation étrange, celle d’avoir traversé quelque chose de rare. Il y a dans La trajectoire des confettis, une volonté de dire la vie autrement, de montrer les liens invisibles qui nous unissent. C’est un théâtre généreux, qui ne cherche pas à plaire à tout prix, mais qui touche là où ça compte.
Et si les confettis tombent, ce n’est pas pour célébrer un moment figé, mais pour souligner l’instant, le passage, le mouvement. Car tout ici est question de mouvement, celui du décor, de la musique, des émotions, des corps. Ces mouvements-là, on les suit, on s’y accroche, et on les laisse nous transformer.
La trajectoire des confettis est un succès ardent. Une oeuvre forte, maitrisée, audacieuse. Un moment de théâtre comme on les aime: viscéral, vibrant, et d’une troublante sincérité. La pièce, adaptée pour la scène par Sophie Vaillancourt-Léonard du roman éponyme de Marie-Ève Thuot est présentée jusqu’au 17 mai 2025.
- Artiste(s)
- Marie-Ève Thuot, Sophie Vaillancourt-Léonard
- Ville(s)
- Québec
- Salle(s)
- Salle Octave-Crémazie (Grand Théâtre de Québec)
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