La Queens’ de Jean Marc Dalpé à La Licorne | Heureusement qu’il y a Dominique Quesnel sur scène…
Faut-il se débarrasser de son passé pour mieux orienter son avenir et se propulser dans une autre vie, ou bien rester fidèle à son patrimoine culturel et familial par souci de respect pour ses origines et sa culture? C’est la question que pose a priori La Queens’, la nouvelle pièce de Jean Marc Dalpé, un auteur franco-ontarien qui vit au Québec pour mieux parler des francophones du Nord de l’Ontario qui se battent pour ne pas perdre leur identité et se voir effacés avec le temps dans la mer canadienne anglophone qui les gruge de l’intérieur.
Le texte de Dalpé, qui a des dents, a été développé en résidence d’écriture à La Licorne, deuxième expérience du genre pour lui entre les murs de la compagnie fondatrice La Manufacture, après Août, un repas à la campagne. Et c’est le metteur en scène Fernand Rainville, un complice de longue date ayant créé avec lui le succès Trick or Treat en 1999, qui signe cette pièce dont la facture est malheureusement très inégale.
La Queens’ est un hôtel-motel familial de 60 chambres situé quelque part sur la transcanadienne, et faisant figure d’institution dans le Nord ontarien depuis une quarantaine d’années. Suite au décès récent de la mère, ses deux filles vont s’affronter sur l’enjeu de cet héritage. Sophie, interprétée avec force par Dominique Quesnel, ne veut rien entendre d’une éventuelle vente de l’hôtel, alors que Marie-Élizabeth, jouée avec mollesse par Marie-Thérèse Fortin, grande pianiste internationale retenue pour un concert en Russie, se fait représenter par sa fille pour liquider ce honteux symbole des origines modestes de la célèbre musicienne.
Déséquilibre chez les comédiennes
La pièce s’ouvre avec Sophie au micro, animatrice de karaokés qui font la réputation des lieux. Dominique Quesnel est méconnaissable en chanteuse de club qui sacre à tous les trois mots, portant perruque, faux-cils, bottes à hauteur des genoux et maquillage à outrance. Criante de vérité, la comédienne y met toute son énergie et toute son âme, ce qui manque à Marie-Thérèse Fortin, un mauvais casting pour elle en kimono orange, qui plutôt que de mordre dans son texte, le susurre du bout des lèvres. L’une se défonce alors que la seconde s’enfonce, ce qui crée un déséquilibre fatal.
Par chance, David Boutin est excellent dans le rôle secondaire de Marcel, un entrepreneur louche qui veut mettre la main sur l’hôtel et profiter des éventuelles ressources minières du Nord. Il arrive en scène portant un costume et un casque de ski-doo, habitué qu’il est des vagues de froid nordique durant cinq jours à moins 40 degrés, et jusqu’à moins 60 avec le facteur éolien. Le comédien, qui sacre comme un bûcheron et parle moitié-français moitié-anglais, rend bien l’enjeu identitaire des Francos-Ontariens, qui se trouve au cœur de toute l’œuvre de Jean Marc Dalpé.
Des répliques ainsi formulées : « Ça s’peut fucking tu? », ou encore « Osti que t’es plein d’marde » et « Whoa, cossé j’ai dit de si effrayant? » montrent exactement là où les francophones ontariens sont rendus. Et il est à propos de dire que le texte a été écrit avant l’arrivée au pouvoir du premier ministre Ford, pressé de diminuer leurs droits en les repoussant du revers de la main. « Il n’y a pas d’avenir dans le Nord, sauf pour les mouches noires », dira la pianiste avec dédain. « Ma sœur a toujours su blesser avec aplomb » rétorque Sophie.
Jean Marc Dalpé, qui est allé se chercher une formation de comédien au Conservatoire de Québec, écrit depuis 40 ans des pièces de survivance et de conflits identitaires. En 1979, il a cofondé le Théâtre de la Vieille 17 à Ottawa, et il représente un chef de file du renouveau artistique des années 80 à Sudbury avec le Théâtre du Nouvel-Ontario. C’est là qu’il a présenté sa pièce fétiche, Le Chien, dans la mise en scène de Brigitte Haentjens. La voix du dramaturge, aussi tranchée qu’existentielle, continue de surprendre tout en restant essentielle.
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Notre entrevue avec David Boutin au sujet de la pièce La Queens’
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