Jérémy Demay à l’Olympia | Vu et revu

Sillonnant la province depuis quelques mois déjà, Jérémy Demay était de retour à l’Olympia pour présenter son troisième one-man-show, Naturel. Les critiques acerbes essuyées par l’humoriste en mai dernier par les médias résonnent encore : le spectacle dégage un manque criant d’authenticité.

Avant même que la soirée ne commence, des réactions jaillissent de part et d’autre : le spectacle est une présentation de Meubles RD, l’annonceur expliquant qu’il n’y a pas de décor sur scène parce que l’humoriste ne vit pas dans la salle. Le public rit seulement en entendant le nom de la compagnie affiliée à Jérémy Demay dans le message. Le sketch génial de Pierre-Yves Roy-Desmarais au Bye Bye — qui aurait apparemment « honoré » l’humoriste et l’entreprise — est encore particulièrement frais dans les mémoires.

 

Basique

Jérémy Demay arrive sur scène peu après 20h, débutant son one-man-show en flattant le public dans le sens du poil. L’humoriste explique qu’il est retourné récemment en France pendant six mois, et à quel point son séjour en Europe lui a fait rappeler combien il préfère la Belle Province. L’artiste enchaîne en vantant les mérites des Québécois, expliquant comment l’herbe est plus verte ici et énonçant les qualités de la population locale.

L’introduction semble efficace et réchauffe le public, mais joue tout de même dans la facilité : plus aisé de faire rire son prochain en l’ayant fait manger d’emblée dans le creux de la main!

Le spectacle prend du temps à décoller, Demay enchaîne les interactions anodines avec l’audience (dans le style : « qui est célibataire, applaudissez? », « les personnes en couple vous pouvez applaudir »), avant de se jeter sur son premier sketch : les « matantes », par qui il se dit fasciné.

Jérémy Demay, bien qu’établi au Québec depuis plus de 18 ans, tient encore un regard relativement frais sur sa terre d’accueil.

 

Naturel?

Jérémy Demay ne tarde ensuite pas à définir le cadre de son spectacle : l’humoriste désire explorer des zones plus personnelles, et enlever le masque de « l’homme parfait ». L’artiste veut logiquement faire rayonner une belle image de lui, mais avoue qu’il dégage du beau, ainsi que du moins beau.

L’idée est très sympathique, l’exécution l’est beaucoup moins. Chaque blague semble avoir été entendue quelque part, brimant le concept plutôt encourageant de se mettre à nu devant son public. Une blague sur les influenceuses, comme quoi tout le monde s’en contrefiche de leurs publications et stories? D’accord, qui en doutait. Les chats, en l’occurrence celui de Jérémy Demay, sont moins affectueux que les chiens? C’est connu! L’humoriste est gêné d’entrevoir une autre personne dans la fente d’une « box » dans les toilettes publiques? L’expérience est universelle, sans aucun doute.

Même dans son anecdote la plus croustillante racontée, la chute est prévisible. L’humoriste reçoit après un spectacle à ses débuts une fellation d’une « femme magnifique », avant qu’il ne découvre le lendemain matin que cette femme est en réalité un homme. Sans remettre en question la véracité de l’histoire, le gag a déjà été exploité dans des centaines de spectacles, de séries ou de films par le passé. Réchauffé et prévisible.

L’humoriste se permet quelques bavures sur des enjeux de l’époque : la coûteuse venue des Kings de Los Angeles à Québec, le mandat de Justin Trudeau, il soutient également les professeurs de la province dans leur situation précaire.

Encore une fois, on respecte le fait que Demay prenne position, mais à l’image de ces petites piques politiques et revendicatives, on ne sent pas énormément de prises de risques.

 

Choquer

Vers le milieu du spectacle, Jérémy Demay raconte ses aventures avec son ami, une personne de petite taille, ou un nain. L’humoriste opte pour la deuxième appellation, parce que son compagnon la lui autorise, dit-il.

Le terme peut choquer ou non, le propos n’est pas là, mais utiliser le mot « nain » seulement pour déranger, pour se sentir subversif et transgresser les standards de l’époque sans y apporter une touche de réflexion, c’est simplement terriblement décevant. La chute du gag? Demay dit qu’il n’a jamais aperçu de sa vie un nain âgé, pour assumer qu’ils finissent par rétrécir davantage et se durcir, devenant donc des nains de jardin. Une finalité, encore une fois, en deçà des attentes, surtout quand on connaît le potentiel d’aller à l’encontre du politiquement correct et de dénoncer ce que l’on peut dire ou non dans un spectacle. Parce que l’humour c’est un peu ça au fond. Savoir rire de tout.

Quelques gags sont agréables, des liens entre différentes parties de la soirée sont maîtrisés par l’humoriste, mais dans l’ensemble, on se doute de la direction que prendra chaque sketch.

À l’exception d’un seul instant. Fort inattendu, pour le coup.

Jérémy Demay s’attaque à un couple dans le public, leur demandant préalablement à chacun de ne pas réagir les secondes qui suivent, faisant croire à la femme dans un discours sérieux que son compagnon s’apprête à la demander en mariage. Au milieu d’une phrase, l’artiste troque son air attentif pour un sourire mesquin, révélant l’entourloupe cruelle en rigolant.

« Vous avez tous ri, vous irez tous en enfer », dit Demay.

Un instant qui pourrait faire croire à un revirement de l’esprit du spectacle, sans succès.

« C’est quoi être viril en 2024? », se questionne l’humoriste, avant de répondre que les hommes d’aujourd’hui peuvent pleurer et « pisser assis ».

Des propos novateurs sur l’identité masculine. En 1990, par contre.

Si l’humoriste révèle un brin de ce qu’aurait pu (dû) être le spectacle, c’est malheureusement bien trop tard. Jérémy Demay s’adresse tour à tour à sa femme, puis à se deux filles, sur un fond de piano un peu trop mielleux, dans les derniers instants de Naturel.

Ses discours semblent pour une fois authentiques, et quoi qu’on en dise touchants. Mais à peine deux minutes dans un spectacle de près d’une heure et quart, ça ne permet pas de dire qu’on a appris quoi que ce soit de nouveau ou d’intéressant sur Jérémy Demay.

Malgré les critiques, Jérémy Demay respire la sympathie. À défaut de se mettre à nu, comme le suggérait son one-man-show, ou même son affiche (littéralement), l’humoriste permet de se reconnaître dans des situations universelles. Et pour certains, c’est bien assez comme ça.

Jeremy Demay poursuivra sa tournée aux quatre coins du Québec jusqu’à (au moins) l’automne 2024. Dates et billets par ici.