Ivresse au Théâtre La Chapelle | Immersif

Depuis leur fondation en 2008, les Productions Quitte ou Double cherchent toujours à redéfinir le rapport scène-salle dans leurs spectacles. Avec Ivresse, dont c’était la première mercredi soir au Théâtre La Chapelle, la metteure en scène Mireille Camier vient bousculer le spectateur au point de le rendre partie intégrante de la pièce du jeune auteur allemand Falk Richter. Le résultat donne un théâtre résolument immersif.

Comme pour sortir le spectateur de sa zone de confort dès le début, nous sommes invités à laisser nos bottes ou autres à l’entrée, et à porter dès lors des pantoufles d’un rouge vif évoquant le sentiment d’urgence qui traverse la pièce.

Il n’y a pas de scène pour Ivresse, l’espace au complet en tenant lieu. Les spectateurs sont regroupés en quatre sections comptant chacune une vingtaine de chaises. Deux caméras live, qu’elles soient fixes ou utilisées par les comédiens d’un groupe à l’autre, livrent des images se reflétant sur une toile à deux versants fixée au plafond.

Les comédiens, au nombre de cinq, sont partout à la fois. L’action est localisée ou à aire ouverte. Le discours, lui, est l’élément central de cette pièce traduite et adaptée par Jean-François Boivenue en s’attardant à l’exploration de la psyché de l’humain post-moderne que nous sommes devenus. La proximité des lieux le permet, comme en cédant le passage à la rage devant l’effondrement anticipé de nos sociétés irresponsables.

Crédit photo: Rachel et Michel

Crédit photo: Rachel et Michel

On retrouve donc l’individu isolé avec son iPhone, autant qu’en fragile équilibre dans sa relation de couple. Il y a d’un côté l’establishment, les crosseurs en tout genre, les oligarques, les décideurs du système néo-libéraliste imposé, les paradis fiscaux pour les bandits à cravate, et de l’autre côté le couple relevant d’un « capitalisme amoureux », comme nous le présente Mireille Camier dans le programme.

Et si la notion même de couple était une erreur de l’humanité ? Les thérapeutes ne seront jamais assez nombreux pour nous aider à nous trouver nous-mêmes et à retrouver l’autre. Qu’est-ce qui vient après? L’auteur, né à Hambourg en l969, ne le dira pas, on s’en doute bien. Ayant étudié auprès de Peter Sellars et travaillé en tant que metteur en scène dans des institutions aussi prestigieuses que la Schaubühne de Berlin et la Schauspielhaus de Düsseldorf, Falk Richter témoigne au mieux de la vitalité de la dramaturgie allemande contemporaine.

La production de La Chapelle n’est pas sans failles, à commencer par la distribution où se démarque cependant Alexis Lefebvre avec le fouet d’un meneur de jeu. Il était de l’aventure Caligula-Remix par Marc Beaupré, et il a travaillé en danse avec Dave Saint-Pierre, ce qui fait qu’il joue autant avec son corps qu’avec sa voix.

La pièce est morcelée en une suite de scènettes enfilant des numéros de bravoure autant que des tirades plus faibles. En ajoutant de la danse, dans une chorégraphie d’Emmanuel Jouthe, du chant et de la musique live aux jeux de caméras et au texte qui déboule, on a peut-être voulu trop en mettre. Mais la production, qui force à réfléchir sur notre sort collectif, a le mérite d’oser. Et l’on n’est pas surpris, ce monde étant immonde, qu’elle se termine dans le désordre bordélique le plus total.    

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