Ici par hasard

Ici par hasard au Théâtre Périscope | Les poids des cendres et la beauté de la vie

Certaines pièces captivent dès les premières minutes, comme si chaque mot, chaque silence et chaque éclat de rire avaient été choisis pour frapper droit au coeur. Présentée au Théâtre Périscope jusqu’au 27 septembre, Ici par hasard, de Caroline Faucher aborde avec une justesse troublante les thèmes du deuil, du suicide, de la famille, de l’alcoolisme et du féminisme. Dans une mise en scène à la fois dépouillée et réfléchie, quatre comédiens complices livrent une performance sensible qui résonne longtemps après la tombée du rideau.

La pièce s’ouvre sur une scène inattendue: Irène, campée par Carolanne Faucher elle-même, entraîne un groupe de femmes dans un cours de Zumba. En legging, t-shirt et espadrilles, elle transpire l’énergie et l’enthousiasme. Un petit détail interpelle: l’absence de soutien-gorge. Ce choix, volontaire, illustre l’évolution du rapport au corps des femmes à travers les générations, un corps désormais assumé dans toute sa liberté. Cette première image, pleine de vitalité, entre en contraste saisissant avec la réalité qui se révèlera rapidement: Irène est la soeur disparue, celle qui a choisi de s’enlever la vie.

La trame nous conduit à Sutton, dans le chalet familial hérité des parents. Là, les trois survivants; André, Olga et Macha, se retrouvent pour composer avec l’absence d’Irène un an après son suicide. Alors décédée, elle se retrouve avec eux, au milieu d’eux. Sa présence bouleversante devient le coeur de la pièce. C’est un huis clos empreint de tension, mais traversé de moments de lumière et d’humour. La distribution réunit Carolanne Faucher (Irène), Simon Beaulé-Bulman (André), Mary-Lee Picknell (Olga) et Odile Gagné-Roy (Macha), tous impeccables dans leurs rôles. Le texte, en français normatif, fluidifie la compréhension et confère une clarté qui renforce le propos.

La pièce met en relief des dynamiques familiales marquées par le poids du passé, l’alcoolisme latent, la quête de sens et l’urgence d’apprendre à vivre malgré la douleur. Les cendres d’Irène deviennent un fil conducteur, un symbole omniprésent qui lie les personnages entre eux et avec le spectateur.

L’une des trouvailles scéniques les plus marquantes est sans doute l’usage des cendres d’Irène. Elles tombent du ciel en filet, comme un sablier inversé où s’écoule le temps. Au départ, elle sont dispersées des mains des survivants d’un second niveau sur la scène, créé pour donner de la profondeur au récit. Cet espace devient plus tard le lieu d’une contemplation rare: une aurore boréale que les survivants admirent ensemble. Irène, elle, ne peut la voir. Le contraste est bouleversant: la beauté de la vie, offerte à ceux qui restent, mais invisible à celle qui n’a plus trouver la force de la contempler. L’image agit comme une métaphore douce-amère, et s’imprime dans la mémoires des spectateurs lorsque les rideaux tombent, « parce que la vie c’est grand ».

La simplicité réfléchie de la mise en scène accentue l’efficacité du texte. Rien de superflu: chaque élément contribue à mettre en valeur le propos. Les rires du public, fréquents et francs, surtout lors des répliques d’André, témoignent de l’équilibre habile entre gravité et légèreté. Le deuil est exploré dans toute sa complexité: on rit, on s’émeut, on soupire, souvent dans la même scène.

crédit photo: maryse boyce* Photo par Maryse Boyce.

La justesse des comédiens rend l’expérience encore plus captivante. Aucune fausse note, aucune hésitation: chacun incarne pleinement son personnage. Simon Beaulé-Bulman, en particulier, impressionne. Il ne cherche pas à creuser artificiellement son rôle: au contraire, chaque mot qu’il prononce frappe juste, avec une simplicité naïve. Léger, drôle, habité, mais toujours profondément humain, il donne à la pièce une respiration nécessaire. Mary-Lee Picknell, quant à elle, marque par son intensité et sa présence, gravant son personnage dans la mémoire du spectateur.

crédit photo: maryse boyce* Photo par Maryse Boyce.

Si Ici par hasard frôle l’excellence, un bémol subsiste: le long monologue de Macha à la fin. Trop étiré, il alourdit la conclusion et laisse une impression finale moins forte que tout ce qui a précédé. Comme un repas savoureux qui s’achèverait sur une bouchée gâchée par un cheveux dans le dessert, il ternit légèrement une expérience jusque-là sans faille. C’est dommage, car l’ensemble méritait une conclusion aussi percutante que les images fortes qui l’ont précédé.

Malgré ce léger faux-pas, Ici par hasard demeure une oeuvre nécessaire. Elle aborde des sujets lourds avec finesse et humanité, rappelant que le deuil n’est pas qu’une succession de larmes: il est aussi ponctué de rires, de maladresses, de souvenirs et de liens qui se reforment. La pièce ose parler du suicide sans sensationnalisme, mais avec une honnêteté qui touche droit au coeur.

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