crédit photo: Patrice Tremblay
Tableau final de l'amour

FTA 2023 | Tableau Final de L’amour: comment l’art pourrait-il oublier les images?

Le roman de Larry Tremblay, Tableau Final de L’amour, paru à La Peuplade en 2021 est inspiré de la vie du peintre Francis Bacon. Benoît McGinnis incarne cet artiste dans tous les pores de sa peau. Performance entière et dévouée, nécessaire à cette œuvre hémorragique dont la violence sans être graphique est subjuguée par une mise en scène étonnante.

Il est question dans ce roman de la relation qu’entretient Francis Bacon avec son modèle et amant suicidé George Dyer en 1971.  Dans la quatrième de couverture dudit roman il est question d’une mise à nu de l’être humain. On pourra dire que Angela Konrad, la metteure en scène, l’a prise au mot.

Devant nous initialement un écran, un vidéo de ce qu’on déduit être l’atelier du peintre. L’écran se soulève ensuite pour dévoiler les panneaux immaculés. Évocation des toiles de l’artiste n’ayant pas trouvé comment immortaliser son amant dont la première éruption dans son atelier avait pour objectif de le cambrioler.  Celui-ci dont la majorité de la présence sur scène se faisant sans texte avait tout intérêt à captiver l’auditoire. Sa première apparition sur scène le montre complètement nu, à la manière d’une proie, même si au fond, il était venu pour tirer profit de l’artiste. Il s’ensuite une relation charnelle entre les deux protagonistes dans laquelle le peintre se voit complètement obnubilé par sa capacité à peindre ledit modèle.

La narration se présente donc comme dans le roman. On montre peu l’action, on la raconte. Histoire de dynamiser ce qui jusqu’ici donne l’impression d’une lecture, Konrad utilise le jeu physique des acteurs pour créer des pauses avec des arrêts sur image à l’aide de l’éclairage. Ce procédé scénique nous fait intégrer davantage l’ardeur de leurs ébats. Car oui, il est question de sexualité entre les protagonistes ici d’abord et avant tout. La performance physique de McGinnis est impressionnante dans ce rôle qu’il aborde avec le regard fou du peintre profondément atteint de sa passion dévorante pour son nouveau modèle.

* Photo par Patrice Tremblay.

La mise en scène très dépouillée nous permet aisément d’entrer dans le texte. La langue de Larry Tremblay décoiffe car il s’agit bien d’un roman dont les phrases profondes résonne sur cette scène immaculée. À quelques occasions, le récit est enregistré en voix off et les deux acteurs chuchote certaines phrases choisies sont postsynchronisées en temps réel devant nous. Cela met de l’emphase sur le texte encore une fois. Il s’agit à mon avis d’une mise en scène fort réussie qui met en valeur le roman. Une utilisation judicieuse du vidéo souligne aussi savamment quelques éléments du récit, dont le cheval du palfrenier et cet amant gros de Paris qui s’est avéré un illustre philosophe.  La trame sonore de la pièce est également bien dosée et assez abstraite pour garder le sens des mots de Tremblay.

Malgré les éloges scéniques, cette histoire en est une d’une violence inouïe. Il est en effet question d’inceste, de prostitution, de guerre, de surdose, de suicide. Cet amour impossible entre un modèle et le peintre commence par un non-cambriolage, se poursuit dans une situation abusive, évolue en une toxicité malsaine relationnelle et se couronne par un décès. Il va sans dire que Konrad y est allée fort avec l’image des charnier de la guerre, la peinture rouge qui éclabousse la toile pendant les ébats et batailles entre les deux hommes. Les tableaux se succèdent, tels qu’on les voit, en œuvres hémorragiques et douloureuses.  La question soulevée dans le roman mais qui résonne tout au long de la pièce montre qu’il est impossible à l’artiste d’oublier les images.

Quand son amant modèle est mort, Francis Bacon croyait qu’il l’avait fait exprès, pour lui voler la vedette de son lancement d’exposition au Grand Palais de Paris. Sous la plume de Larry Tremblay et avec le jeu de McGinnis, on arrive à éprouver de l’empathie pour ce réflexe épouvantablement narcissique de l’artiste. Éprouvé par deuil, il réalise qu’il a été mesquin jusqu’au bout avec cet amant fragile.  La pièce se termine avec sur l’écran le triptyque qui porte le nom du roman: Tableau Finale de l’amour, seul tableau portant un titre de ce peindre.

Une fin juste pour une histoire épouvantablement tragique. Si le cœur vous en dit, la pièce poursuit sa route au FTA jusqu’au 4 juin et sera à l’affiche dans la programmation régulière de l’Usine C cet automne.

 

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