Tom na Fazenda

FTA 2018 | Tom na Fazenda (Tom à la ferme de Michel Marc Bouchard en portugais brésilien) : Bouleversant !

Il y a quelque chose de profondément touchant d’entendre en langue étrangère l’une des pièces de Michel Marc Bouchard les plus jouées dans le monde, « Tom à la ferme » devenue « Tom na Fazenda » en portugais dans une production de Rio de Janeiro invitée à la Maison Théâtre dans le cadre du Festival TransAmériques. Quelque chose qui correspond à une grande source de fierté.

« La culture au Brésil est rebelle, transgressive. Les artistes sont des anthropophages qui dévorent leurs semblables pour se recréer et créer », nous prévient dans le programme le metteur en scène Rodrigo Portella, ajoutant que son approche du texte de Bouchard avait consisté pour une bonne part en un travail de trois mois sur le corps des acteurs, par qui tout doit passer, formant par leur gestuelle chorégraphiée « le vocabulaire fondamental de la pièce ».

Tom, le personnage central, est joué avec une implacable maîtrise des nuances et une forte dose d’expressivité par le comédien Armando Babaioff. C’est un ami, ayant vu le film que Xavier Dolan a tiré de la pièce en 2013, qui l’a poussé à lire la version anglaise du texte. Le coup de foudre a été instantané, entraînant à sa suite l’adhésion du metteur en scène avec qui il travaille depuis une vingtaine d’années.

Et c’est ce même Tom brésilien qui a écrit la traduction de la pièce en portugais de façon à toucher son public, en contournant ce qui aurait pu paraître trop spécifique à l’identité québécoise.

Le résultat de cette substitution est d’une réussite absolue. Le texte, surtitré en français et en anglais, respectueux de la vision d’origine de l’auteur, s’en trouve magnifié jusque dans les moindres ramifications du sous-texte, livré avec l’art du double langage faisant le point d’orgue de cette pièce déjà traduite en neuf langues et ayant été l’objet de 15 productions différentes dans le monde.

* Photo par Ricardo Brajterman.

On connaît l’histoire. Tom, jeune publiciste d’une agence dans la grande ville, décide sur un coup de tête de se rendre à la campagne aux funérailles de son amant mort dans des circonstances obscures. Aboutissant sur une ferme éloignée de tout avec ses 48 vaches, il découvre que la mère du défunt et son frère Francis n’ont jamais entendu parler de lui, et encore moins de leurs amours honteuses.

La mère, à qui la vérité a toujours été cachée, prendra Tom sous son aile, le voyant comme un témoin valorisant de la vie du fils manquant. La comédienne Kelzy Ecard fait montre d’une force de jeu au naturel absolument renversante.

Tandis que Francis, le fils restant, joué avec une terrifiante énergie sensuelle par Gustavo Vaz, en macho barbu portant bottes de caoutchouc et jeans à bretelles, sera celui par qui tout bascule. Car la connaissance de Tom confirmera les soupçons qu’il nourrissait déjà sur la vie amoureuse de son frère, et qui ne mérite rien de moins que sa vengeance de mâle frustré sexuellement.

La pièce de Michel Marc Bouchard se complexifie en profondeur avec ce personnage ambivalent, répondant à son attirance pour Tom par la violence tant physique que morale et le refoulement d’une orientation sexuelle pour laquelle les Brésiliens ont la réputation de nourrir beaucoup d’aversion, allant fréquemment jusqu’au crime homophobe. La psychologie du personnage de Francis, se sentant supérieur en tant qu’hétérosexuel dominateur, trouvera sa réponse dans un climat hypersexué malsain où Tom se complaît en tant que victime consentante, retenu malgré lui dans l’ambigüité de cette souricière. La réplique « Tu me diras quand arrêter. » résume bien leur relation trouble.

* Photo par Jose Limongi.

La mise en scène de Rodrigo Portella, également auteur d’une quinzaine de pièces qu’on dit percutantes et réalisateur au cinéma, recourt habilement à l’ellipse pour rendre la pièce juste assez fluide. Sa vision artistique de Tom na Fazenda est admirablement bien servie par la scénographie étonnante qui nous transporte dans un milieu glauque de sceaux à goudron et de sacs de sable où tout est noir, sauf la poussière d’un rouge terreux qui se dégage de la toile boueuse couvrant la scène en entier et que recrache le fils par habitude.

Pas très loin du pur chef-d’œuvre, la production des Brésiliens, qui fait un bon deux heures, démontre à quel point les thématiques développées au théâtre par notre Michel Marc Bouchard, le dramaturge québécois le plus joué dans le monde, sont universelles.

Vos commentaires