Go Down , Moses

FTA 2016 | Go Down, Moses: Oreilles sensibles s’abstenir

Quelle image plus cruelle, plus irreprésentable peut habiter une scène au théâtre que celle d’une mère ayant abandonné son nouveau-né? L’évocation en est insupportable. C’est pourtant ce à quoi nous confronte l’Italien de l’heure en théâtre, Romeo Castellucci, avec son Go Down, Moses qui a été présenté au Théâtre Denise-Pelletier dans le cadre du Festival TransAmériques.

Photo: Guido Mencari

Photo: Guido Mencari

Romeo Castellucci et sa compagnie Societas Raffaello Sanzio sont des habitués du FTA, qu’ils visitent pour la cinquième fois, la dernière étant en 2012 avec l’énigmatique Sur le concept du visage du fils de Dieu.

Castellucci est d’abord peintre et scénographe, avant de s’être approprié pour Go Down, Moses la mise en scène, les décors, les costumes, les lumières et les textes. Cette fois encore, il interpelle le spectateur, le bouscule, le pousse dans ses derniers retranchements, le heurte, le blesse et le laisse pour mort.

Cette dimension du sacrificiel avec laquelle il traite le public parait relever du sacrifice originel du Christ sur la croix venu sauver l’humanité pécheresse. D’ailleurs, Castellucci a déjà dit qu’à ses yeux la Bible était «la source première de l’art dans l’histoire occidentale».

Son Go Down, Moses commence lentement, par un tableau sobre où, derrière un rideau de tulle blanc, des personnages endimanchés marchent et devisent sans qu’une seule parole ne soit prononcée. Sans aucun ménagement, le tableau suivant nous place devant l’horreur vécue par une femme gisant sur le plancher d’une toilette qu’on imagine publique puisque quelqu’un frappe à la porte à répétition. Elle a les jambes ensanglantées, et son sang versé pour la multitude se répand dans cet espace restreint qui pourrait être celui de chacun dans notre vie. Les images de cette femme ensanglantée sont d’un réalisme très cru.

Sinon, la symbolique partout présente dans sa pièce est chargée de signifiants imaginaires. Comme pour cette étrange machine à l’avant-scène constituée d’un long cylindre tournant à une vitesse folle, en émettant le bruit strident que ferait un rouleau compresseur qui s’emballe, broyeur de toute vie terrestre.

Dans le tableau suivant, nous sommes dans le bureau d’un commissaire de police interrogeant cette femme, avant tout pour savoir ce qu’elle a fait du bébé. Elle commencera par ne pas réagir à ses questions. Puis, dans une sorte de délire mystique, elle confessera que son bébé qu’elle appelle Moïse a été placé dans un berceau sur le Nil, pour sauver son peuple de l’esclavage et conclure un nouveau pacte avec Dieu.

Photo: Guido Mencari

Photo: Guido Mencari

Le dénouement est surprenant. Placée dans un appareil médical d’imagerie à résonnance magnétique faisant un bruit d’enfer, on se retrouve dans le cerveau de cette femme dont les images renvoient aux origines de l’humanité avec des scènes de vie dans une caverne. Le bruit assourdissant qui accompagne ces images est un choix artistique douteux. Car la scène s’étire jusqu’à la toute fin, bien avant laquelle on regrette de ne pas avoir à disposition des bouchons pour les oreilles, tellement la stridence du son est insupportable.

Cette radicalité esthétique, dans le sillage de la pensée d’Antonin Artaud, laisse songeur. Le Moïse de Romeo Castellucci, qui emprunte aussi à Dante, a été créé au Festival d’automne à Paris, l’ayant consacré comme un artiste majeur de notre époque.

Au sujet de sa pièce, la critique du Monde, Brigitte Salino, écrivait : « un spectacle à la fois abscons et lumineux, où l’on passe du trivial au cosmique, où l’on se sent souvent privé de repères, parfois agacé de n’y rien comprendre, mais dont on sort, après une scène finale sidérante, en se disant : mais où cet homme prend-il la force de réinventer ainsi le monde, tel un Sisyphe condamné à sans cesse recommencer?»

En 2014, la Biennale de Venise a remis à Romeo Castelluci son prestigieux Lion d’Or pour l’ensemble de sa carrière théâtrale.

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