Festival Les Ardentes à Liège | La Cité ardente porte bien son nom

La 16e édition du festival de musique urbaine Les Ardentes se tenait ce mois-ci à Liège, en Belgique. Trois jours de pure folie, et un dernier dans l’incompréhension générale. Retour sur l’événement.

Avant tout, un peu de géographie et d’histoire.

Liège est une ville modeste dans l’est de la Belgique, un pays néerlando-francophone au cœur du continent européen.

L’endroit témoigne d’un passé industriel, et ses habitants, les farouches et valeureux Liégeois, surnomment leur ville « la Cité ardente ».

D’où le nom de l’événement.

Le festival Les Ardentes, quant à lui, existe depuis 2006 : rassemblant au départ tous genres musicaux, les programmateurs prirent une tournure distincte il y a de cela quelques années, misant dorénavant sur une programmation urbaine, particulièrement hip-hop.

Le festival accueille aujourd’hui plus de 200 000 personnes, composé en majorité d’un public jeune, entre 15 et 30 ans.

On peut lire sur le site officiel des Ardentes la phrase suivante, traduisant à merveille la beauté propre à l’événement :

Un jour tu regarderas en arrière et tu repenseras à ce moment. Ce moment où tu te rends compte que pendant 4 jours, t’es sorti de ta routine, de ton quotidien et t’étais libre de vivre, de kiffer, de rencontrer, de danser.

 

Incontournable

L’édition 2022 de l’événement avait déjà tapé dans le mille : après deux ans d’arrêt forcé par la pandémie, Les Ardentes annonçaient dans leurs rangs des artistes comme Tyler, The Creator, Stromae, Damso, Orelsan, Megan Thee Stalion ou encore ASAP Rocky.

À se demander s’il était possible de faire mieux l’année suivante.

Bien sûr que oui.

L’affiche presque irréelle, détaillée ici sur un autre article de Sors-tu?, ne pouvait présager que du bon pour les quatre jours de cet été 2023 (du 6 au 9 juillet, plus précisément).

La programmation se révèle plus grande, le site du festival, également : huit scènes, allant d’une disposition DJ minimaliste pour les énervés à des emplacements pouvant contenir des dizaines de milliers de personnes, des camions de restauration à ne plus savoir compter, généralement deux à quatre concerts en simultané de 13h30 à 1h du matin, près de 150 artistes venus des quatre coins du globe.

Les Ardentes ont su s’imposer au fil des années comme une référence absolue en Europe dans la matière, c’est le cas de le dire.

 

King Kunta Kendrick

La tête d’affiche de ce Jour 1 des Ardentes, l’indémodable et immensément talentueux Kendrick Lamar.

Concert programmé le plus tard dans une journée déjà assez chargée, le rappeur natif de Compton entre à 23h30 sur N95, tiré de son album le plus récent Mr. Morale & the Big Steppers.

Arborant une veste noire, un sarouel turquoise et une paire de lunettes, Lamar apparaît statique durant les premières secondes du morceau, avant de s’enflammer en même temps que l’instrumentale, laissant jaillir derrière lui une toile immense de trois personnes noires dessinées à la manière d’un enfant (pas la première de sa prestation).

Il enchaîne ensuite avec ELEMENT., continuant tout au long du concert avec des morceaux de DAMN. (HUMBLE., DNA.) comme avec des classiques réputés de sa discographie, notamment m.A.A.d city, Money Trees, King Kunta ou encore Alright, devenu hymne du mouvement anti-raciste Black Lives Matter il y a de cela trois ans.

Le flow de Kendrick est exemplaire, la scénographie, utilisant quatre danseurs aux allures de serveurs, originale, mais remarquable, l’artiste montre comme à son habitude un visage musical complet, empruntant les codes d’autres styles que le rap dans ses chansons.

Et pourtant, il semblait manquer un petit quelque chose.

Le concert se révèle loin d’être mauvais, mais le public ne suivait simplement pas, on dénote une attitude trop réservée chez l’artiste (peut-être que ses chansons ne pouvaient pas permettre de prêter un caractère aussi énervé que le reste des artisans musicaux du festival), et au final, la foule quitte le lauréat du prix Pulitzer (eh oui, pour les textes de son album DAMN.!) avec un goût de trop peu.

Littéralement, puisque le rappeur Kendrick Lamar sort de scène 20 minutes avant la fin du temps alloué à sa prestation.

Encore une fois, loin d’être une mauvaise performance, mais, avec du recul, un concert moins mémorable que ses deux compatriotes américains en tête d’affiche du vendredi et du samedi 7 et 8 juillet.

* Photo par Henry Hwu.

Outre le concert de Kendrick Lamar, deux coups de cœur à mentionner au cours de ce jeudi 6 juillet, ouverture du festival.

En premier lieu, le rappeur belgo-marocain Hamza, de passage à Montréal en début du mois de juin dernier.

Le concert ne s’éloigne pas de sa proposition dans la métropole québécoise, à l’exception d’un aspect à plus haut déploiement, d’une manière évidente : majoritairement des morceaux de son dernier album paru, Sincèrement, ainsi que des classiques du « Sauce God », Life, Fade Up, ou encore God Bless, seront entendus.

Un artiste à suivre de près pour les amateurs de rap, se renouvelant continuellement et produisant un projet presque chaque année depuis une décennie.

En deuxième temps, l’ancien projet duo devenu maintenant solo YellowStraps, nom de scène d’Yvan Murenzi, autre Bruxellois déjà cité de la journée.

Peu de monde se situait devant la scène Konbini Forcing Club en fin d’après-midi, probablement entre septante et nonante (!), et pourtant, l’artiste se montre généreux à souhait pour son public.

Offrant une pop à tendance R&B, hip-hop, électro, le musicien paraît à l’aise, maîtrisant parfaitement ses créations artistiques, certains segments pouvant rappeler des morceaux de la super-star torontoise The Weeknd.

La cerise sur le gâteau : dans les dernières minutes de sa performance, Murenzi descend de la scène pour déclencher et participer à un pogo (dénomination européenne du « mosh-pit »), témoignant d’une connexion spéciale avec les quelques dizaines de personnes venues poser le bon choix d’aller l’écouter en concert.

Comme quoi, les petites scènes permettent réellement de mettre la main sur des perles injustement méconnues.

 

Les Américains, un monde à part

En parlant de connexion spéciale avec leur public, disons que les Américains venus mettre les pieds en Belgique n’en sont pas ressortis champions.

Parlons avant tout de Travis Scott.

Icône du rap et de la mode des dernières années, inspiration pour une génération entière attirée par l’univers hip-hop, personnage hautement controversé (rappelons les événements tragiques du Astroworld Festival en 2021…) : Travis Scott, en bref, c’est lui la tête d’affiche qui fait déplacer les masses, c’est lui l’artiste le plus attendu des Ardentes, c’est lui l’événement phare de cette édition 2023.

Et pourtant.

 

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Début de sa performance vers 23h45 (15 minutes après l’heure prévue), aucun bonjour, même pas un « what’s up Belgium! », avec Aye, de Lil Uzi Vert.

Pas son morceau originellement, forcément, le public s’avère moins réactif, mais dès les premières notes de Highest in the Room, des pogos se forment à travers la foule.

S’ensuit des habituels du natif de Houston, Butterfly Effect, The Scotts, Stargazing : l’ambiance monte encore d’un cran, la scène projette des images psychédéliques, les éclairages stroboscopiques et des flammes en ajoutent encore davantage.

Peu d’interactions, les morceaux ne sont pas toujours joués en entier, mais le public s’en fiche, il est là pour apprécier de ses yeux leur idole venue tout droit des États-Unis.

Trois habituels encore pour terminer, soit Antidote, Sicko Mode et goosebumps, puis, Travis s’en va, sans un clair « au revoir », presque 30 minutes avant 1h du matin.

L’écran affiche un « See you soon », et le public se retrouve dans un sentiment de totale incompréhension, ahuri.

Alors oui, le concert relève du domaine du grandiose, Travis Scott se glisse dans la peau d’un artiste aux performances hors de la norme (les échos lus sur les réseaux sociaux confirment la tendance).

Mais l’amour donné par le public à l’artiste semble loin d’être réciproque.

Scott offre le strict minimum (ce qui est déjà bien, mais bon…), prend son cachet pour sa prestation fortement écourtée, et le public, lui, se révèle globalement satisfait, penchant tout de même vers le déçu.

 

Des prestations écourtées, en série

Kendrick Lamar et ses 20 minutes avortées n’étaient que les prémices d’un constat global sur les artistes américains en Europe, du moins en Belgique.

Ice Spice, au Jour 3, n’arrive qu’à nous donner un exemple encore plus probant du propos : des milliers de fanatiques s’étaient regroupés pour écouter sa performance en début de soirée.

40 minutes annoncées du nouveau phénomène du rap féminin américain, cela ne se refuse pas, non?

Arrivée 23 minutes en retard, prestation de 14 minutes (à peine cinq chansons), un manque criant d’interaction avec la foule, puis départ à l’aéroport, direction New York (sûrement?), trois minutes avant la supposée fin du concert.

Il ne faudrait pas manquer son avion quand même, quelle honte ce serait de se présenter en retard!

Absolument rien à retenir de ce segment, fort malheureusement.

Un débat sur les artistes américains pourrait aisément naître dans la tête des festivaliers : oui, ceux-ci attirent, ceux-ci font rêver, ceux-ci permettent sans aucun doute aux Ardentes de réaliser des profits encore plus impressionnants qu’en ne misant que sur la scène locale.

Cette dernière n’est pas mal fournie, loin, loin de là, mais entre apprécier SCH en concert, facilement atteignable partout en francophonie européenne, ou Travis Scott sur le territoire belge, le choix semble vite fait.

Pourtant, les artistes américains déçoivent, donnent un goût de trop peu, et au final, peut-être qu’un concert complet de SCH, par exemple, appréciant son public, car le seul le connaissant autant, finit par être plus mémorable qu’un rappeur US présent pour le cachet, et rien d’autre.

Attirer les foules, en augmentant par la même occasion les chances d’être frustré, ou faire rayonner la scène rap francophone ne demandant que d’occuper les têtes d’affiche des festivals?

Question rhétorique.

 

…malgré tout, des exceptions

Le texte transparaît une dureté assumée envers le comportement des artistes américains, pourtant, n’en créons pas une généralité absolue.

Selon les retours d’internautes sur les réseaux sociaux, le duo de Tupelo, Rae Sremmurd, a offert au public des Ardentes une performance généreuse, Aaquil et Khalif Brown apparemment très enthousiastes de faire partie de cette édition du festival (ce paragraphe est écrit au conditionnel, puisque la performance du duo belge Caballero & JeanJass, au même instant, a été préférée par votre rédacteur, et par la même occasion adorée!).

Playboi Carti, le jeune rappeur d’Atlanta, a également secoué les masses avec son concert, d’un point de vue personnel le meilleur du festival.

Samedi, à 23h45 (15 minutes de retard, mais pour une fois, celui-ci sera pardonné, la prestation terminera presque à 1h, une première), Carti entre sur le violent R.I.P., déchaînant la foule venue se rassembler pour écouter le rap atypique de l’Américain.

Déchaîner, le mot se montre presque faible.

La foule entre en transe, les pogos s’enchaînent sans relâche sous les hurlements de l’artiste et les riffs de guitare métal agressifs.

Playboi Carti semble possédé, et transmet cette fougue au public, entre autres sur des morceaux de son plus récent album, Whole Lotta Red, comme Sky, Vamp Anthem ou Teen X.

L’artiste répète une bonne cinquantaine de fois (sans exagération) « I love you Belgium », réitère le propos pour son public devant lui, celui dans le fond, lui propose de prendre le temps de respirer.

En soi, les performances de Travis Scott et de Playboi Carti se valent dans leur globalité, à l’exception que ce dernier montre un visage plus attentif envers son public, de même qu’une loquacité malheureusement absente chez l’auteur d’Astroworld.

 

Le savoir-faire

Si quelques critiques ont été émises envers les têtes d’affiche du festival Les Ardentes, les artistes ont majoritairement peu déçu sur les trois jours tenus.

Entre la performance envoûtante et mélancolique du lover boy français Luidji, l’aisance absolue, presque déconcertante, de l’auteur-compositeur-interprète nigérian Rema, ou encore la scénographie grandiose de la machine à hits colombienne J Balvin, l’événement aura enchanté et créé des souvenirs impérissables dans la tête des ces milliers de festivaliers.

Sans aucun doute possible.

 

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Cette affiche a pleinement su dépeindre cette nouvelle génération d’amateurs de musique, représenter ce qu’il se fait de mieux dans l’urbain d’aujourd’hui, et il faut lever le chapeau aux programmateurs pour l’exploit.

Deux autres mentions personnelles : le 7 juillet, Kaaris présentait Or noir, un album devenu référence dans le rap français fêtant cette année ses 10 ans.

La foule s’ambiance, connaît parfaitement ses textes, n’arrête jamais les pogos durant la performance : la foule est récompensée, le rappeur décide d’allonger son concert de 20 minutes.

Elle est là, cette générosité qui manquait chez les Américains.

 

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Un sentiment similaire apparaît pour Gazo, artiste devenu incontournable dans la drill française des dernières années : le Castelroussin enchaîne ses tubes durant une heure, donnant soit une impression du « juste assez », voire encore du « on ne s’attendait pas à autant », mais jamais de la déception, jamais.

La musique rap déclenche les ardeurs, mais cette fois-ci pas les débordements : si une critique personnelle parue en mai dernier dénonçait les comportements douteux des festivaliers de Metro Metro, absolument rien de négatif n’est à signaler quant à la foule des Ardentes.

Sur 60 000 personnes par jour, il a probablement dû s’en passer, des débordements, mais n’avoir rien aperçu à décrier sur trois journées, c’est en quelque sorte parlant.

* Photo par Sebastien Nagy.

Annulation du dimanche : une décision difficile, mais nécessaire

Une mention finale est à donner à l’organisation : quasi-impeccable tout au long de l’événement, que ce soit au niveau des transports, du camping ou de la disposition du site, un dernier aspect doit être mentionné, le plus important, soit la prise de décision.

Le Jour 4, au matin, des orages semblent être annoncés dans la région de Liège.

Il n’en faut pas plus pour la police, et les organisateurs du festival : vers midi, on communique en personne, comme sur le site Internet et l’application, que la dernière journée est annulée en raison des conditions météorologiques.

Pas de Booba, pas de Freeze Corleone, pas de Niska, pas de Metro Boomin, pas de Central Cee, pas de DJ Snake.

À la fin du dimanche, aucune grande pluie n’est à distinguer, et encore moins de tempête.

Et pourtant, ce sera la bonne décision posée.

Le festival belge Pukkelpop annonçait cinq morts il y a de cela 12 ans, à la suite d’un violent orage ayant décimé une partie des infrastructures du site.

Malgré une portion des réseaux sociaux soutenant le festival liégeois, un tollé s’est abattu la semaine dernière sur Les Ardentes, continuant encore à ce jour, les internautes se questionnant si leurs billets du dimanche seront remboursés dans un délai raisonnable.

Une question d’argent, mais le discours aurait été infiniment plus cru si ces euros perdus (et encore, probablement pas) avaient été remplacés par des vies perdues.

Vous le savez, très bien.

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