crédit photo: Jérôme Daviau

FÉE de Joss Tellier et Charles Papasoff au Lion d’Or | Une douceur en janvier, 3/4 poésie : audacieux, inventif, une réussite magique

Le spectacle de ce lundi soir, Une douceur en janvier, 3/4 poésie, est une version concert du film Fée de Marie-Hélène Panisset avec Joss Tellier comme pierre angulaire qui apporte son inestimable jeu de guitare au projet ainsi que sa poésie, particulièrement touchante, le tout entrecoupé de projections, de poésie sur jazz et même d’un happening réussi où la poésie écrite par le public est mise en musique. Le projet initial était assez flyé pour m’attirer et ce fut une belle réussite.

Le concept de la soirée est particulier : Captures d’Audace est né pendant la pandémie avec la création de huit films d’une durée moyenne de 30 minutes pour faire travailler les musiciens de la scène jazz. Le projet a été mis en place par Charles Papasoff (multiinstrumentiste, acteur, compositeur et superviseur musical de la série) et Marie-Hélène Panisset (scénariste, réalisatrice, productrice, directrice photo et monteuse de la série). La série a été renouvelée pour être transportée cette fois dans un contexte de scène. Et ce soir, le film Fée devient Une douceur en janvier, 3/4 poésie, mettant de l’avant Jocelyn « Joss » Tellier comme guitariste (entendu en solo et au côté de Fred Fortin, Rickie Lee Jones, Daniel Bélanger, Dumas) mais aussi poète depuis la pandémie où ce qui était un passe temps est devenu une belle réussite littéraire, poussé par ses amis.

Sur la petite scène du Lion d’Or, on retrouve au côté de Tellier, Charles Papasoff à la clarinette et narration, idéateur du projet, Sonia Johnson au chant, Morgan Moore à la contrebasse, Kevin Warren à la batterie et en deuxième partie de soirée Lévy Bourbonnais à l’harmonica chromatique.

La soirée débute avec la projection de capsules vidéo présentant divers formations de la série Captures d’Audace pour aboutir à la chanson Quand Même, interprétée magnifiquement par Sonia Johnson.

Par un des éléments de magie poétique qui ponctue la soirée, Sonia Johnson passe de la vidéo de l’écran pour nous arriver par l’arrière de la salle et monte sur scène où le rideau s’ouvre sur le band. Une belle chanson sur l’âge et les hormones, thème peu abordé mais tellement central de nos vies, le tout avec pudeur et honnêteté. Oui, on est bien loin d’un concert ordinaire ce soir.


Charles Papasoff nous décline la poésie de Joss Tellier de sa voix chaude, profonde et grave, difficile de ne pas se laisser embarquer. Et la poésie de Tellier est une très belle dentelle, pas dans le tape à l’œil, tout en douceur du quotidien magnifié par sa mise en mots. On est à des années lumière d’une soirée poésie la semaine dernière où j’ai été assommé de jeunes poètes « maudits » qui se grattent impudiquement le bobo de leur dépression de jeunes adultes en recherche, avec des formes de styles empruntées au livre poésie 101 pour Cégépien, le tout ponctué de vulgarités gratuites qui ne choquent même plus. Non Tellier, c’est de la poésie d’homme mûr avec un recul sur la vie et un amour certain pour sa partenaire, à la fois simple et direct, la marque du talent, touchant la veine sensible du cœur le plus fermé.

Ces petites perles de mots récitées par Charles Papasoff sont accompagnés par la guitare expressive de Joss Tellier, très inspiré avec style qui n’est pas sans rappelé le Bill Frisell des années 90, avec un grand contrôle du volume pour parfois cacher les attaques des cordes, le tout avec des mélodies qui semblent si simples en apparence mais qui cachent la grande maîtrise harmonique et technique, une qualité que l’on retrouve chez les grands guitaristes.

Morgan Moore est toujours intense et expressif sur sa contrebasse en compagnie du rythme implacable et inspiré de Kevin Warren. D’ailleurs, la première partie du concert se termine par un solo de batterie de Warren qui passe de la scène à la projection où l’on peut admirer le batteur sous vraiment tous les angles. Encore une belle trouvaille et une belle façon de clore cette partie en opposition avec l’arrivée de Sonia Johnson.

Deuxième moitié : la parole au public!

Après l’entracte, le spectacle reprend avec une autre série de courtes capsules vidéo qui se termine par celle de Lévy Bourbonnais à l’harmonica chromatique qui arrive physiquement pour jouer au côté de sa version filmée. Un solo passionant et avec un instrument intrigant que l’on entend peu. La soirée continue ensuite dans sa propre normalité hors de l’ordinaire avec d’autres poèmes mis en musique, comme Container qui parle de la maison de la grand-mère décédée de Papasoff qui a été vidée des souvenirs de sa vie.

S’ensuit un moment jouissif où les musiciens mettent en musique les courts poèmes rédigés par le public pendant la pause. Visiblement, ils ne s’attendaient pas à ce que ça tourne aussi bien et le moment se prolonge avec délectation avec des niveaux poésies inégales comme on pouvait le prévoir et les musiciens passent au micro chacun leur tour. On peut alors assister à Morgan Moore qui déclame les mois de l’année avec entrain! Un regret, toutefois, que ma poésie ne soit pas sortie du hasard du chapeau, je m’étais forcé tout de même!

La soirée reprend avec un titre de Lévy Bourbonnais où les solos de feu s’enchaînent, notamment celui de Joss Tellier transcendé, à tomber à la renverse… Ça se termine avec un dernier titre Staircase « qui n’a rien à voir avec Paul Piché » et qui offre un beau tremplin aux lames expressives de l’instrument de Bourbonnais. Un rappel avec l’émouvant poème Tourbière parce qu’il faut malheureusement finir mais avec un dernier moment de grâce.

P’t-être c’est l’époque. J’t’ai aimé. Mais criss. J’ai jamais su ton numéro par cœur. C’est l’époque, peut-être.

Le projet était ambitieux et même casse-gueule, tout à fait le genre de concept hors de l’ordinaire qui attire votre rédacteur. Et même si j’avoue ne pas avoir tout compris l’ampleur de la chose sur papier. Mais ce soir la notion de concert a été amené dans une autre dimension avec toutes les richesses de mise en scène déployées, que ça soit par la vidéo, les passage du film à la scène et inversement, le happening réussi de la poésie du publique mais surtout par la poésie de Joss Tellier et son jeu de guitare hors de l’ordinaire. Une soirée magique dont on gardera de beaux souvenirs rares et un recueil de poésie désormais en bonne place dans ma bibliothèque.

 

La série Captures d’Audace se poursuit:

  • La semaine prochaine, le lundi 6 février 2023 au Lion d’Or, avec Taxon Lazare Trio – 100% Ocytocine dans lequel le guitariste Michael Cotnoir, le claviériste Simon Côté-Lapointe et le batteur Jonathan Gagné convient les jazzmen Yannick Rieu, David Carbonneau et Charles Papasoff pour une exaltation de l’hypothalamus ancrée dans l’émotion psychotronique.
  • Ensuite, la formation de tango Rewild de douze musiciens et danseurs se produira au Gesù (mardi 4 avril 2023) ainsi qu’au Théâtre Gilles-Vigneault de Saint Jérôme (mercredi 5 avril 2023).
  • En mai, on retrouvera Dawn Tyler Watson et Matt Herskowitz au Gesù le vendredi 5 mai 2023 et le projet Contrebasse et marées de Mathieu Désy le lundi 8 mai au Lion d’Or et le jeudi 11 mai au Théâtre Centennial de Sherbrooke.

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