Entrevue avec Ngabo (Dear Denizen) dans le Chinatown | Hybridation naturelle
Nous avions rendez-vous au Metro Place-d’Armes pour aller manger une soupe dans le quartier chinois. Ngabonziza Kiroko (alias Dear Denizen) arrive tout sourire. Il a immédiatement compris d’où nous était venue cette idée! La chanson Didi, extraite du EP Now Here paru vendredi dernier, s’ouvre sur cette scène où le protagoniste principal attend sa soupe seul et en peine d’amour.
D’emblée, Ngabo raconte la genèse de cette chanson : « J’avais le cœur lourd, j’ai descendu Saint-urbain. Grosse soupe. Mon coeur s’est ouvert. C’est cette référence que j’avais le goût de mettre dans la toune. C’est drôle, car je ne suis pas revenu souvent après dans le Chinatown… »
Ses textes, à premier abord bien ancrés dans le réel, sont emprunts de poésie, truffés de symboles et chargés d’émotions à fleur de peau. S’en dégage un univers très personnel où la folie côtoie l’espoir, où la soif d’aventure se frotte aux échecs du quotidien.
«(Quand j’écris), je tombe un peu dans la confession. (C’est) une manière de vivre facilement dans cette folie. Depuis que je suis arrivé au Canada que je fais de la musique. Faire sa place (dans un nouveau pays), c’est une lutte. »
L’exil
Arrivé seul à Montréal, tout jeune, il y a 16 ans, Ngabo est un homme de l’exil. C’est un thème récurrent dans ses textes (Wanderlust, mais aussi Suitcase Down de son précédent EP paru en 2014).
«Même chez nous en Afrique, quand j’étais jeune, je partais souvent de chez moi, j’allais vivre chez ma tante. J’étais tout le temps en train de partir. Après je suis allé en Angleterre, ça n’a pas marché. Je suis arrivé à Ottawa. C’est là que j’ai commencé à faire mes papiers. Puis, je suis venu à Montréal. »
C’est très récent que j’aie l’impression d’être chez moi. J’ai eu longtemps l’impression d’être en voyage, en transit. Depuis 2 ou 3 ans à Montréal, je suis à la maison. Je le vois dans ma vie : j’ai un appart, il n’y a plus rien dans mes valises, j’ai tout sorti, affiché mes photos de famille. Je suis comme arrivé à destination.
En effet, à l’écoute de son projet Dear Denizen, on est face à un son très montréalais. De l’indie rock, folk. Mais si, à priori, l’Afrique est à des milliers de kilomètres, les rythmes, les cœurs, un petit je-ne-sais-quoi nous ramène à des sonorités hybrides tels que les rythmes syncopés que l’on retrouve sur la pièce Monster Tamer. Cette hybridation est issue d’un élan naturel intrinsèque à ses antécédents.
« J’ai grandi avec la musique africaine, la rumba congolaise. Le Congo est un pays riche, riche, riche au niveau de la musique. On n’avait pas de télé, pas d’internet, il y avait juste la musique nationale et locale pour nous. C’est resté au niveau des mélodies, de ma façon de chanter (NDLR : enfant, il chantait dans une chorale). Parfois, j’amène des démos à mes musiciens et ils ne comprennent pas les rythmes. C’est vraiment africain! »
De nouvelles influences
Son arrivée à Montréal, les découvertes musicales qu’il y a faites et sa carrière artistique sont intimement liées. «Quand je partais, je voyageais, j’étais en train d’écrire des chansons dans ma tête. Je savais que quelque chose se passait, mais c’est vraiment rendu à Montréal que ça a commencé. Quand je suis arrivé ici, je suis tombé dans pleins de trucs, je me suis littéralement bourré de musique occidentale. J’ai écouté Bob Dylan, Tom Waits, puis plus récemment Leonard Cohen.»
En effet, s’il s’est plongé dans l’écriture avec Dylan, il nous confie attribuer la présence de références religieuses dans ses textes au fait qu’il écoutait du Cohen : « Quand il est mort, je l’ai pris personnel. C’est comme si j’avais perdu mon grand-père. Je l’aimais tellement. Je ne suis pas le premier artiste qui dit à quel point sa parole résonne. Il arrivait à parler de parler de la religion sans un dogme et c’est super beau, c’est juste réconfortant. Il a grandi dans une famille hyper religieuse et moi aussi, ma mère, mes sœurs prient beaucoup. Sans me considérer comme religieux, j’ai grandi là-dedans et ça fait partie de mon bagage. »
Tout de suite, on pense à Every Dream is a Good Dream, une des chansons marquantes du EP. «C’est ma chanson favorite dans mon travail! Je me parle à moi-même. Je voulais lui donner un côté gospel, church. C’est une chanson d’espoir. Il y a ça, il y a ça, c’est de la marde, mais à la fin tu te dis : quand même, je suis ici et c’est pas pour rien. Qu’est-ce que tu veux y faire ? On est là, on est en santé, fait qu’on va essayer de faire quelque chose avec ça. »
Cette discussion autour d’une soupe réconfortante a été à l’image de Now Here : une invitation à l’introspection, au mouvement, à l’espoir. Bouillonnant, Ngabo s’est aussi entretenu au sujet de son projet Abakos (avec Pierre Kwenders), des chansons dans ses tiroirs qui n’attendent qu’à être enregistrées, des artistes qui l’inspirent et du prochain album de Dear Denizen.
S’il a définitivement posé ses valises à Montréal, le mouvement l’habite. Now Here risque de céder rapidement sa place au futur et on a juste envie de le suivre. Surtout, plus envie de se plaindre de l’humidité des rues de Montréal en quittant le petit restaurant Pho Bäc! Après tout, le reflet des lumières de la ville dans les flaques sont si jolis.
Le Ep Now Here est disponible en version numérique sur Bandcamp et toutes les autres plateformes.
Le lancement-spectacle aura lieu le 6 décembre à la Casa Del Popolo.
- Artiste(s)
- Abakos, Dear Denizen, Leonard Cohen, Ngâbo
- Ville(s)
- Montréal
- Salle(s)
- Casa Del Popolo
- Catégorie(s)
- Folk, Gospel, Indie Rock,
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