Manifeste de la Jeune-Fille

Entrevue avec Marc Beaupré | Retour sur son rôle dans Manifeste de la Jeune-Fille d’Olivier Choinière

Avec sa nouvelle création Manifeste de la Jeune-Fille, l’auteur et metteur en scène Olivier Choinière se penche sur le concept de « Jeune-Fille » (Grand J, Grand F, trait d’union), en s’inspirant des Premiers matériaux pour une théorie de la Jeune-Fille (2006), dans lesquels le collectif d’écrivains Tiqqun tente de saisir les contours du citoyen modèle de la société de consommation. Ils sont sept à incarner cette « Jeune-Fille  », et parmi eux, Marc Beaupré, alias Marc Arcand dans Série Noire… Sors-tu.ca en a discuté avec ce dernier au lendemain de la toute première représentation devant public à ESPACE GO.

 

La « Jeune-Fille », bien plus qu’un symbole du capitalisme

Marc Beaupré : « Olivier voulait s’éloigner de ce qui était défini par le collectif. Il a d’abord voulu essayer de comprendre ce qu’est la « Jeune-Fille », symbole du capitalisme, puis il a essayé de s’en éloigner pour se sortir de la machine du capitalisme afin de trouver une autre façon de définir le bonheur. Cette idée-là m’intéressait beaucoup. »

 

Le rôle tenu

M.B.: Je joue le rôle de la « Jeune-Fille », comme mes six camarades (Stéphane Crête, Maude Guérin, Emmanuelle Lussier-Martinez, Joanie Martel, Monique Miller et Gilles Renaud), et la « Jeune-Fille » va d’abord être un modèle de capitalisme dans sa beauté, dans son style fashion, dans toute sa vie qui est calquée sur les canons de beauté, mais qui va, peu à peu, essayer de s’en affranchir pour trouver son bonheur… Il y a plusieurs pistes, après, savoir s’il y en a une qui se dégage plus que les autres, ça reste à voir… Pour savoir, il faut aller voir le show…

 

Le choix des comédiens pour prendre une distance

M.B.: Ce qui est intéressant avec Olivier, c’est aussi le choix des comédiens pris pour incarner les jeunes filles, puisqu’on est un chœur de jeunes filles. Il n’y a personne de jeune et joli, si ce n’est Emmanuelle Lussier-Martinez, parce que sinon, aucune de nous n’a les attributs pour être considéré comme une « belle jeune fille », on est tous inadaptés ou inadéquats.

Après on cherche à l’incarner avec l’élégance et la flamboyance des costumes et le feu d’artifice que représente la synchronicité des chorégraphies. C’est beau de nous voir tous appartenir à la « Jeune-Fille » dans notre élégance et dans nos mouvements, en dehors de cela, nous ne sommes pas des jeunes filles, mais c’est cet effet de choral et de mouvements qui nous rapproche du concept.

En soi pour Olivier, il y avait l’idée de prendre une distance et de faire craquer ce modèle-là de « Jeune-Fille ». Il ne définit pas uniquement la « Jeune-Fille » comme l’emblème du capitalisme, il essaie aussi de s’en éloigner, ce qui est intéressant c’est de savoir par où il va passer, parce que cela évolue beaucoup. On pourrait dire qu’il y a plusieurs manifestes dans le spectacle dont celui de la « Jeune-Fille », mais il y en a beaucoup d’autres…

Photo par Caroline Laberge.

Photo par Caroline Laberge.

La collaboration avec Olivier Choinière

M.B.: Elle remonte à très longtemps puisqu’on était ensemble à l’école de théâtre (École nationale de théâtre du Canada). C’est quelqu’un que l’on peut qualifier d’ « artiste complet » dans la mesure où c’est quelqu’un qui ne fait pas de compromis pour essayer de plaire. Il sait très bien qu’il ne plaira pas à tout le monde. Il est singulier et entier. Je ne suis pas toujours d’accord avec sa façon de penser, mais pour moi c’est ça l’artiste.

 

Les paroles publiques tout au long de la pièce (extraits d’articles de magazines et de journaux, des pubs, des statuts Facebook, des extraits de blogues, de vlogs… )

M.B.: Je savais qu’Olivier n’aurait pas la volonté d’être trop didactique ou trop rhétorique, même s’il y a de la rhétorique dans ce spectacle, des idéologies et des doctrines qui sont mises en avant mais elles ne passent pas dans un discours scolaire, il y a quelque chose de beaucoup plus pédagogique, et beaucoup de populisme. Je sais qu’il y a des gens qui pourraient venir au spectacle et se dire « oh mon dieu, ce sont les mots que j’ai prononcés ». Un moment dans la pièce, quand la jeune fille seule commence à craquer, on va plus vers une acceptation de soi, une acceptation de l’âge, de vieillir… C’est un discours très simple, il n’y a rien d’académique ou scolaire là-dedans.

Il faut savoir qu’elle avait soixante-douze costumes à gérer, ce qui est énorme. Donc déjà ça, ça raconte quelque chose que l’on n’a pas besoin de raconter.

L’imprégnation du rôle dans une pluralité de visages

M.B.: Olivier ne nous a pas demandé de nous transformer entièrement, ce qui est assez extraordinaire c’est le nombre de costumes et comment les costumes racontent quelque chose en soi. Elen Ewing, qui a fait la conception avec ses deux assistantes, a été absolument géniale, toujours très simple et ordonnée. Il faut savoir qu’elle avait soixante-douze costumes à gérer, ce qui est énorme. Donc déjà ça, ça raconte quelque chose que l’on n’a pas besoin de raconter.

Ce qui a été plus compliqué pour nous c’était les chorégraphies qui racontent l’endoctrinement, le conformisme. La chorégraphie c’est vraiment un art en soi, c’est une discipline qui est très difficile dans le sens où elle demande beaucoup de coordination, de grâce, de justesse. Faire une chorégraphie de groupe, ça demande d’être toujours synchronisé, dans une espèce de grâce continue. J’ai eu des spectacles où il y avait des chœurs avec des prises de paroles collectives, en harmonie, alors que là, la difficulté est l’harmonie de mouvements, avec des acteurs de 83 ans, donc il faut s’adapter.

Le rôle d’acteur

M.B.: Je suis un homme qui sert des œuvres qui ont pour but d’être consommées. Je suis tout à fait conscient de faire partie d’un système qui exploite ma capacité à interpréter les choses, et je l’accepte. Ce qui est intéressant c’est les diverses façons de prendre la parole et d’exploiter mon talent à le faire.

Ce qui est extraordinaire dans ce spectacle-là, c’est de changer de discours régulièrement au cours du spectacle, comme un acrobate d’interprétations, puisque qu’on change de personnages à plusieurs reprises. On fait appel à ma capacité de convaincre, d’être séduisant et intelligent en fonction des discours que je prends. C’est sûr qu’on me demande souvent de créer le chaos en général, et j’adore le faire, mais c’est rare qu’on fasse appel à mon intelligence pour essayer de convaincre quelqu’un devant moi.

Photo par Caroline Laberge.

Photo par Caroline Laberge.

La consommation contre l’idée de bonheur

M.B.: Je ne suis pas quelqu’un de très consumériste, je n’écoute jamais la télévision, j’ai un frère jumeau et on a toujours eu la volonté de se singulariser, de ne pas être amalgamé de l’un à l’autre. Je suis assez en décalage avec l’idée de mode, d’engouement général, de conformité sur le beau et sur ce qui est consommable, sur ce qui est enviable…

En cela je ne suis pas une « Jeune-Fille », toutefois, je suis sensible à tout ce que la société de consommation présente comme modèle de beauté et modèle de consommation. Parfois je vois des jeunes filles dans la rue, je me dis qu’elles sont belles, et je suis parfaitement conscient qu’elles correspondent aux modèles de beauté qui sont décidés par la société capitalisme. J’essaie de m’affranchir de ça aussi parce que je ne suis pas sûr que ce soit quelque chose qui vienne en aide collectivement.

En plus de l’affranchissement de la conformité, je pense qu’on trouve un bonheur quand on est capable de s’émerveiller des choses qui nous entourent. Les façons d’être heureux seraient de continuer à susciter ce désir de connaître des choses. Je valorise beaucoup la curiosité et la connaissance qui mènent à une certaine maturité.

 

L’impact sur le public

M.B.: Je pense qu’au terme du spectacle, les gens vont se sentir très bousculés parce qu’ils vont se rendre compte qu’Olivier n’aime pas une idéologie plus qu’une autre en étant plus valeureuse, par contre il essaie de chercher et de faire l’effort de trouver autre chose, même si cette solution-là n’est pas infaillible. L’effort est de trouver un sens à travers une nouvelle façon de penser. C’est plus l’effort de recherche que la solution qui est valorisée.

C’est ça aussi ce qui peut être confrontant pour les gens. Souvent on vient au théâtre ou au cinéma et on veut se faire raconter ce qu’on sait déjà. Olivier propose des réflexions qui bousculent un peu, et certaines personnes ne sont pas prêtes à cela. Mais selon moi, la majorité des gens qui étaient présents hier (mardi, soir de la première représentation) sont plus du côté de la curiosité puisque c’est une pièce qui va bouleverser.

La plupart des gens sortaient de là et disaient qu’ils avaient besoin de réfléchir, qu’ils ne pouvaient pas tout de suite parler tant la matière est dense. Je pense que les gens ont compris l’idée de quête de bonheur qui se reflète et se réinvente constamment… Maintenant c’est à eux de chercher par eux-mêmes.

Le ressenti après la première représentation

M.B.: Un très grand soulagement puisque ça a été un travail qui met dans les mains un objet théâtral complètement inattendu et singulier, on n’avait pas toutes les réponses en partant, ni après deux ou trois semaines de répétitions. Contrairement à d’autres projets, on était encore dans l’incertitude sur comment représenter certaines parties du spectacle. Même après la première, on change encore des choses et c’est assez curieux pour un acteur de changer des choses la veille de la première, le jour de la première, ou même le lendemain de la première.

Mais finalement, hier, il y avait encore plein de moments dans le spectacle pour lesquels on n’était pas certains de rendre l’exécution telle qu’Olivier voulait qu’on la rende, et finalement on a réussi. Le spectacle s’est rendu aux spectateurs, et ils ont d’ailleurs beaucoup ri. On sentait qu’ils nous suivaient. Il n’y a pas eu de raté.

Je suis très soulagé puisqu’on avait un objet théâtral encore en chantier alors qu’on rentrait en représentation. Le public comprenait très bien l’univers dans lequel ils étaient. La plupart des gens sortaient de là et disaient qu’ils avaient besoin de réfléchir, qu’ils ne pouvaient pas tout de suite parler tant la matière est dense. Je pense que les gens ont compris l’idée de quête de bonheur qui se reflète et se réinvente constamment… Maintenant c’est à eux de chercher par eux-mêmes.


* Manifeste de la Jeune-Fille est à l’affiche d’ESPACE GO jusqu’au 18 février 2017. Détails et billets par ici. Cet article a été réalisé en collaboration avec ESPACE GO.

Consultez également notre critique de la pièce.

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