En attendant le confinement #4 | S’imposer des balises pour mieux créer avec Karine Ledoyen du studio Danse K par K
On poursuit notre série hebdomadaire visant à donner la parole à des acteurs du milieu culturel qui ont été durement touchés par la pandémie et vise à mettre en mots les actions concrètes qu’ont dû poser les intervenants pour s’adapter à la crise. On se penche sur ce qui les occupe, ce qu’ils font (souvent dans l’ombre) en attendant le déconfinement culturel et comment ils permettent à la culture de survivre et de continuer à exister. Cette semaine, on discute avec Karine Ledoyen de la compagnie Danse K par K à Québec.
* Photo en entête : David Cannon
Des débuts prémonitoires
À la fin des années 90, quand Karine Ledoyen étudie à l’École de danse de Québec, le seul studio de danse de la ville de Québec ferme ses portes, laissant la future danseuse et ses collègues sans perspective d’emploi. À défaut d’avoir d’autres choix, la jeune danseuse diplômée s’exile en Europe, où elle fait ses premiers pas dans un environnement extrêmement compétitif.
Après deux années demandantes en France et quelques mois à Montréal, Karine rentre à Québec pour se reposer. En reconnectant avec ses amis du domaine de la danse à Québec, elle découvre que quelques individus créent leurs propres compagnies, tentant de prendre les rênes de leur carrière en revitaliser la scène locale.
C’est ainsi que Karine Ledoyen a débuté dans le milieu, comprenant qu’une carrière pérenne passerait par le fait de porter simultanément les chapeaux d’artiste et d’entrepreneuse. Sachant que la route serait sinueuse, elle n’a jamais pris pour acquis le fait de vivre de son art. Une vision que certains auront trouvé radicale, mais qui s’est avérée être utile en ce contexte de pandémie.
Un plan sur quatre ans
Lorsque la pandémie a frappé, la fondatrice de Danse K par K s’est arrêtée pour penser comment survivre à cette pandémie. Bien qu’elle adhère à la fameuse recommandation gouvernementale de « se réinventer », Karine Ledoyen veut viser plus loin. C’est pourquoi elle a trouvé essentiel d’établir une programmation et un plan d’affaires s’échelonnant sur quatre ans. « Tout ce que j’ai planifié pour les quatre prochaines années est pensé selon les pires contraintes, en prenant pour acquis que la seule chose qu’on pourra faire est d’être dehors », dit la chorégraphe, danseuse et femme d’affaires. « Tout est conçu pour que nos oeuvres survivent peu importe les directives. Des propositions malléables et adaptables qui se collent sur les saisons. L’été, des spectacles en présentiel. Durant les saisons plus froides, des propositions artistiques dans les espaces publics, mais sans présence physique des artistes grâce au numérique. »
Un bon exemple : les Solos prêts-à-porter, une série de huit solos de danse projetés d’une vitrine de commerce et destinés à être écoutés dans le creux des mains des passants. Présenté sur la rue Saint-Jean à Québec et Mont-Royal à Montréal (à voir du 3 au 13 décembre entre les rues Garnier et Marquette), le projet qui part en tournée au Québec dans les prochains mois est né d’une collaboration internationale rendue possible grâce au numérique. Soutenue par le Consulat général de France à Québec, Karine a inclus des solos filmés par des artistes résidents en France au projet.
En résulte un projet transcendant les frontières, bien qu’il apporte une réelle collaboration à l’échelle locale. « Ça me brisait le coeur de voir des commerces fermer sur la rue Saint-Jean. C’est ma rue de quartier depuis toujours et j’ai voulu aider comme je pouvais », affirme Karine Ledoyen. L’avantage d’un tel projet, ajoute-t-elle, est qu’il crée une collaboration entre les diffuseurs qui achètent les Solos prêts-à-porter et les sociétés de développement locales où le projet sera distribué.
Au sujet des concepts comme celui-ci, Karine Ledoyen y voit aussi une manière viable de continuer à faire travailler les artistes : « Je suis très intéressée par l’idée de créer des concepts exportables comme ça se fait beaucoup en télévision. Les contenus renouvelables, c’est définitivement une façon de passer à travers la pandémie. L’objectif est de créer un format que les gens apprivoiseront pour ensuite interchanger les artistes et les concepts. »
Emplacements des huit commerces participants de l’avenue Mont-Royal
La responsabilité post-pandémie
Comme en témoigne son plan préventif sur quatre ans, l’artiste de Québec a longuement réfléchi à un modèle viable pour survivre à la pandémie. Toutefois, elle pense aussi à l’effet qu’aura la pandémie sur le milieu culturel post-pandémique. « Nous sommes dans un écosystème hyper fragile et, en ce moment, tout le monde est en mode création. Le danger est qu’au sortir de cette pandémie, les diffuseurs ne puissent jamais répondre à l’énorme demande venant de tous ces artistes qui auront des oeuvres à présenter, prévoit Karine. J’ai donc fait le choix de ne pas créer de spectacles en salle pour le moment. De toute façon, ça serait de travailler sur l’après, alors qu’il faut actuellement se concentrer à faire travailler nos artistes. »
Ce but de faire travailler les artistes de leur art fait écho à ce que Karine a vécu plus jeune. « À l’époque, c’était impossible de travailler durant l’année au complet. Avec mon ami Harold Rhéaume (NDLR; le fondateur de la compagnie de danse basée à Québec, Le fils d’Adrien), ça fait 20 ans qu’on travaille et on est encore en train de se dire qu’il faut se protéger et collaborer ensemble pour survivre » dit Karine Ledoyen. « À l’époque où j’ai commencé, il n’y en avait pas de danseurs de carrière à Québec. Maintenant, il y en a une p’tite gang. Ils ne sont pas nombreux, mais c’est déjà une petite victoire. »
Adapté à la pandémie, Osez! en solo invitait le public à assister à une performance en écoutant la même musique que l’artiste
En terminant, Karine affirme que la réception du public à ses différents projets est également un facteur de motivation. « La réponse a été bonne. On sentait que c’était vraiment extraordinaire pour certaines personnes d’assister à des représentations artistiques. Une fois la pandémie passée, je pense que le public sera au rendez-vous. On sent que les gens sont en carences d’arts vivants et je pense aussi que ça motivera des gens à s’intéresser à de nouvelles formes d’art qu’ils ne connaissaient pas. »
Pour soutenir Danse K par K, il est possible d’aller assister gratuitement aux Solos prêts-à-porter sur l’avenue du Mont-Royal et ce jusqu’au 13 décembre. Plus de détails par ici.
En rappel
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